Il est temps d'ouvrir le PS sur la société civile



 Entretien avec Bernard Kouchner, ancien ministre de la Santé,
 paru dans Le Figaro daté du 30 août 2002
 Propos recueillis par Elsa Freyssenet


 

Vous qui avez été membre du gouvernement Jospin, pensez-vous, comme Marie-Noëlle Lienemann, qu'il était " un peu court " pour être président ?
Marie-Noëlle a été ébranlée par le choc qui nous a tous atteints. Mais il ne faut jamais disqualifier un ami, même pas un adversaire. Après une défaite aussi lourde que celle du 21 avril, n'y a-t-il pas un inventaire à faire des années Jospin ? La défaite est toujours une question d'hommes - et de femmes - mais pas d'un seul homme. Si on fait l'inventaire, faisons-le honnêtement, pas dans la rancœur. Jamais un premier ministre n'est sorti battu avec une telle popularité, et le bilan était tout à fait fameux.

En revanche, il y a à critiquer, collectivement, une méthode politique dépassée. Moins de technocratie, plus d'ouverture, sûrement ! Nous aurions dû en permanence écouter, impliquer et responsabiliser les gens. Sur les 35 heures, il aurait fallu entamer un débat sur plusieurs années : on a voulu faire le bonheur des gens malgré eux et ils nous en ont voulu. Les décisions imposées du sommet, c'est fini.

Mieux écouter, n'est-ce pas ce que les socialistes disent après chaque défaite ?
La droite aussi ! Le pouvoir coupe des réalités. La France est une société riche, composite, contradictoire, jamais contente et difficile à gouverner. Nous étions quelques-uns à avoir dit à Jospin qu'il devait s'en aller un an avant l'élection mais il ne l'a pas fait. En 1993, la défaite était annoncée. Cette fois-ci, nous étions trop sûrs de gagner. Une cure de silence et d'humilité va nous faire du bien. Il est temps d'ouvrir le PS sur la société civile.

Qu'attendez-vous de l'université d'été du PS qui se tient ce week-end ?
Des confrontations sont nécessaires. Il nous faut du temps pour digérer la défaite. Celui qui prétendrait maintenant avoir la recette du futur serait un gros prétentieux. Le PS ne s'est pas écroulé, c'est déjà pas mal. Alors pas de flagellation collective ! Le vrai choc de cette élection, c'est d'abord que la France de Le Pen existe de telle manière. C'est cette part de la France que tout le monde, gauche et droite, a déjà oublié, ces gens qui se sentent mal à l'aise dans l'évolution de notre société et qui ont peur de l'Europe, c'est à eux que nous devons parler.

Comment ?
En changeant notre manière de faire de la politique et en nous emparant de l'échéance capitale de 2004 pour l'Europe. Personne n'a bien expliqué l'élargissement. Il faut que chaque Français se sente concerné : c'est notre avenir et notre horizon.

Qu'est-ce ce que vous attendez du congrès du PS de mai 2003 ?
Je fais d'abord un vœu : pas d'intrigue, pas de groupusculite et pas d'esprit de clan. Ouverture et respiration, s'il vous plaît ! Nous avons une direction du PS conduite par François Hollande et c'est très bien comme cela. Sur le fond, nous sommes à un tournant, confrontés à de multiples interrogations. Pourquoi la social-démocratie recule-t-elle partout en Europe ? Quelle société souhaitons-nous ? Quelle part de risque et de défi individuel dans cette société ? Quelle nation souhaitons-nous ? Quelle part de risque et de défi collectif dans cette nation ? Quelle Europe souhaitons-nous ? Quelle Europe face à la globalisation ? Et que voulons-nous dire sur une globalisation qui, on l'oublie trop souvent, comprend beaucoup d'aspects positifs. Ces questions-là sont fondamentales. Car nous devons donner de l'ambition à la France.

Quand l'aile gauche du PS dénonce une "dérive sociale-libérale" du parti, vous pensez qu'elle se trompe ?
Qu'est-ce que cela veut dire "toujours plus à gauche" ? On doit gouverner pour la France. On a fait tellement de mesures sociales que personne ne s'y retrouve. On perd toujours la course à l'échalote à gauche car on trouve toujours plus gauchiste que soi.

Arnaud Montebourg veut bousculer les éléphants du PS qu'il accuse de "verrouiller" le débat...
Le débat, même vif, doit avoir lieu. Montebourg est un garçon brillant qui a des idées intéressantes mais c'est aussi un éléphanteau qui veut devenir un éléphant.

Souhaitez-vous, comme Dominique Strauss-Kahn et Jean Glavany, la construction d'un parti unique de la gauche ?
A terme, sûrement. Interrogeons-nous sur le rôle réel du PRG, sur l'évolution du PCF et sur le fait que les Verts n'arrivent pas, comparés à leurs amis allemands, à imposer un vrai débat. Oui, les pays modernes s'articuleront certainement autour de deux blocs politiques. Mais les traditions sont lourdes en France.

© Copyright Le Figaro Interactif

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