Pour l'Afrique

Jack Lang


Point de vue signé par Jack Lang, député du Pas-de-Calais, président du Comité France de " Commission for Africa ", paru dans le quotidien Le Monde daté du 1er juillet 2005

 
Un universitaire africain, Nketo-Lumba, écrivait voilà quelques années, dénonçant une réalité qui glace d'effroi : " Aujourd'hui en Afrique, c'est la faim sans fin : on mange accidentellement, on s'habille accidentellement..., on survit accidentellement. " La situation ne s'est certes pas améliorée.

Lorsque, en novembre dernier, Tony Blair et son très remarquable " sherpa de l'humanitaire ", Bob Geldof, m'ont invité à présider le Comité France de la Commission For Africa chargée de préparer les travaux du G8 de juillet 2005, j'ai demandé à une quinzaine de personnalités africaines et françaises, dont Michel Camdessus, de réfléchir avec moi "autrement" aux problèmes posés aujourd'hui par un continent africain meurtri, exsangue, et en revanche si inexplicablement abandonné à son sort. D'autres groupes de travail dans les pays du G8 et en Afrique ont participé à cette réflexion ambitieuse. Il y avait dans cette aventure une crainte légitime : qu'une fois de plus l'exercice n'aboutisse à un simple rapport alibi destiné, comme les autres, à prendre place sur l'étagère de la bonne conscience collective.

Ledit rapport général vient de voir le jour. Il est conforme à ce que le groupe français en attendait : impitoyable dans le diagnostic ; déterminé dans ses propositions. Il sera bien déposé, comme nous le souhaitions, sur la table du G8, et nous sommes quelques-uns à être très déterminés à ce qu'il soit suivi d'effets.

C'est maintenant, et non pas dans cinq ou dix ans, que les pays les plus riches de la planète doivent agir et stopper la spirale qui emporte un continent et ses 600 millions d'habitants dans un gouffre sans fin.

Quelques chiffres tout d'abord, d'une incontournable vérité... Quatre millions d'enfants de moins de cinq ans meurent chaque année de maladies que l'on pourrait, pour les deux tiers, guérir à peu de frais.

Le revenu quotidien moyen sur le continent africain est au-dessous de 1 dollar US, c'est-à-dire largement inférieur à ce qu'une vache européenne reçoit journellement de subventions. L'espérance de vie d'un habitant de l'Inde ou du Bangladesh demeure de dix-sept ans supérieure à celle d'un Africain. 20 millions de séropositifs n'ont pas accès aux soins rétroviraux. 166 millions d'Africains survivent dans des bidonvilles au milieu des détritus, sans eau, sans égouts, sans électricité. 40 millions d'enfants (50 % de la population a moins de 17 ans) ne peuvent aller à l'école.

La fuite des cerveaux est devenue hémorragique : à titre d'exemple, la Zambie a perdu ces dernières années 1 200 de ses 1 600 médecins. La part du commerce mondial du continent est tombée en vingt ans de 6 % à 2 % (le prix du sucre a baissé de 77 %, celui du cacao de 71 %, celui du café de 64 %...).

S'agissant de la dette (on vient de nous annoncer que les choses vont ici rapidement changer... attendons de lire les textes d'applications !) , force est de constater que l'Afrique subsaharienne a été littéralement laminée sous cette charge colossale, 50 % de l'aide internationale reçue repartant immédiatement en remboursement pur et simple.

Une large part de l'aide humanitaire est utilisée en réponse aux conflits violents (coût des dommages matériels du génocide rwandais ? 1 milliard de dollars)... mais, formidable encouragement à la guerre, on peut acheter sur place une kalachnikov AK-47 pour 6 dollars. Une révolution copernicienne s'impose fondée sur un respect mutuel et des objectifs clairement énoncés :
     d'abord, remettre la machine sur ses rails :
    pallier en urgence l'absence des structures de gouvernance nécessaires à la mise en œuvre des politiques publiques ;
    renforcer les institutions ;
    éradiquer la corruption et rapatrier, en contraignant par une loi les banques étrangères à le faire, les fonds et biens volés au peuple africain par ses dirigeants ;
    investir massivement dans les infrastructures ;
    intégrer sans attendre, et que l'on ne s'imagine pas qu'il s'agit d'un luxe, les exigences de l'environnement et de la lutte contre le changement climatique ;
    favoriser les intégrations régionales en assouplissant les barrières tarifaires entre pays africains ;

     ensuite, doter les Etats africains des moyens nécessaires pour non seulement gérer les conflits armés mais, plus encore, pour les prévenir (maîtriser le trafic des armes dites " légères " ; mettre en place des dispositifs d'alerte, de médiation et de maintien de la paix et, pour en sortir, coordonner les aides " après conflit ") ;

     enfin, faire en sorte que les politiques sociales et éducatives ne laissent personne sur le bord du chemin. Il faut ouvrir les écoles et les dispensaires aux plus pauvres. L'accent doit être mis aussi sur l'enseignement supérieur, la formation professionnelle, la formation des adultes et celle des enseignants. Il faut repenser les services de santé, mettre au point de nouveaux médicaments spécifiques aux endémies du continent, améliorer les consultations en santé génésique et sexuelle, généraliser les réseaux d'assainissement et d'alimentation en eau potable.
Comment y parvenir financièrement ? Le total annuel de l'aide publique au développement s'élève à 78 milliards de dollars US. Le rapport demande que soit trouvée une rallonge de 25 milliards par an jusqu'en 2010, puis 25 milliards de plus de 2010 à 2015. Il invite les pays donateurs à se fixer un échéancier pour consacrer à cette aide 0,7 % de leur revenu annuel.

Pour réunir la masse critique nécessaire à des réalisations rapides, des modes de financements novateurs doivent être trouvés : l'idée d'une taxe sur les billets d'avion est à l'étude. On pourrait, à l'évidence, en ajouter une sur les armes...

Les Africains doivent reconquérir leurs marchés nationaux ou régionaux et commercer avec le reste du monde sans être victimes de règles injustes et de distorsions. Il faut pour cela démanteler les barrières érigées contre les produits africains et supprimer les subventions aux produits agricoles qui faussent les échanges et avantagent injustement ces mêmes pays riches. Aussi s'impose la nécessité de conclure au plus vite le cycle de négociations commerciales de Doha, et cela sans exiger de concessions réciproques de la part des pays pauvres d'Afrique.

Non sans courage, constatant l'incurie de l'action des pays développés en faveur de l'Afrique, le pourtant très libéral commissaire européen au développement Louis Michel, déclarait récemment: " Notre responsabilité est écrasante. Les pays riches ont vécu en se regardant le nombril. C'est de l'inconscience... Nous avons pourtant tous les moyens - scientifiques, techniques, économiques, humains - pour tenter d'adoucir cette violence. " C'est dit : nous attendons du prochain G8 le respect de ses engagements envers l'Afrique.

Nous ne le laisserons pas plus longtemps " se regarder le nombril " . Les concerts géants organisés simultanément à Paris, Londres, Philadelphie, Rome et Berlin mobiliseront la jeunesse de pays qui ne se contentent plus de promesses mais veulent des actes.

La marche revendicative de cette jeunesse qui arrivera, Nelson Mandela en tête, à proximité du G8 de Gleneagles le 6 juillet au matin portera en elle cette volonté, inébranlable, d'en finir enfin avec l'apathie et l'indifférence de l'Occident pour l'Afrique.
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