Drogues,
la prévention condamnée ?

Jack Lang


Point de vue de Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Le Monde daté du 5 mars 2004


 
Informer les consommateurs de drogues des risques auxquels ils s'exposent est une démarche d'intérêt public, c'est loin d'être une activité sans péril. Jean-Marc Priez le sait, qui pourrait écoper de dix ans de prison en punition d'une prétendue " provocation à l'usage ", en d'autres termes pour s'être fait, sur le terrain, l'acteur d'une politique de prévention subventionnée par le gouvernement. Que lui reproche-t-on ? La diffusion, sur le site Internet de l'association Techno Plus, de deux tracts de prévention, l'un sur le " sniff propre ", préconisant l'usage d'une paille individuelle pour éviter la contamination hépatique, l'autre sur le " drug mix ", soulignant la nocivité de certains mélanges de drogues.

La justice l'avait relaxé en première instance pour vice de forme, mais le parquet a fait appel de cette décision. Pourtant, Jean-Marc Priez n'a cessé d'œuvrer en faveur de pratiques d'injections sûres, d'abord au sein de l'association Aides, pendant plus de dix ans, puis de Techno Plus, dont il a été le président.

Il est naturellement préférable de ne pas consommer de drogues, mais, lorsque les consommateurs sont incapables d'arrêter, lorsqu'ils s'y refusent aussi, il faut réduire au minimum les dangers liés à la prise de stupéfiants. C'est ce qu'a toujours cherché à faire Jean-Marc Priez. C'est ce qu'il cherchait à faire en diffusant ces deux tracts.

En 1970, le législateur a voté une loi répressive contre l'usage des drogues dont la véritable raison d'être était de décourager la consommation, non d'envoyer les toxicomanes au trou. Son application n'a rien fait pour empêcher les délits liés à la consommation d'augmenter, puisqu'on en enregistre plus de 100 000 par an. Face à cette situation, mais surtout préoccupé par la diffusion du sida et des hépatites, le ministère de la santé s'est résigné, à partir de 1988, à soutenir le " shooter propre " et le " sniffer propre ". D'abord à titre expérimental, puis, plus résolument à partir de 1997, lorsque, grâce à Nicole Maestracci, la MILDT (Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie) a officialisé cette nouvelle orientation.

Bien lui en a pris : les résultats sont quasi miraculeux, la contamination par échange de seringues a diminué et, avec elle, le nombre de surdoses mortelles (de 80 %) et d'interpellations pour usage d'héroïne (de 67 %). On pourrait craindre que la distribution de seringues soit une incitation à consommer. Paradoxalement, le nombre d'injecteurs a baissé.

La prévention a fait ses preuves là où la répression avait échoué lamentablement, là où elle échouera toujours. Or la tendance n'est pas seulement à la répression, elle est à une criminalisation de plus en plus dure, de plus en plus injuste, des consommateurs.

La loi punit non seulement l'usage de stupéfiants, mais aussi leur acquisition, leur détention et leur transport. Comment consommer sans acquérir ? Sans détenir ? Sans transporter ? En 2001, 4 321 condamnations ont été prononcées sur ces chefs d'accusation.

Si Jean-Marc Priez est condamné, et, au-delà de lui, les pratiques de son association, Techno Plus, et de toutes les associations de la santé communautaire qui se battent sur le même terrain, l'échec sera considérable.

L'information est le meilleur instrument de lutte contre la consommation de substances dangereuses, d'héroïne, d'ecstasy, de cannabis, de tabac, d'alcool, le seul qui marche. Il est peu probable que la peine maximale soit prononcée contre Jean-Marc Priez. Il est même probable que la charge de " provocation à l'usage " soit ramenée à une simple " incitation à l'usage " passible de cinq ans, qu'il bénéficie d'un sursis ou soit condamné à une amende... Ce serait déjà beaucoup trop.

© Copyright Le Monde


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]