Mitterrand nous permettait de croire que l'impossible était possible

Jack Lang
Point de vue signé par Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 9 janvier 2006


 
Un jour, j'ai eu quinze ans. En moi, les mots « Algérie », « guerre », « torture », bien d'autres encore, appelaient une réponse. Je trouvais le monde sombre et les hommes immobiles devant les injustices. Mais que faire à quinze ans ? Sans doute n'aurais-je pas eu la chance inouïe d'extirper ma jeunesse de ces sables mouvants, si je n'avais vu apparaître deux hommes qui me firent croire en l'avenir. Comme surgi du néant, Pierre Mendès France venait, en quelques mois à peine, d'insuffler à la France un désir nouveau pour une autre politique. Nul, alors, pas même ses pires adversaires, n'aurait souri en entendant les mots de « vérité », d'« éthique » ou de « morale » appliqués à la politique. C'était donc possible. J'avais quinze ans, et c'est ainsi que j'ai eu quinze ans pour la vie.

Animé par le mendésisme qui venait d'entrer de plein fouet dans mon paysage intellectuel, je guettais un homme qui nous ressemblait, sans que nous sachions bien dire pourquoi. Lorsque François Mitterrand prenait la parole, quelque chose résonnait immédiatement en moi. Il y avait dans son aplomb, dans sa capacité à embrasser d'un regard perçant l'ensemble des députés dont une partie le huait dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, dans sa posture d'homme à homme vis-à-vis d'un de Gaulle tout-puissant, il y avait là une menace impressionnante pour les partisans de l'immobilisme et des privilèges.Nous n'étions pas de la même génération. Nous avions le droit pour formation commune, mais pas la même culture. La sienne était classique, la mienne plus contemporaine. C'est qu'à bien des égards François Mitterrand tranchait sur tout ce que nous connaissions. Plus je l'ai connu, plus j'ai été impressionné par ce que je retrouvais chez lui de mes attentes. L'étendue du personnage saisissait ceux qui l'approchaient. Mitterrand était une bombe à retardement. Un visionnaire qui regardait au-delà de la mêlée, traversait les railleries et les trahisons - nombreuses à son endroit -, avec en point de mire un projet authentique. Sa passion non feinte pour la création, sous toutes ses formes, m'exaltait. Sa curiosité était sans limite. Apprendre de l'autre le remplissait de joie. Il transmettait avec une élégance unique.

François Mitterrand avait une idée de l'homme et de la civilisation, qui puisait au registre de la tolérance et de la générosité, de l'audace et de la ténacité. Il voulait déplacer des montagnes. Il était enthousiaste quand un mouvement surgissait, quand la foule envahissait les rues, quand la jeunesse prenait la parole. François Mitterrand était tout le contraire de ce que je réprouve. Je l'ai vu passionné par la France, inspiré, mystique peut-être, même, tant il portait en lui les aspects les plus contradictoires de notre pays et de ses citoyens. Je l'ai vu meurtri, aussi. Mais jamais il n'a renoncé à rien.

Moi qui me suis inscrit dans la double référence à Mendès et à Mitterrand, j'y vois surtout la preuve que l'avenir leur appartient, comme à tous ceux qui s'inspireront de leur exemple. Si la politique n'est pas l'action courageuse et déterminée, la vérité en toutes circonstances, l'éthique et le désir de changer le monde, alors la politique n'est rien. Ces deux hommes se sont parfois trompés, sur les autres et aussi sur l'aptitude de la société à relever les défis ou à affronter lucidement la vérité des faits. Mais en restant eux-mêmes, ils ont donné une leçon capitale aux générations à venir. Car il fallait être soi-même sans faiblir, pour provoquer cette immense explosion que fut 1981, cette joie populaire, ces lois progressistes dont la plus emblématique était l'abolition de la peine de mort.

Mitterrand était un président de la République qui assumait ses idées et ses pensées. Il nous permettait de croire que l'impossible est possible. Je souhaite à tout homme de gauche d'être inspiré par une telle espérance, qui est l'honneur même de la politique.
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