Élargir la liberté d'écouter

Jack Lang


Point de vue signé par Jack Lang, député du Pas-de-Calais, ancien ministre de l'éducation nationale, paru dans le quotidien Libération daté du 9 mars 2005

 
L'essentiel de l'effort législatif s'est concentré ces dernières années sur des technologies de télévision numérique, on a oublié la doyenne des médias électroniques : la radio.

L'ouverture de la bande FM aux radios libres par François Mitterrand, il y a vingt-trois ans, a permis à des milliers de radios de toute sorte de prendre la parole. C'était une nécessité démocratique qui s'est faite contre des élites techniciennes pour lesquelles, alors, liberté et désordre étaient synonymes. Ce blocage initial, nous le payons depuis plus de vingt ans. Car cette initiative de liberté aurait dû s'accompagner d'une réforme du plan de fréquences.

Le plan de fréquences de la FM est difficile à mettre en oeuvre mais simple à comprendre. Les radios FM émettent chacune sur une fréquence qui leur est propre dans un rayon d'une cinquantaine de kilomètres. Le territoire est divisé en zones de diffusion calquées sur les agglomérations, et chaque zone de diffusion est à son tour divisée en portions, chacune dévolue à une radio en particulier. Quel écart entre deux radios pour qu'elles ne se brouillent pas entre elles ? Comment répartir les radios entre deux agglomérations proches dont les zones de diffusion se superposent ? Telle est la problématique du plan de fréquences.

Initialement, avant l'éclosion des radios libres, le service public était le seul utilisateur des fréquences FM. Comme il fallait diffuser le même programme partout sur des milliers de fréquences et que, il y a cinquante ans, n'existaient ni le satellite ni aucun moyen moderne de transmission, il fut décidé que chaque émetteur public capterait le signal d'un autre pour le réémettre à son tour. Ainsi, chaque réseau public fut conçu comme une couverture circulaire de tuiles en cascade (les zones de diffusion) rayonnant à partir de la tour Eiffel. Ce système astucieux à l'époque mais extraordinairement consommateur de fréquences et de puissance d'émission ne fut jamais remis en cause, malgré les progrès techniques qui se succédèrent. Les radios libres furent placées dans les interstices disponibles sans aucun plan d'ensemble. Nous en sommes là.

C'est à ceux qui brouillèrent les radios libres et qui expliquèrent aux gouvernements de gauche comme de droite qu'il n'y avait pas de fréquences disponibles que revint la charge de cette tâche de planification ! Les plans de fréquences étaient élaborés dans la plus absolue opacité, et le monde politique, souvent sollicité par les radios, se heurtait à un mur.

Le système profita à certains, étrangla quelques autres et en tua beaucoup. L'autorité en charge de la distribution des fréquences bourra les interstices au maximum jusqu'à épuisement, et l'idée se répandit qu'on ne pouvait plus rien faire, qu'il n'y avait plus de fréquences. La fatalité de la pénurie était sans appel. Il fallut reprendre le combat à contre-courant pour démontrer que cette prétendue pénurie n'était pas le résultat de lois physiques, mais de lois tout court, et que l'on pouvait changer les choses.

Car quel est l'enjeu ? L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, consacré à la liberté d'expression, prévoit non seulement la liberté de communiquer, mais son nécessaire pendant : la liberté de recevoir. Si ces libertés sont naturellement circonscrites par la loi, rien n'indique qu'un Etat puisse, sans déroger à cet article, maintenir dans l'obsolescence le plan de fréquences dont il a la charge, privant ainsi des millions de citoyens de la liberté de recevoir.

La passivité des autorités audiovisuelles n'était pas recevable, et c'est donc avec sagesse que les Assemblées ont voté, l'été dernier, la réforme tant attendue du plan de fréquences. Mais ne nous leurrons pas. Les vieilles coalitions qui ont maintenu le système bloqué par intérêt ou paresse n'ont pas baissé la garde. On les vit combattre la réforme, se liguer publiquement ou par lobby interposé contre l'idée de la radio pour tous, contre l'idée du plus de radios pour le grand nombre !

Le CSA a pris fait et cause pour cette réforme et c'est tant mieux. Il faut l'aider à accomplir sa consultation publique sur l'aménagement du spectre hertzien. Il nous faut pour cela demeurer vigilants. Oui, la réforme du plan de fréquences pour la radio FM renforce le service public en améliorant sa diffusion et lui permet de développer de nouveaux programmes ; oui, elle donne une vitalité nouvelle aux radios généralistes et aux radios indépendantes menacées par l'arrivée de la publicité télévisée pour la distribution ; oui, elle donne enfin à la jeunesse ses radios dans toute la France et permet un nouvel élan aux radios locales et associatives. Mais elle nécessitera des efforts, de la volonté, l'appui des élus. Et nous avons tous à y jouer notre rôle. La réforme du plan de fréquences, comme l'accès à l'Internet haut débit ou à la téléphonie mobile, est un enjeu d'aménagement du territoire et plus largement un enjeu de liberté. Nous avons déjà gagné la liberté d'émettre, gagnons maintenant la liberté d'écouter.
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