TVA sociale, un leurre total

Jack Lang
Point de vue signé par Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Libération daté du 30 janvier 2006


 
Profitant des traditionnelles cérémonies de voeux qui inaugurent la nouvelle année, le président de la République avait relancé le débat sur le financement de notre système de protection sociale en proposant une fois de plus des recettes d'apprenti sorcier. L'enjeu est de taille, il mérite l'attention et l'intelligence de tous. Les dépenses de protection sociale sont passées en quinze ans de 26,5 % du PIB à plus de 30 %. Dans le même temps, le taux de chômage des travailleurs non qualifiés est passé de 6 % à 16 %. Comment continuer à financer des dépenses qui s'envolent sans en faire peser le poids sur le seul facteur travail via la hausse des cotisations sociales, qui in fine pénalisent l'emploi ? Comment sauvegarder un système de protection équitable tout en lui garantissant des recettes suffisantes ?

Marotte du sénateur Jean Arthuis, la TVA « sociale » est une piste de réforme qu'on nous ressert à l'envi. Disons-le d'emblée : cette formule est aussi « sociale » que les plans du même nom. De quoi s'agit-il ? Ni plus ni moins que du transfert d'une partie des cotisations sociales patronales (assurance maladie et allocations familiales) sur les recettes de la TVA, dont le taux augmenterait d'environ 4 points. Cette solution, techniquement simple à mettre en oeuvre, est parée de toutes les vertus par ses thuriféraires : à les entendre, elle permettrait de réduire le coût du travail tout en renforçant la compétitivité de nos entreprises, sans renchérir les prix à la consommation. En faisant baisser le prix des biens exportés (qui ne sont pas soumis à la TVA) et en augmentant celui des biens importés, la TVA sociale freinerait les délocalisations et ferait participer les producteurs étrangers au financement de notre protection sociale. Nul risque d'inflation (et donc de réduction du pouvoir d'achat des consommateurs) nous dit-on, puisque la diminution des coûts de production engendrée par les allègements de charges sociales ferait mécaniquement baisser le prix hors taxe des biens produits en France...

Que les bonimenteurs de la TVA sociale me permettent de dire sa profonde injustice et de douter de l'efficacité de leur recette miracle ! L'argument protectionniste selon lequel ce mode de financement de la protection sociale décuplerait notre compétitivité ne résiste par un instant à l'épreuve des faits : comme le soulignait récemment l'économiste Patrick Artus, que vaudrait une baisse des prix à l'exportation de 4 % lorsque les coûts salariaux sont cinq fois plus faibles dans les pays d'Europe centrale et quarante fois plus faibles en Chine qu'en France ? Par ailleurs, une très faible appréciation de l'euro suffirait à annihiler le maigre avantage compétitif que cette mesure procurerait à nos exportations. Si les bénéfices à escompter de la mise en place d'une TVA sociale apparaissent largement théoriques, ses inconvénients sont en revanche bien réels. L'hypothèse selon laquelle les entreprises répercuteraient intégralement la baisse des cotisations patronales sur leur prix de vente hors taxe est hardie, pour ne pas dire franchement malhonnête. L'expérience montre qu'il existe une certaine rigidité à la baisse des prix des biens et services, surtout lorsque les entreprises évoluent sur des marchés peu concurrentiels. En entraînant l'économie dans une spirale inflationniste, l'instauration d'une TVA sociale risquerait en fait d'amputer significativement le pouvoir d'achat des salariés. Remémorons-nous l'échec cuisant d'Alain Juppé dont la hausse de TVA n'avait abouti qu'à réduire la consommation et les recettes fiscales... Une telle perspective serait dangereuse pour notre économie et inacceptable du point de vue de la justice sociale.

Pour parer à ces chausse-trappes, M. Chirac veut nous vendre un substitut moins tape-à-l'oeil. Il nous propose de créer de facto un nouvel impôt, assis sur la valeur ajoutée, avec une modulation des taux selon les secteurs économiques. De la même manière que la CSG prend en charge les cotisations famille et maladie, c'est sur ce nouvel impôt que serait basculée une partie des charges patronales, qui pèsent aujourd'hui sur le travail. A y regarder de plus près, ce dispositif, qui a toutes les allures d'une fausse bonne idée, pourrait se révéler être une véritable usine à gaz si l'on ne lui prête pas attention.

D'abord, un tel impôt créerait d'incontestables distorsions entre les entreprises en handicapant les activités à forte valeur ajoutée par travailleur. Sans parler de la menace qu'il ferait peser sur l'investissement productif, l'élargissement de l'assiette des cotisations patronales à l'ensemble de la valeur ajoutée risquerait de susciter des réallocations d'emploi et de capital entre secteurs particulièrement coûteuses pour notre économie. Mais le principal problème est ailleurs.

Les cotisations sociales n'alourdissent pas le coût du travail uniformément et donc ne pénalisent pas l'emploi à tous les niveaux de qualification. Le poids des charges sociales n'est pas préjudiciable à l'emploi des managers en banques d'affaires ! C'est au niveau du Smic que le coût du travail est un facteur de chômage pour les travailleurs les moins qualifiés. Pour dynamiser l'emploi, il ne sert à rien de baisser uniformément les charges sociales, comme semble le préconiser M. Chirac. C'est sur les bas salaires qu'il faut porter nos efforts. Sans cela, on risque fort d'accroître les inégalités salariales. Depuis quinze ans, la demande de travail peu qualifié a baissé de plus de 5 points relativement à celle du travail qualifié. De ce fait, les salariés les plus diplômés, disposant d'un pouvoir de négociation accru, pourront probablement récupérer à leur profit une partie des baisses de charges. Les moins qualifiés, eux, n'ont que peu de chances de voir leurs salaires nets augmenter à la suite des allègements.

Il me semble donc plus opportun d'élargir le champ de notre réflexion à la mise en place d'une réforme qui soit moins distorsive pour financer nos dépenses sociales. La CSG, créée par la gauche en 1991, est à cet égard un outil toujours approprié : son rendement est élevé, son assiette est mixte (revenus du travail et du capital), mais, à la différence de la valeur ajoutée, elle ne pénalise pas l'investissement et l'innovation. Pour ce qui est de favoriser l'emploi, répétons-le, la méthode la plus efficace reste le ciblage des réductions de charges sociales sur les bas salaires, et sur eux seulement. Les allègements actuels sont malheureusement loin d'être parfaits : ils sont encore insuffisants et leurs effets de seuil tendent à enfermer les travailleurs les moins qualifiés dans les trappes à bas salaires. Ce débat mérite mieux que les miroirs aux alouettes tendus année après année par Jaques Chirac en guise d'étrennes présidentielles.
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