La droite se fait beaucoup de mal

Jack Lang


Entretien avec Jack Lang, porte-parole de la campagne du PS pour les régionales de 2004, accordé au quotidien Le Parisien daté du 8 février 2004
Propos recueillis par Frédéric Gerschel


 

Malgré sa condamnation, Alain Juppé a décidé de rester en politique. L'approuvez-vous ?
Il a fait appel : c'est sa décision. En revanche, je suis consterné par l'offensive de l'UMP contre les juges. Dans une République digne de ce nom, il y a deux principes qu'il faut respecter coûte que coûte : l'indépendance de la magistrature et la séparation des pouvoirs. C'est peu de dire que les deux ont été bafouées.

Qui visez-vous en particulier ?
Il y a eu des déclarations de ministres, de responsables de l'UMP proprement inqualifiables. Ces derniers jours, on a assisté à un spectacle pitoyable. La droite française est décidément incapable d'accepter un autre pouvoir que le sien. Elle considère que l'ensemble de la société doit être verrouillé par un parti unique dominant. C'est une vieille maladie, apparemment incurable. Cette attitude contre les juges a choqué les gens. En agissant de façon aussi sectaire, la droite s'est fait beaucoup de mal à elle-même.

Chirac n'a pas souhaité saisir le CSM (Conseil supérieur de la magistrature) pour enquêter sur les problèmes qu'auraient rencontrés les juges de Nanterre...
C'est anormal. Le droit est le droit, il faut le respecter. On ne peut pas exiger, notamment de la part des jeunes, le respect des règles et de l'autorité tout en les bafouant au plus haut niveau. On va emprisonner un gamin qui a piqué une moto pendant plusieurs mois tandis que d'éminents dirigeants s'autorisent à violer les lois, les textes, la Constitution même. La seule voie de droit qui existe pour examiner les éventuels incidents qui ont entouré le travail des juges, c'est la saisine du CSM. Point final.

Le PS va finalement voter la loi sur la laïcité. Vous étiez un des plus réticents...
Je ne change pas d'avis. Je persiste à penser qu'une bonne loi est une loi qui répond à une double exigence : exigence de clarté, exigence d'égalité. L'expression « signe ostensible » est floue, il aurait fallu introduire « signe visible ». Par ailleurs, pour mettre toutes les religions sur le même pied, j'étais favorable au précepte suivant : « Ni croix, ni kippa, ni foulard ». La rédaction retenue risque d'apparaître comme discriminatoire pour les seuls musulmans.

Voterez-vous le texte malgré tout ?
Si mon groupe le décide, oui. Si les garanties sont données pour une application juste, équitable et sérieuse de la loi, mieux vaudrait peut-être s'y rallier. L'assise morale qui serait donnée par un vote large permettrait de tourner la page. Cet épisode dure depuis trop longtemps.

C'est-à-dire ?
Le gouvernement amuse la galerie. Pendant qu'on discute à n'en plus finir du voile islamique, l'équipe Raffarin ne cesse de matraquer l'école, de supprimer des milliers de postes d'éducateurs, de professeurs, de personnel non enseignant. Au cours des dix-huit prochains mois, sachez qu'on supprimera près de 12 000 postes uniquement dans l'enseignement secondaire. C'est une hémorragie sans précédent depuis la Libération. La rentrée 2004 se présente sous les pires auspices. Selon mes informations, les enseignants se préparent à un nouveau combat. Le réveil risque d'être douloureux pour le gouvernement.

Craignez-vous une poussée du vote FN et de l'abstention lors des régionales ?
Je ne lis pas dans le marc de café. Mais je dis aux Français : saisissez cette occasion qui vous est donnée d'exprimer votre mécontentement vis-à-vis de la droite. Vous voulez donner une claque au gouvernement, lui administrer une raclée, eh bien, votez socialiste car nous sommes les seuls à pouvoir gérer les régions et les départements et faire cesser la casse sociale, économique, culturelle. Le combat est frontal. C'est eux ou c'est nous. Une dispersion des voix risque de nous faire revivre la confusion du 21 avril. Et on sait où cela mène.

On reproche aux socialistes de ne pas avoir proposé grand-chose depuis deux ans.
Ces dix-neuf mois de gouvernement Raffarin auront quand même permis à beaucoup de Français de s'apercevoir qu'entre la droite et la gauche, ce n'est pas du pareil au même. Aujourd'hui, on peut comparer les actes des uns et des autres. Le bilan de la législature Jospin est infiniment supérieur. Il y a clairement deux visions de l'homme qui s'affrontent, deux conceptions de la société, deux approches de la vie publique.

Certains au PS vous prêtent des ambitions pour 2007...
Poser la question de l'élection présidentielle aujourd'hui n'a aucun sens. La France traverse une période d'inquiétude, de doute, de confusion, et les gens en ont marre qu'on personnalise le débat sans arrêt. La priorité pour la gauche, c'est de retrouver la santé.

Quel rôle vous verriez-vous jouer ?
J'ai la chance de bénéficier de la confiance populaire et mon intention est de soutenir un projet de gauche, authentiquement de gauche. Le pouvoir pour le pouvoir ne m'intéresse pas. J'en ai connu les charmes et les limites. Mais le pouvoir pour faire évoluer, pour transformer, oui. Le grand défi de demain sera de changer la vie, la société, de s'attaquer au conservatisme et à la loi du profit aussi fortement qu'en 1981.

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