Nous devons tenir un langage de vérité et de courage

Jack Lang


Transcription du débat avec Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru sur le site du quotidien Le Monde (28 septembre 2005)
Chat modéré par Alexis Delcambre et Fanny Le Gloanic

 

tahualpa : Bonjour, Monsieur Lang. Les sondages vous placent en bonne position pour la présidentielle. Ma question est : comment rompre avec le discours politique dominant pour impulser des changements massifs et non dosés par à-coups, tels qu'ils semblent être destinés à apaiser des grognes sporadiques ? Je pense particulièrement à la question du logement.
La seule solution, c'est de parler clair et concret. La question du logement est gravissime, et je crois qu'il faut avoir l'audace de la traiter de front. En particulier, parmi les réponses concrètes, il y a celle qui touche au coût du foncier, qui décourage la construction de logements sociaux. Sur ce plan, on peut imaginer des mécanismes d'acquisition par la puissance publique. L'autre sujet est celui de la mixité sociale, et là aussi, c'est une question de choix. On ne peut accepter que des villes ou des quartiers soient ghettoïsés. Des ghettos de riches ou des ghettos de pauvres. C'est une question de volonté politique forte.

Robert : La brisure provoquée par Laurent Fabius n'est-elle pas révélatrice d'une dérive " droitière " du PS ?
Dérive droitière du PS, laquelle ? Celle de Laurent Fabius ou celle de la direction du PS ? La question n'est pas claire. La dérive droitière, malheureusement, se produit parfois lorsque des responsables socialistes accèdent aux responsabilités gouvernementales. Mieux vaut être révolutionnaire au gouvernement que dans l'opposition.

Ludwig : Quel est le programme du PS : une gauche opposée au libéralisme ou un centrisme vaguement social ?
En un mot, il y a deux visions de la société : la vision de droite, qui transforme l'être humain en marchandise et qui garantit et perpétue la dictature du profit, de la rentabilité à court terme et de la spéculation financière ; et une vision de gauche, qui, à l'inverse, place l'être humain au cœur d'un projet de société pour faire régresser la marchandisation. Nous avons besoin de services publics forts et puissants, et de politiques publiques audacieuses : éducation, recherche, industrie, etc.

Ludwig : Comment le PS peut-il renouer avec son électorat à la suite du désaveu du 29 mai  ?
Le désaveu du 29 mai est un désaveu qui visait M. Chirac. Les électeurs ont exprimé une colère contre le pouvoir établi. Ils l'avaient d'ailleurs exprimée un an plus tôt, au moment des élections européennes et régionales. Le PS n'était pas candidat au scrutin du 29 mai, c'était M. Chirac proposant un texte de référendum, et celui-ci a tourné à l'anti-plébiscite, par un rejet massif de M. Chirac. D'ailleurs ceux des dirigeants socialistes qui bénéficient de la confiance populaire sont ceux-là mêmes qui ont mené campagne en faveur du oui. Preuve que pour les électeurs, la question du 29 mai était une protestation forte contre la droite, et non pas contre tel ou tel dirigeant socialiste.

Gille : "Changer le PS", cela veut-il dire rompre avec le système du parti d'Epinay ?
Sûrement pas ! Le congrès d'Epinay visait à faire du PS l'axe central de la gauche. Et aujourd'hui, plus que jamais, le PS se doit d'être offensif, créatif, audacieux, et c'est autour de lui que le rassemblement de la gauche s'opérera le jour venu.

Ludwig : Peut-on envisager une scission au sein du PS, à l'instar de ce qui s'est fait outre-Rhin avec le Linkspartei ?
Sûrement pas. Cette question ne se pose pas. Je crois que l'actuelle majorité du PS l'emportera au prochain congrès, et l'autorité morale du PS en sortira renforcée.

Starsailor : Quelles propositions concrètes pour "placer l'être humain au cœur du système"? Que pensez-vous du smic à 1 500 euros ?
Ce montant me paraît encore trop modeste. Si vous partez des augmentations du smic décidées sous le gouvernement Jospin, vous obtenez un chiffre de 1 400 euros en 2012. Nous proposons que cette augmentation du smic soit calculée en net. Il faut donner à chacun un logement décent, un véritable emploi et une éducation qui lui permette d'obtenir une qualification élevée. Il faut donc des politiques publiques puissantes en faveur du logement, de la croissance et de la recherche.

Clément : Que pensez-vous de la candidature d'une femme à l'élection présidentielle  ?
C'est une très bonne chose. Il ne faut pas juger une candidature en fonction du sexe de la personne, mais de sa capacité à rassembler large. La question du sexe n'a pas lieu d'être posée.

Alain : Vous êtes candidat à l'élection présidentielle. Qu'est-ce qui vous différencie des autres candidats du PS ?
Difficile de parler de soi-même. Il faut s'interroger sur les paramètres qui peuvent constituer une bonne candidature. Le premier est l'expérience de la gestion de l'Etat. J'ai été douze ans ministre de la République. Deuxième paramètre : la confiance populaire. J'ai le sentiment qu'elle ne m'est pas refusée. Troisième paramètre : la puissance et la force de conviction pour faire changer les choses. Cette question est à examiner par comparaison avec d'autres. Laissons le temps de la décantation faire son œuvre.

Ludwig : Le grand nombre de candidats plus ou moins déclarés au PS ne risque-t-il pas de désorienter les partisans socialistes ?
La question des candidatures n'est pas principale aujourd'hui. Il s'agit de mettre en ordre de marche le PS dans un esprit collectif. Personnellement, je travaille de toutes mes forces à la réussite du congrès du Mans, qui aura lieu en novembre prochain. Le choix du candidat sera opéré dans un an. Patience, patience, patience...

Blutch : Alors que la France compte 3 millions de chômeurs, la division du PS est-elle un aveu d'impuissance de l'opposition à formuler des propositions claires contre ce fléau  ?
Le congrès du Mans donnera la parole aux militants socialistes. Et ils trancheront clairement entre les uns et les autres. Et une fois une majorité acquise, le PS parlera d'une seule voix, en particulier pour lutter contre le cancer du chômage.

Seb : Est ce que le congrès du Mans va marquer, selon vous, le renouveau du PS ?
C'est une condition sine qua non du renouveau. C'est une étape. Après la crise qui a malheureusement fait beaucoup de mal au PS, le congrès du Mans donnera au PS une unité, une capacité à rassembler la gauche.

Miles : Ne pensez-vous pas que le manque de renouvellement du personnel politique est l'un des problèmes majeurs en France, et cela si on le compare à nos voisins européens ?
C'est assez vrai. La France est marquée par une longévité exceptionnelle du personnel politique. Ce n'est pas le seul pays dans ce cas. L'Italie, par exemple, ou le Portugal, sont dans la même situation. Etrangement, les pays du Sud en général sont attachés à une certaine expérience des responsables politiques. Les pays du Nord font plus aisément confiance à des femmes ou des hommes plus jeunes, plus neufs.

Luizou : Que pensez-vous du terrain institutionnel de la Ve république ? Doit-il être bouleversé radicalement ?
Pour moi, changer la République est une nécessité absolue. Ce n'est pas un luxe d'esthète du droit. Aujourd'hui, le pays crève d'une asphyxie du système. Une des nombreuses anomalies du système français, c'est la concentration des pouvoirs entre les mains d'un seul homme, qui, en même temps, est irresponsable politiquement, pénalement et juridiquement. C'est pourquoi je propose qu'il soit à l'avenir responsable devant l'Assemblée nationale, et que notre Assemblée nationale, qui est une Assemblée au rabais, devienne une Assemblée à part entière, comme dans les autres pays d'Europe. Ce changement profond est une nécessité absolue si l'on veut transformer la situation économique et sociale. Par exemple, nous ne pourrons vaincre la malédiction du chômage si nous ne sommes pas en mesure de mobiliser l'ensemble du pays, les travailleurs, les syndicats, les entrepreneurs, les citoyens. Ceux qui souhaitent m'interroger plus précisément peuvent m'écrire sur le site : jacklang.net. Dans mon livre Changer, édité chez Plon, je soumets plusieurs autres idées de transformations.

Gedeon : Peut-on espérer une alliance entre vous et Arnaud Montebourg ?
Pour l'heure, le NPS souhaite renverser l'actuelle direction du PS. Ce n'est peut-être pas la meilleure voie pour aboutir à un accord... Mais si, comme je le crois, nous l'emportons largement au congrès du Mans, toutes les bonnes volontés seront les bienvenues. Il y a en particulier un point sur lequel les analyses de Montebourg et de moi-même convergent : la transformation de la République.

Sören : La motion Hollande, que vous soutenez, est-elle axée sur une copie du modèle scandinave, que tous le monde semble vanter ?
Oui, on peut dire cela. Nous nous inspirons évidemment des expériences politiques qui réussissent. La Suède, par exemple, parvient à la fois à créer des emplois et de la richesse économique tout en assurant un haut niveau de protection sociale et une élévation de l'éducation et de la recherche.

Djiddy : Comment analysez-vous la fuite de l'électorat ouvrier vers le FN ?
C'est un phénomène déjà très ancien. Les analyses sont multiples. Certains pensent que l'affaiblissement du PC a conduit certains électeurs protestataires à voter pour un parti de gueulards. Par ailleurs, aux dernières élections, régionales et européennes, les socialistes ont retrouvé la confiance d'une bonne partie de l'électorat populaire. Il faut pour ce faire créer une dynamique, redonner une vraie espérance, et surtout proposer des projets clairs et concrets.

Burkimbila : Vue de l'extérieur, la France, ces dix dernières années, semble être un pays qui se crispe, qui hésite. Que faire à gauche pour créer une nouvelle dynamique, une nouvelle espérance ?
Je pense que la gauche doit être exemplaire par sa rigueur morale et intellectuelle. Face à un gouvernement qui ne cesse de tromper les Français, nous devons tenir un langage de vérité et de courage. Par ailleurs, je crois qu'il nous faudra proposer un programme qui montrera comment nous pouvons remettre en marche l'économie et assurer concrètement l'égalité des chances. Mais on ne peut pas répondre en deux mots à une telle question... Et c'est un sujet sur lequel nous avons encore à travailler, il faut le dire. Pour moi, la gauche a une double mission : rétablir une prospérité créatrice d'emplois, donner sa chance à chaque citoyen et aussi à chaque partie du territoire national.

Korch : Une coalition avec l'UDF est-elle envisageable ?
Inimaginable. Ce serait une confusion qui ajouterait au doute et au scepticisme des Français.

Blutch : Monsieur Lang, vous n'êtes pas concret dans vos réponses. N'est-il pas temps de proposer des solutions concrètes aux questions qui vous sont posées, ici comme chaque jour dans ce pays ?
Qu'on me pose des questions concrètes, et non pas des questions générales. Je veux bien répondre à des sujets précis : l'éducation, la recherche, l'industrialisation... Mais les questions qui me sont posées sont beaucoup trop générales.

Alain : L'éducation suscite un grand intérêt dans notre pays. Quelles mesures immédiates vous semblent nécessaires ?
D'abord, redonner à l'éducation une priorité dans le budget de l'Etat. Depuis trois ans, l'éducation a été littéralement massacrée. Près de 8  000 postes ont été détruits. Naturellement, ce n'est qu'une première condition d'une politique nouvelle. Pour lutter contre les grandes inégalités sociales et culturelles, il faut imaginer, parallèlement à l'école, un véritable service public d'accompagnement des enfants, des jeunes, et même des parents. Parmi les mesures que je propose : l'obligation scolaire à 3 ans, la création de classes-passerelles pour les enfants entre 2 et 3 ans, le soutien aux associations périscolaires pour favoriser l'initiation aux sports et aux arts. Je préconise aussi pour les élèves des collèges la possibilité d'une prise en charge complète des études dirigées, la création de véritables internats, le doublement des bourses. Ensuite, au lycée, je voudrais que l'on puisse prendre des mesures concrètes pour encourager les élèves à s'orienter vers les grandes voies de formation : lettres, sciences, économie, et à les détourner des voies de garage dans lesquelles ils se réfugient parfois. Enfin, notre enseignement supérieur, aujourd'hui abandonné, aurait besoin d'un coup de booster très sérieux. Et l'une des questions importantes qui se posent pour l'avenir est la pénurie de jeunes hautement qualifiés. D'où la nécessité d'un plan pluriannuel de développement des universités et des grandes écoles.

Jclaude : Et où trouver l'argent pour ces généreux programmes éducatifs ?
La question est plus générale, c'est quelles ressources nationales pour quel type de dépenses ? On est là au cœur des choix politiques. Le gouvernement actuel accorde en permanence des cadeaux fiscaux aux plus riches, dépense dans l'arme nucléaire des sommes folles. Dans le même temps, il étouffe la recherche, l'éducation et la culture, c'est-à-dire les dépenses d'avenir. C'est un choix collectif que l'on doit opérer. Il faut améliorer les ressources fiscales, notamment en frappant les hauts revenus et les patrimoines les plus importants, il faut entreprendre des économies dans certains ministères : défense ou finances. Et à l'inverse, il faut changer de braquet en faveur des ministères de l'emploi, de la recherche, de l'éducation et de la culture.

Vincent 75 : Votre réaction aux propos scandaleux de M. Baroin qui met les DOM-TOM en situation explosive  ?
Je suis favorable au droit du sol. Un enfant né en France est français. Je trouve inadmissible que le gouvernement envisage de remettre en cause une grande tradition nationale. Cette tentative de remise en cause du droit du sol s'inscrit dans une politique globale anti-immigrés et anti-étrangers.

Gilles Deuge : Et le paramètre européen ? Comment le relancez-vous  ?
On est dans une belle mouise aujourd'hui ! On attend toujours le fameux plan B promis par les responsables politiques partisans du"non". Ils avaient fait croire aux Français qu'un "non" français susciterait la mise en mouvement des peuples européens pour réclamer un traité plus social encore. La triste vérité est autre : la droite libérale gagne les élections en Allemagne et en Pologne massivement. Il est donc illusoire de faire croire que l'on pourra renégocier un meilleur traité au cours des prochaines années. Mais en même temps, je suis optimiste, et si nous gagnons les élections l'année prochaine, nous essaierons avec les gouvernements de gauche européens de relancer la flamme européenne.

Mouif : Monsieur Lang, votre position au sujet de l'envolée des prix du pétrole ?
C'est un fait, consécutif à la déstabilisation du monde opéré par les Etats-Unis. Et aussi par un certain nombre d'accidents naturels comme les divers tsunamis et ouragans. Donc il n'y a pas un gouvernement mondial qui pourrait aujourd'hui empêcher cette flambée du pétrole. On peut bien sûr tenter de négocier avec les pays producteurs. On doit aussi limiter les conséquences pour l'économie, pour les investisseurs et les consommateurs de cette hausse des prix du pétrole. Nous sommes partisans que les consommateurs puissent bénéficier d'un certain nombre de rabais, notamment lorsque les prix tendent à se stabiliser. Par ailleurs, je souhaiterais que l'on crée une taxe sur les super-profits des compagnies pétrolières à hauteur de 1 milliard d'euros, pour financer dans les régions françaises les plus pauvres des infrastructures ferroviaires ou fluviales. Enfin, je crois qu'il faut plus que jamais s'interroger sur les énergies de substitution.

Ludwig : Que peut faire le PS contre la marée libérale qui gagne l'Europe ?
Nous ne pouvons pas nous substituer aux électeurs polonais ou allemands. Nous avons déjà à convaincre nos propres citoyens. Et je suis convaincu que si la gauche l'emporte l'année prochaine, un leadership français peut contribuer à endiguer cette vague libérale. Et nous nous associerons à nos amis espagnols, portugais, nordiques, et sans doute italiens. C'est une dynamique que nous devons créer à partir d'une victoire électorale l'année prochaine.

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