Changeons la République | |
Débat entre Jack Lang, député du Pas-de-Calais et Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire, publié dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 29 septembre 2005. Propos recueillis par François Bazin | |
Vous vous placez tous les deux sous l’égide de Pierre Mendès France pour proposer aux Français une refonte complète de nos institutions. Or vos projets sont diamétralement opposés. Pourquoi ?Notre inspiration est la même car le constat, je crois, est identique. La démocratie française est à bout de souffle. Elle est asphyxiée. Elle crève d’un mal qui n’est pas nouveau mais qui, rarement dans notre histoire, n’avait été aussi profond: l’absence d’équilibre des pouvoirs. Un comble, au pays de Montesquieu ! Arnaud Montebourg : La Ve République a installé un système dangereux car à la fois autoritaire et impuissant. Pas de lieux de débat, pas de lieux de compromis, l’irresponsabilité à tous les étages et l’impossibilité pour les citoyens de se faire entendre. Tout cela nourrit la démagogie et le populisme. La gauche doit proposer la République nouvelle. Comment ?Jack Lang : Je professe depuis longtemps cette même opinion ! Arnaud Montebourg : La seule solution est donc de profiter de la prochaine campagne présidentielle pour soumettre au peuple un projet de réforme démocratique que le président de gauche s’engagera à faire ratifier par référendum. Si Lionel Jospin l’avait compris, en 2002, il aurait suscité une mobilisation et un enthousiasme qui auraient évité le drame du 21 avril. J’ajoute que nous n’avons plus le choix. Une gauche qui reviendrait au pouvoir et voudrait changer le pays en conservant ce système politique échouerait car elle serait contaminée à son tour par le discrédit qui l’atteint. Jack Lang : Tu parles d’or, Arnaud ! On ne libérera pas les talents et les énergies dans un système qui les entrave. Où sont alors vos divergences ?Pour vous, un candidat de gauche serait nécessairement battu s’il s’engageait à abaisser la fonction présidentielle ?Arnaud Montebourg : François Mitterrand avait dans ses campagnes, proposé « de rendre le pouvoir aux Français » et avait gagné sur cette ambition démocratique. La VIe République porte ce projet qui transforme tous les pouvoirs et dont les grands gagnants seront les citoyens. Il ne s’agit donc pas d’abaisser le président, mais au contraire de renforcer ses pouvoirs de protecteur des citoyens et de garant de la Constitution, fonction qui n’existe pas aujourd’hui. Tous les pouvoirs de gouvernement seront en contrepartie dévolus au Premier ministre qui deviendra l’homme fort du régime mais qui, comme dans la totalité des pays de l’Union européenne, répondra enfin de ses décisions devant un Parlement puissant. Il n’est pas question de revenir à la IVe République puisque nous préservons le fait majoritaire à travers le mode de scrutin législatif. C’est un système qui marie la stabilité et la démocratie. Vous ne remettez plus en cause l’élection du président au suffrage universel ! Jack Lang : A force de vouloir la plus belle des Constitutions, tu te fais le complice de tous les conservatismes. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois... Dans le contexte actuel, ton projet signe notre échec en 2007. Or moi, je ne veux pas de ça. Je veux un vrai changement parce que je suis un réaliste révolutionnaire. Arnaud Montebourg est, à vos yeux, un révolutionnaire irréaliste ?Arnaud Montebourg : C’est pourtant ce à quoi aboutit ton projet ! Jack Lang : Absolument pas. Le fait présidentiel existe. Il est durablement inscrit dans l’imaginaire de notre peuple. On peut le regretter mais c’est ainsi. Cependant, on ne peut en même temps accepter cette anomalie mondiale: un président irresponsable pénalement, juridiquement et politiquement. Le système que je propose ne vise pas à abaisser le président mais à le rendre responsable devant l’Assemblée nationale. Il ne cherche pas davantage à redistribuer les pouvoirs entre l’Elysée et Matignon puisque je souhaite la suppression de la fonction de Premier ministre. Mon objectif est d’installer face à face deux pouvoirs - celui du président et celui de l’Assemblée - issus du suffrage universel, élus le même jour et renvoyés en même temps devant le peuple en cas de conflit durable. C’est un système cohérent et responsable qui a toutes les chances de convaincre les Français en 2007. Arnaud Montebourg : L’Etat d’Israël, un moment, l’a expérimenté et c’est la paralysie permanente. Jack Lang : Le Parlement israélien est élu à la proportionnelle intégrale. Ce que je ne propose pas. Arnaud Montebourg : Soit. Donc, c’est un système tellement original qu’il n’existe nulle part dans le monde, sauf dans l’esprit de Jack Lang. Plus sérieusement, c’est un système hypocrite qui nous entraîne tout droit à un régime présidentiel que je crois dangereux pour le pays et pour la gauche. Jack Lang : Il est au contraire d’essence parlementaire puisqu’il repose sur l’idée de la double dissolution. Arnaud Montebourg : Je m’explique. L’année dernière, Jack Lang a écrit un livre dans lequel il se prononçait pour un régime présidentiel avec un président élu au suffrage universel direct et une Assemblée dotée de pouvoirs forts mais ne pouvant être dissoute. Jack Lang : C’est vrai. Mais je me suis aperçu que cela suscitait à gauche - par ignorance ou pour des raisons de principe - de fortes résistances. J’y ai donc renoncé. Arnaud Montebourg : En apparence seulement. Le projet que tu nous ressers aujourd’hui porte en lui la même dynamique qui conduit soit au conflit, soit à l’immobilisme. En cas de conflit, c’est naturellement le président élu au suffrage direct qui installera sa prééminence. On en reviendra donc, de fait, à un système présidentiel qui tuera à petit feu l’action publique en paralysant le pouvoir comme aux Etats-Unis. Pourquoi ?Jack Lang : Dire que le régime présidentiel - que je ne propose plus ! - conduit tout droit au libéralisme est une absurdité. Arnaud Montebourg : Je n’ai pas dit ça ! J’affirme qu’un tel régime plaît naturellement à ceux qui veulent rabaisser le pouvoir politique. Or c’est le cas des libéraux. Pourquoi leur faire ce cadeau quand on est de gauche ? Soyons fidèles à nos valeurs. Le régime parlementaire pour lequel je plaide a été inventé dans l’histoire pour permettre à la population de se faire entendre et non pas pour limiter le pouvoir, et l’empêcher d’agir. Jack Lang : Tu es un démocrate mais tu restes très français. Tu ne supportes pas la division du pouvoir qui seule peut redonner oxygène et vitalité à une République enfin rendue aux citoyens. Au terme de ce débat, une question s’impose: qui, en 2007, peut être le candidat d’une nouvelle République ? Arnaud Montebourg, ne seriez-vous pas le mieux placé pour défendre, lors de la présidentielle, le projet dont vous êtes l’auteur et le promoteur ?Jack Lang : Je te remercie de ces encouragements. Pour rénover la République, je préfère porter mon projet que je livre d’ailleurs à la critique et aux suggestions de mes camarades. Arnaud Montebourg : Encore un effort, Jack ! Tu n’es pas encore arrivé au bout du chemin. Tu vas dans le bon sens mais tu t’égares avec un système qui aboutira à l’inverse de ce que tu dis souhaiter. Réfléchis bien, soit plus audacieux et demain, peut-être que tu convaincras les nombreux partisans de la VIe République à gauche et en France. |
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