Traité constitutionnel européen
On va devoir mouiller la chemise

Entretien avec Pascal Lamy, ancien commissaire européen au Commerce international, paru dans le quotidien Le Parisien daté du 19 mars 2005
Propos recueillis par Philippe Martinat


 

Êtes-vous surpris que le projet de directive Bolkestein provoque tant d'émoi ?
Ce n'est qu'un projet de directive. Il s'agit d'un texte mis par la Commission sur la table des deux Chambres qui décident en Europe : le Conseil des Etats membres (que l'on appelle aussi le Conseil des ministres) et le Parlement européen. L'examen parlementaire a fait apparaître des risques de dumping social. Je suis donc persuadé qu'il n'y aura de majorité ni au Conseil des ministres ni au Parlement européen pour adopter ce projet en l'état.

Mais comment ce texte a-t-il pu recevoir l'aval de la précédente Commission, dont vous faisiez partie ?
Nous avions eu un débat sur les risques de dumping social. Et notre collègue Frits Bolkestein avait garanti à ceux d'entre nous qui, comme moi, avaient des doutes (c'est-à-dire deux ou trois sur les vingt-cinq membres de la précédente Commission) que ce serait bien le régime social du pays d'accueil et non du pays d'origine qui s'appliquerait en cas de fourniture de services.

Ce projet de directive peut-il être qualifié de libéral ?
Ce n'est pas la question. On a déjà procédé en Europe à l'essentiel de l'ouverture du marché des services : transports aériens et ferroviaires, énergie, poste, télécoms, banque, assurance. Mais le principe général dans l'Union européenne a toujours été qu'on exclue en matière sociale l'harmonisation par le bas : c'est la raison pour laquelle dans les travaux publics, depuis des décennies, les Portugais qui viennent travailler en France sont soumis à la législation française du travail. C'est sur ce plan qu'il y a une ambiguïté dans le texte Bolkestein. Cela dit, gardons le sens des proportions : l'ensemble des économies des dix pays qui viennent de rejoindre l'Union ne représente que 10 % du PNB du total des économies européennes. Quand les tenants du non soutiennent que la piscine lettone va vider le lavabo français, c'est absurde !

Pour Laurent Fabius, « la directive Bolkestein est un avant-goût de la Constitution européenne »...
Cela n'a strictement rien à voir. La Constitution est un cadre juridique qui permet, en fonction des majorités au Parlement, de mener des politiques soit plus de droite, soit plus de gauche. Ce cadre n'est ni libéral ni antilibéral. Sur les services publics, les droits sociaux ou la charte fondamentale, on peut même souligner qu'il est moins libéral que le régime sous lequel nous vivons actuellement.

Pour la première fois, le non serait en France majoritaire...
Il y a une inquiétude. Et un vrai débat s'est installé. Les tenants du oui vont devoir mouiller la chemise. A la fin, la question sera de savoir si on prend ou si on ne prend pas ce qui est sur la table. Même si je suis sensible à certains arguments du non, je pense qu'« un bon tien vaut mieux que deux, tu l'auras ». Si on recommençait tout aujourd'hui, on n'obtiendrait pas mieux. Je suis même sûr qu'on aurait moins bien.

Quelles seraient les conséquences si la France votait non ?
Ce serait un gros problème pour l'Europe. Et les autres pays ne nous comprendraient pas. En outre, notre position de négociateur serait, pour la suite, fragilisée. Et je ne dis rien du fait que nous sommes dans un monde où Américains, Chinois et Indiens ne vont pas nous attendre...

Les tenants du non assurent qu'il suffirait de se remettre autour d'une table...
Ceux qui disent cela font une très mauvaise appréciation du rapport de force ou racontent des bobards. Dans les deux cas, c'est ennuyeux.



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