Faut-il risquer une scission ? Oui

Bernard Kouchner
Entretien avec Bernard Kouchner, ancien ministre délégué à la santé, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 23 août 2005.
Propos recueillis par Nicolas Barotte


 

Vous plaidez pour un discours de vérité. Les débats du PS en vue du congrès en prennent-ils la voie ?
Pas suffisamment. Ils prennent parfois la voie, hélas inévitable en politique, des querelles et des ambitions de personnes, ce qui pour l'heure n'est pas intéressant et même dangereux. Le temps des personnes viendra, je ne suis pas naïf, je connais les appétits de pouvoir. Mais la priorité est de redonner à la France le goût d'elle-même.

C'est-à-dire ?
La France ne doit plus être une nation d'anxieux et de nostalgiques. Il faut donner le goût du risque, pas celui de la frilosité. Il faut poser la question de la mise à jour de notre modèle social, réformer les 35 heures, triompher des délocalisations, affronter le problème des retraites. Il faut poursuivre le débat sur l'Europe et ne pas la laisser évoluer sans nous. Nous n'aurons demain que nos yeux pour pleurer. Réfléchissons à un partage équitable des richesses dans le monde. Abordons les justes questions soulevées par les altermondialistes, même s'ils y apportent de mauvaises réponses.

Sur les 35 heures, par exemple, vous êtes en décalage avec votre famille politique.
Peut-être, mais en phase avec les Français. Il faut plus de flexibilité dans le travail. Personne ne fera plus croire qu'en travaillant moins nous aurons davantage d'emplois.

Les Français n'attendent-ils pas trop de l'Europe ?
On n'en attend pas assez et on la craint alors qu'elle nous a tant apporté. Gare à la contradiction : avoir rejeté la Constitution pour maintenant exiger davantage de l'Europe. Aujourd'hui il y a danger à vouloir effacer la différence entre le oui et le non. Rocard a raison, c'est un vrai clivage : pas tant vis-à-vis de ceux qui ont exprimé ainsi leurs angoisses mais entre nous, les partisans du oui, et les démiurges qui ont fait croire que les lendemains allaient chanter.

Vous partagez le point de vue de Michel Rocard, qui évoque la création d'un nouveau parti si la ligne de Fabius et Mélenchon l'emporte lors du prochain congrès.
J'approuve l'idée lancée par Michel Rocard d'affronter les pseudo-marxistes et leurs utopies fripées. Faut-il risquer une scission au sein du PS ? Oui, on a passé le temps des réconciliations de façade. Pour autant, il ne faut pas rester sourd à ce qu'ont exprimé les électeurs dont beaucoup avaient des interrogations réelles. Avec eux, il faudra discuter, pas avec ceux qui les ont bernés : où est le projet de rechange, où sont les avancées ?

Pour l'ancien premier ministre, les deux lignes qui s'affrontent au PS aujourd'hui sont antinomiques.
Il vaut mieux admettre le désaccord plutôt que mentir sur une fausse synthèse. La France traverse une phase trop difficile pour lui infliger des faux-semblants. Je pense aux retraites, à la sécurité sociale par exemple. Ne faisons pas comme si nous n'avions pas d'immenses déficits et des dettes de plus en plus lourdes.

Vous parlez de majorité plus large, faut-il dépasser le clivage entre la droite et la gauche ?
L'objectif est d'obtenir un consensus pour procéder aux ajustements qui s'imposent. C'est à une gauche novatrice, réaliste et courageuse de les définir.

Pourriez-vous travailler avec François Bayrou sur ces sujets ?
Bien sûr, avec lui et avec d'autres. Je veux aussi discuter avec les gens du non. Les étiquettes ne m'ont jamais suffi. Je veux que nous trouvions des majorités pour des réformes vives, pas pour un réformisme mou. J'aime autant discuter avec les militants centristes qu'avec ceux d'Attac. En France, nous votons mais nous ne débattons jamais, nous ne cherchons jamais de compromis. Or c'est le débat qui permet d'aboutir au compromis.

Comment relancer l'Europe ?
Pour relancer l'Europe, il faut relancer la France. Discutons métier par métier, secteur par secteur et nous déboucherons sur plus d'Europe. La seule perspective offerte par les démagogues du non était de nous refermer sur nous-mêmes. Vive la ligne Maginot ! Le grand message de la dernière campagne est d'avoir fait croire aux plus faibles que le non ce serait meilleur pour eux.

N'avez-vous pas le sentiment d'être isolé à gauche sur cette ligne ?
Je l'étais déjà quand j'ai fondé Médecins sans frontières : voyez le résultat. Quand je parle aux Français je ne me sens pas seul, bien au contraire. Eux ont du bon sens.

© Copyright Le Figaro


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