Une casse sans précédent du service public d'éducation

Jack Lang
Entretien avec Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Libération daté du 1er septembre 2004.
Propos recueillis par Emmanuel Davidenkoff


 

Restauration de l'autorité, insistance sur les méthodes pédagogiques éprouvées ­ dictée, récitation... Vous reconnaissez-vous dans les priorités définies par François Fillon ?
Comment ne pas se reconnaître ? Lorsque nous étions au pouvoir, nous avions déjà initié des mesures dans ce sens. François Fillon le sait, d'ailleurs : il a préfacé la réédition des programmes de l'école primaire que nous avions édictés en 2001 et qui insistaient notamment sur la maîtrise de la langue française. Mais ces annonces ne masqueront pas la réalité, qui est celle d'une casse sans précédent du service public d'éducation.

Vous pensez au budget ?
Oui. Je sais que François Fillon hérite d'une situation gravement détériorée par les décisions de Jean-Pierre Raffarin depuis deux ans et demi et par l'amateurisme échevelé et irresponsable de son prédécesseur, Luc Ferry. Mais le gouvernement semble décidé à poursuivre la mise à sac de l'Éducation nationale, saignée à blanc par la tronçonneuse budgétaire.

Les termes sont violents !
Ils sont pesés. Jamais, depuis la guerre, ce grand service public n'avait connu une telle hémorragie de postes. Même les pires gouvernements de droite n'avaient pas osé. Le gouvernement Raffarin est en train de mettre en œuvre le plus grand plan social du pays. En trois ans, près de 70 000 postes ont été supprimés dont environ 50 000 aides-éducateurs ­ les emplois-jeunes que nous avions créés ­, 2 500 personnels administratifs... Quant aux enseignants, d'ici à la rentrée 2006, ce gouvernement aura supprimé quelque 20 000 postes ! Et je ne parle pas des crédits pédagogiques : tout ce qui offrait des marges de manœuvre et d'innovation a été raboté.

Pour vous, seule compte la question des moyens ?
Mais, derrière les moyens, il y a un projet de société : une école de l'excellence et de l'égalité des chances. A quoi servent, par exemple, les crédits pédagogiques ? A lutter contre l'illettrisme ou à enseigner les arts et les langues vivantes dès le primaire. Il est indécent de se gargariser dans les réunions internationales du respect de la pluralité des langues et des cultures quand on étrangle l'école. Les moyens, cela sert aussi à organiser des groupes de remise à niveau pour les élèves en difficulté, dispositifs qui s'étiolent voire disparaissent ; à lutter contre la violence scolaire...

Que feriez-vous ?
Ce que nous avons déjà fait, avec Lionel Jospin et Laurent Fabius : programmer sur plusieurs années les recrutements d'enseignants, au service d'un projet. Le gouvernement est en train de décourager des générations d'étudiants qui auraient pu se destiner à l'enseignement. C'est un crime contre le futur.

Comment ?
En fermant des concours. En recrutant nettement en deçà des besoins. Prenez la langue arabe. On supprime des postes d'enseignants. Est-ce ainsi que l'on pense aider à l'intégration ? En prenant le risque de livrer les jeunes à des associations confessionnelles parfois douteuses ?

Et l'idée de redéfinir l'école du XXIe siècle avec une nouvelle loi d'orientation ?
Je n'y crois pas. Les lois d'orientation sont souvent verbeuses et sans effet. Seule une loi de programmation pourrait être utile, à condition qu'elle ne programme pas la pénurie !

Mais Lionel Jospin, en 1989, avait justement fait une loi d'orientation...
Elle comportait des objectifs clairement énoncés, des dispositions concrètes. Et prévoyait une programmation que nous avons finalement mise en oeuvre sept ans plus tard.

Où en est le projet pour l'éducation du PS ?
Il est en cours de discussion et occupera une place centrale dans notre programme présidentiel pour 2007. Mais il faut de toute urgence empêcher la droite de poursuivre sa politique de destruction afin que nous puissions faire autre chose, le jour venu, que de recoller les pots cassés.

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