Je ne voterai pas le traité d'Amsterdam

Jack Lang


Point de vue de Jack Lang, député du Loir-et-Cher, paru dans le quotidien Le Monde daté du 19 août 1997


 
Je ne ratifierai pas le traité d'Amsterdam. Tel qu'il nous est présenté aujourd'hui. Et les députés de plusieurs Parlements nationaux sont prêts à accomplir le même geste. En voici les raisons :

Traité croupion, traité moignon, traité cache-misère, ce document est un texte d'abandon de l'ambition européenne. Par sa pauvreté même, et à l'exception des propositions françaises sur l'emploi, il ouvre la voie à la dilution d'une Union européenne de plus en plus centrifuge, et pire encore, au déclin intellectuel, économique et diplomatique de notre continent. On a même sur certains points réussi l'exploi d'avancer en reculant : ainsi de la politique étrangère et de sécurité commune qui s'éloigne à mesure qu'on croyait s'en approcher.

La voie choisie à Amsterdam n'est pas la bonne : ni par sa vision ni par sa méthode. De rapiéçages en ripolinages, on a simplement colmaté les brèches d'un vaisseau sans capitaine, sans cap et sans moteur. Face à une Amérique vigoureuse, créative, conquérante, l'Europe offre le navrant spectacle de l'inertie. C'est en vain que l'on cherche l'audace de Robert Schumann, l'imagination de Jean Monnet, la clairvoyance de Mitterrand ou l'énergie constructive de Delors et Kohl. Comment tourner le dos au train-train, à la grisaille, sinon en retrouvant l'esprit pionnier des grands bâtisseurs : sortir de la crise par le haut ?

Pour réveiller la flamme et l'enthousiasme, il faut d'abord tenir un langage de vérité et dire avec fermeté que nous n'accepterons aucun élargissement à d'autres pays sans refonte préalable du système. Préalable et non simultanée. Sinon, on nous imposera une fois de plus en dernière minute, par le chantage à l'amitié avec nos amis de l'Est, un texte minimal et médiocre.

Ce serait alors le commencement de la fin : le triomphe de l'Europe ultralibérale de Mme Thatcher sur l'Europe de la volonté. Comme le fait remarquer très justement Jean-Louis Bourlanges, ce serait payer la réunification géographique de l'Europe au prix de la dislocation politique de l'Union.

La vraie amitié consiste alors à dire avec courage aux pays candidats : « Vous ne gagnerez rien à entrer dans une Europe affaiblie, impotente et incapable de conduire la moindre politique industrielle, diplomatique, agricole et culturelle. » C'est au demeurant le sentiment exprimé par notre ministre des affaires étrangères.

Du même pas, et avec une détermination non moins forte, nous devons nous atteler immédiatement au chantier de la réforme des institutions, non pas sous la forme de menus travaux de ravaudage du traité d'Amsterdam re-pondération des voix au Conseil, réforme de la Commission , mais en accomplissant un véritable saut qualitatif par un nouvel acte fondateur.

On attend de la nouvelle équipe gouvernementale française une initiative forte et originale qui puisse changer le cours de l'Histoire et peser sur le destin de nos nations. Une seule perspective permettrait de redonner force et espoir : la création d'une Fédération européenne. Le Parti socialiste s'y était engagé voici deux ans sous l'impulsion de Pierre Moscovici.

A l'énoncé du seul mot de fédéralisme, on entend déjà les ricanements, les quolibets et les rires gras des professionnels du scepticisme. Pourtant un tel projet est à portée de la main. Que dis-je ! Il se construit déjà sous nos yeux sans que les M. Jourdain de l'Europe s'en aperçoivent. Avec l'entrée dans l'euro, plus de la moitié du chemin vers les Etats-Unis d'Europe aura été parcouru. Quatre organes européens seront en effet dotés d'un statut fédéral ou quasi fédéral : la banque centrale, la Cour de justice, la Commission et, partiellement, le Parlement européen.

Une seule institution manquera à l'appel : un gouvernement fédéral. Pour marquer leur volonté d'avancer sur ce terrain, Jacques Delors et les socialistes avaient naguère lancé l'idée d'un « gouvernement économique » de l'Europe. La formule est séduisante. Sa traduction concrète est modeste et décevante : la coordination des politiques économiques sur la base de l'article 103 du traité de Maastricht.

Là encore, on ne peut se payer de mots, de formules incantatoires ou de subterfuges. Sans un vrai exécutif, l'Europe de demain sera bancale. Ajoutons que le parachèvement du processus de renouveau réclamera la création au sein du Parlement européen de deux chambres distinctes pour assurer une double représentation des Etats et des peuples. Mettant fin ainsi à ce face-à-face absurde et paralysant qui oppose en permanence pays peuplés et pays moins peuplés. Un tel rebondissement ne peut être attendu d'un Amsterdam bis. Sauf miracle, l'obligation d'un accord unanime des Etats se traduirait inévitablement par un nouveau compromis sans couleur ni saveur. A vision nouvelle, méthode nouvelle d'élaboration. On ne sortira de l'impasse que par un mélange de détermination, d'imagination et de doigté. Ce nouveau processus pourrait comporter deux étapes.

Dans un premier temps, une personnalité choisie d'un commun accord prendrait son bâton de pèlerin, entreprendrait discrètement et loin des caméras des contacts informels et s'efforcerait de jeter les bases d'une construction nouvelle. Dans un deuxième temps, ce projet neuf serait soumis non pas à une conférence intergouvernementale mais à une véritable Assemblée constituante composée de délégués des peuples, des Etats, des organisations économiques et sociales.

Favoriser les brassages

A l'exemple de la convention de Philadelphie, qui, à la fin du XVIIIe siècle, a donné naissance à la Constitution américaine, la Convention pour la création d'une Europe nouvelle serait habitée par la volonté de réussir. Elle aurait pour mission d'élaborer un document constitutionnel qui renforcerait la capacité d'action de l'Union économie, politique extérieure, éducation et culture. Elle déterminerait clairement la répartition des compétences entre la Fédération, les Etats et les régions. On pourrait ici heureusement s'inspirer de certaines propositions établies en 1994 par Wolfang Schaüble et Karl Lamers.

Le rajeunissement de l'édifice institutionnel devra s'accompagner d'un New Deal de la politique économique et intellectuelle européenne. Ainsi, 60 % des emplois nouveaux aux USA ont été créés par des entreprises nouvelles de haute technicité. Pendant ce temps, l'Europe figée, engoncée dans ses schémas anciens, peine à se tourner vers le futur. L'investissement intellectuel est le premier investissement économique de notre civilisation. Pour redonner âme, vie et souffle à notre continent, il faut y associer pleinement la jeunesse par une révolution de l'éducation, de la culture et de la recherche.

Tirons-en les conséquences. Redéployons les budgets communautaires vers les technologies et la formation. Proposons aux jeunes Européens de vivre, d'étudier et de travailler ensemble. Multiplions les mesures qui favoriseraient massivement métissages et brassages : obligation de l'apprentissage de deux langues vivantes, organisation d'un séjour d'une année des élèves et des professeurs dans un autre pays de l'Union, création d'une université européenne, ouverture de chantiers culturels et scientifiques multinationaux. Voilà une tâche exaltante à laquelle des millions de gens seraient prêts à participer avec enthousiasme pour peu que les dirigeants de l'Europe soient enfin décidés à sortir de leur torpeur.

Si ce chemin est ouvert, nous serons alors nombreux à ratifier avec joie un traité d'Amsterdam conçu, dès lors, comme le premier étage modeste d'une construction autrement plus vaste et ambitieuse.
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