Hollande doit constituer
une équipe de choc



Entretien avec Jack Lang, ancien ministre de la Culture, ancien ministre de l'Education de Lionel Jospin, paru dans Le Figaro daté du 14 novembre 2003
Propos recueillis par Pascale Sauvage


 

Depuis plusieurs semaines, vous intervenez de manière plus visible dans la vie du PS. Pour quelle raison ?
Le pays est déprimé parce que la politique est déprimante. Je crois à l'Etat, à la politique et à la puissance publique. Le préalable à tout changement est de redonner à la politique sa dignité et ses lettres de noblesse. Les Français en veulent à Raffarin de sa roublardise et du mensonge permanent dans lequel il les entretient. A un degré moindre, quand la gauche manque de convictions clairement affichées, elle sème elle aussi le doute.

Sur quels sujets estimez-vous que le PS se montre hésitant, sinon absent ?
J'ai déploré la lenteur de notre cheminement sur la laïcité, un principe constitutif de la personnalité du PS. Je me réjouis qu'il ait enfin repris la proposition de loi que j'ai déposée dès le mois d'avril. Il était temps de s'exprimer avec fermeté, clarté et netteté.

Vous-même vous auriez pu prendre une initiative lorsque vous étiez ministre de l'Education...
Longtemps, j'ai pensé, comme d'autres, que le temps ferait son œuvre et qu'une pédagogie persuasive aboutirait à intégrer pacifiquement toutes ces jeunes filles. J'ai évolué, c'est vrai, pour deux raisons. D'abord parce que de nombreux musulmans, croyants ou incroyants, réclament que la République les aide contre les intégrismes. Ensuite, parce que les chefs d'établissement m'ont fait part de leur malaise et réclament une règle nationale édictée sur une base juridique certaine. Je souhaite que le plus vite possible l'Assemblée nationale adopte à la plus large majorité possible un texte répondant à ces attentes.

La gauche devrait-elle voter un texte déposé par le gouvernement ?
Au-delà de la droite et la gauche, il est important que la République parle clair et fort. Le débat a pris une tournure exagérément passionnée et véhémente. Il faut trancher vite pour s'en délivrer et ne pas empoisonner la vie publique. Dès que le Parlement se sera exprimé sans ambiguïté, cette controverse cessera d'elle-même et nous pourrons aborder des sujets beaucoup plus importants, comme l'intégration sociale. Le rayonnement moral de cette loi transcendera l'école. Cette décision de sagesse et de pacification confortera l'autorité de la République.

Suffira-t-elle à enrayer la montée des communautarismes, dénoncée, à droite comme à gauche, comme un danger pour la démocratie ?
Je visite beaucoup d'universités, sur les murs desquelles s'étalent, de plus en plus nombreuses, contrairement à ce qu'on raconte en haut lieu, des inscriptions antisémites et anti-arabes. Le gouvernement donne l'impression de tenir un double langage. D'un côté, les ministres n'ont pas de mots assez durs contre les communautarismes. D'un autre, le gouvernement les encourage en permanence en mettant en oeuvre une forme de clientélisme généralisé. Le communautarisme ne se règle pas à coups de déclarations intempestives. Ce qui est appelé «communautarisme» est la résultante de la ghettoïsation de populations, enfermées dans des conditions de misère sociale et culturelle indignes de notre pays. Le combat contre les ghettos devrait être une grande cause nationale, afin d'en finir avec l'apartheid territorial, social et culturel !

Au-delà de la laïcité, quels sont les sujets sur lesquels le PS devrait s'affirmer ?
Il est temps de nous mettre en ordre de bataille pour gagner les régionales et les européennes. Il appartient à François Hollande de constituer une équipe de choc. Méditons l'organisation déficiente de la campagne présidentielle. Le PS doit redevenir une véritable mine à idées et à projets. Le réveil de l'espoir ne dépend que de nous.

L'extrême gauche et les altermondialistes, réunis en ce moment dans le cadre du Forum social européen, ne vont-ils pas vous en empêcher, malgré les gages donnés par le PS aux altermondialistes ?
Ce vocable de mondialisation me paraît ambigu. Il peut ainsi donner le sentiment que nous ne serions plus internationalistes et serions tentés d'instaurer le protectionnisme, c'est-à-dire l'autarcie, le chômage et la misère. Autre ambiguïté : l'utilisation de la mondialisation pour justifier des politiques nationales contre les services publics. On fait croire que tout se décide à Washington ou à Bruxelles pour masquer l'immobilisme du gouvernement. J'imagine que ce n'est pas ce que pensent les «anti» ou «altermondialistes». Je préfère une expression désuète mais sans équivoque : l'impérialisme. Mieux vaut donc appeler un chat un chat. Cet impérialisme peut être militaire, économique, politique ou culturel. Il peut être l'oeuvre d'un pays ou d'une multinationale. Ce que les peuples refusent, c'est cette domination.

Et le PS ?
Je ne comprends pas que certains socialistes se sentent complexés par rapport à cette mouvance. Là encore, comme pour la laïcité, n'oublions pas notre histoire. Le Parti socialiste fondé à Epinay par François Mitterrand a d'abord été un parti anti-impérialiste, construit contre la guerre d'Algérie et pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. En 1981, c'est François Mitterrand qui, à Mexico puis à Cancun, s'est prononcé contre la domination économique d'une partie du monde sur l'autre et pour la défense des économies du tiers-monde. C'est moi-même qui ai ouvert en 1982 la voie au concept de l'« exception culturelle » à la conférence mondiale des ministres de la Culture de Mexico. J'ai voté en 1994, avec quelques autres, contre les accords du Gatt au Parlement européen de Strasbourg. En 1997, j'ai combattu l'AMI (Accord multilatéral sur les investissements), véritable « soviet » mondial des investissements défendu par l'OCDE. Les altermondialistes n'étaient pas encore nés... Cessons d'avoir des complexes, soyons clairement anti-impérialistes et réjouissons-nous de l'organisation du Forum social européen !

Un autre débat divise le PS, celui de l'Europe. Y prendrez-vous part ?
Le PS a pu donner le sentiment d'être hésitant, partagé. L'Europe appartient aussi au patrimoine de la gauche, de Jaurès à Mitterrand en passant par Léon Blum. Au lieu de faire le jeu des professionnels du scepticisme, qui sont une véritable armée, nous devons, lors des prochaines européennes, transmettre aux jeunes générations notre foi européenne et proposer de nouvelles ambitions pour l'Europe. Ce qui fait crever la politique, ce sont des gouvernants sans courage, sans conviction, sans foi. Raffarin est de ce point de vue un champion toutes catégories.

Vous affichez l'ambition de restaurer les convictions socialistes alors qu'une série de sondages vous classent comme un des meilleurs « présidentiables » du PS. Est-ce une coïncidence ?
Pour reconquérir le pouvoir, nous devons d'abord gagner les régionales. Si nous loupons cette première marche, il n'y en aura pas d'autre. Je crois à la reconquête en 2007 si nous sommes capables de redonner l'envie d'avoir envie, notamment aux jeunes et aux classes populaires. Ce travail n'est pour l'heure pas suffisamment accompli. Je veux y apporter ma modeste contribution. La confiance populaire dont je bénéficie m'autorise à faire valoir mes convictions. Je pèserai de tout mon poids pour que notre candidat à la présidentielle et nos candidats aux législatives l'emportent.

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