Je n'approuve pas les mesures anti-jeunes, anti-pauvres et anti-prostituées

Jack Lang



  Entretien accordé par le ministre de l'éducation nationale, Jack Lang, au quotidien Le Monde daté du mercredi 14 janvier 2003
  Propos recueillis par Isabelle Mandraud, Daniel Psenny et Anne-Line Roccati

 

L'année commence sous la menace d'une guerre en Irak. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
Résistance et espérance. Résistance à l'impérialisme de l'administration Bush. Résistance à la politique antisociale du gouvernement Raffarin. Mais aussi espérance de la renaissance d'une gauche de combat.

Approuvez-vous Jacques Chirac qui demande à l'armée française de " se tenir prête " ?
L'attitude du président de la République en novembre sur l'Irak nous a valu des sympathies dans le monde entier. Engageons simultanément une lutte sans merci contre le terrorisme et la pauvreté. Et battons-nous pour sauver certains peuples, comme les Tchétchènes et les Tibétains, de la destruction.

La voix de l'Europe est-elle audible selon vous ?
La France et l'Allemagne, qui se sont entre-déchirées pendant un siècle, entraîneront derrière elles tous les autres pays d'Europe si, ensemble, elles disent " non " à l'impérialisme. Si l'Europe a un sens, c'est celui-là. A Jacques Chirac et Gerhard Schröder, je dis : entrez dans l'Histoire, placez-vous dans la lignée de De Gaulle, qui a refusé la guerre au Vietnam, ou de Mitterrand, qui a récusé la suprématie militaire soviétique en Europe.

Quand vous parlez de résistance, vous songez aussi à la mondialisation ?
A l'exploitation des peuples ! La mondialisation est une expression un peu " chicos " qui ne m'a jamais plu. Il faut appeler les choses par leur nom : l'impérialisme. Les États et les peuples sont dépossédés de leur pouvoir au profit des banques et des multinationales. Notre génération s'est battue contre le colonialisme, mais que devient aujourd'hui le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ?

Vous êtes pour le retour à l'État-nation ?
Je crois passionnément à l'exigence de services publics nationaux forts. Je suis contre le libre-échangisme échevelé qui détruit les cultures nationales et les identités locales. C'est pour cette raison que j'ai été le seul parlementaire socialiste à voter contre les accords du GATT en 1994. Plus tard, j'ai, dès la première minute, combattu l'AMI. Je m'opposerai avec la même énergie aux projets de l'OMC de privatisation généralisée des services et des biens publics.

La gauche au pouvoir n'a-t-elle donc pesé sur rien ?
Sans doute n'a-t-elle pas été assez vigilante sur la montée en puissance du capitalisme sauvage. En même temps, elle s'est beaucoup battue pour construire une Europe plus forte et renforcer les services publics. Au contraire de la droite et du capitalisme, qui ne cessent de se liguer partout dans le monde pour les détruire. A l'exemple de la Suède, bâtissons des États puissamment redistributeurs. En France même, l'égalité républicaine est gravement menacée par la paupérisation de l'État et la décentralisation orchestrée par le gouvernement Raffarin. Personnellement, je préconise l'adoption, chaque année, à côté de la loi de finances, d'un pacte national de redistribution des ressources qui assurerait progressivement un rééquilibrage entre les régions pauvres et riches. Boulogne-sur-Mer, Neuilly-sur-Seine : mêmes droits au logement, à la santé, à l'emploi, à l'éducation et à la culture.

Quel jugement portez-vous sur la politique menée depuis huit mois par le gouvernement Raffarin ?
C'est une politique de classe. Ce sont toujours les mêmes qui trinquent et toujours les mêmes qui s'enrichissent. C'est aussi une politique qui tourne le dos à l'avenir. La recherche a été mise au pain sec. Dans l'éducation nationale, ce sont près de 50 000 postes qui ne seront pas au rendez-vous à la rentrée prochaine. Par contre, on ne mégote pas sur la création de centres fermés. Les jeunes, qui ont été les meilleurs remparts contre Le Pen, peuvent avoir le sentiment d'avoir été blousés et floués.

Vous reprochez à M. Chirac de ne pas avoir tenu compte du très large rassemblement pour son élection ?
On a beaucoup glosé sur l'après-21 avril, mais il y avait quand même un pacte tacite entre ceux qui ont été élus et le peuple. Cet événement aurait dû être un tremplin pour faire respirer à pleins poumons la démocratie. Or, nous assistons au règne sans partage d'un parti unique qui s'est emparé de tous les leviers du pouvoir. La République est aujourd'hui verrouillée et cadenassée. La droite accapare les médias. Certains de ses membres campent littéralement dans les studios. Sur certaines émissions, c'est Télé-Matignon qui prend l'antenne. On croit revenir aux pires années Giscard.

Comment la gauche doit-elle s'opposer ?
En se plaçant à l'avant-garde par une présence plus forte dans les luttes. En retrouvant la pêche par sa créativité et sa pugnacité. Le PS doit devenir une véritable force de frappe, un laboratoire de réflexion et une ruche à projets neufs. Au lieu de suivre le dernier chien qui passe, il faut aussi réhabiliter le courage politique et défendre ses idées. Quand Mitterrand s'est prononcé contre la peine de mort, il était minoritaire, tout comme l'a été Lionel Jospin avec le pacs. L'hypermédiatisation de la classe politique a érigé l'opinion publique en maître de tout. Or, il y a des sujets sur lesquels nous continuons à nous montrer d'une frilosité extrême. Un exemple : l'interdiction du cannabis, dont je ne fais pas l'apologie, enrichit des trafiquants et alimente la violence urbaine. Osons aussi rouvrir le dossier des sans-papiers ou encore remettre en cause la politique agricole commune quand elle détruit les cultures vivrières du tiers-monde.

Mais vous avez aussi approuvé Nicolas Sarkozy, notamment sur la fermeture du centre de Sangatte...
Un vrai républicain doit s'imposer un devoir de rigueur intellectuelle, et ne pas changer d'avis. Oui, Nicolas Sarkozy a pris à bras-le-corps le dossier de Sangatte dans un esprit voisin de ce que j'avais moi-même proposé quand j'ai été désigné dans cette région pour l'élection législative. Je ne peux pas me plaindre, non plus, d'avoir contribué à le convaincre d'en finir avec le scandale de la double peine. Mais je n'approuve pas les mesures anti-jeunes, anti-pauvres et anti-prostituées. Si le gouvernement ne s'attaque pas aux racines sociales de la violence, tout son discours sur l'insécurité lui reviendra tel un boomerang.

Allez-vous soutenir François Hollande pour le congrès du PS ?
Je soutiendrai un projet qui sera capable de retrouver le souffle de 1981. En ce temps-là, nous n'avions pas froid aux yeux. Je souhaite une métamorphose de l'organisation même du PS et l'invention des nouvelles utopies. Il faut maintenant une mue, un véritable électrochoc. Le bureau national, actuellement pléthorique, devrait se transformer en " shadow cabinet " d'une quinzaine de membres. Chaque secrétaire national, dans son domaine, devrait être une sorte de contre-ministre. Trop de nos dirigeants sont accaparés par de multiples mandats. Nous devons aussi favoriser le renouvellement des générations de façon méthodique, obsessionnelle, faire circuler un sang neuf et émerger des talents. Nous n'avons même pas été capables de réserver une circonscription à un homme comme Bernard Kouchner, dont la voix nous manque tant à l'Assemblée nationale ! Prenons hardiment des mesures de dénotabilisation du parti. Imposons-nous, dans ce but, la suppression du cumul des mandats et organisons la rotation des responsabilités.

Vous souhaitez une ligne plus à gauche ?
Je souhaite un vrai changement, une réelle rupture avec le conformisme dominant. Plus que jamais, nous devons avoir une double volonté : changer la politique, changer la société. La lutte de classes et l'exploitation de l'homme par l'homme demeurent une réalité. Je sais une chose : quand la gauche est vraiment la gauche, elle peut faire un tabac. Le socialisme, c'est d'abord un message d'amour. Ou ce n'est rien.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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