École :
retour aux sources

Jack Lang


Point de vue de Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Le Monde daté du mardi 3 septembre 2002


 
Lorsque Lionel Jospin me confia, voilà plus de deux ans, la mission de diriger à nouveau le beau vaisseau de l'éducation nationale - bêtement décrié par les ilotes en tout genre -, je décidai d'accomplir un rêve ancien: refonder notre école maternelle et élémentaire.

Un fait inacceptable entache en effet la grande réussite de l'école française et de ses maîtres : 10 % d'enfants entrent au collège sans savoir ni lire ni écrire correctement. D'où notre volonté d'agir dès le plus jeune âge. A ce moment-là, tout se joue ou presque: la promesse de la réussite ou les premiers signes de l'échec. Or, malgré les trésors d'imagination, de dévouement et de créativité de nos maîtres, les programmes officiels s'étaient appauvris et pénalisaient les enfants les plus fragiles, auxquels leurs familles ne peuvent offrir un climat intellectuel propice à leur premier épanouissement.

Contrairement aux clichés ânonnés dans les cafés du commerce de la politique, les pères fondateurs de l'école républicaine liaient indissolublement les alphabétisations de base et l'acquisition par l'enfant d'une solide culture (littéraire, humaine, scientifique, historique, artistique, civique…).

Savoir et culture : même combat. Seul un retour aux sources pouvait donc nous permettre de retrouver l'inspiration première, le souffle et l'ambition pour construire l'école du futur: une école de la rigueur et de l'imagination. Ces nouveaux programmes, qui entreront en vigueur demain, offrent une première originalité. Ils sont le fruit d'un travail collectif sans précédent. Un texte élaboré par un groupe d'experts animé par Philippe Joutard, amendé par le Conseil national des programmes, a été soumis à la réflexion des 400 000 maîtres d'école par le directeur des enseignements

Nos enseignants sont ainsi devenus les coauteurs de textes qui ont courageusement fixé haut la barre de l'exigence. Ils ont au passage fait mentir cette légende imbécile selon laquelle aucune révolution profonde ne pourrait s'accomplir pacifiquement à l'éducation nationale.

La nouvelle architecture de notre école s'ordonne désormais autour de la colonne vertébrale de la langue nationale. La passion, l'amour de notre langue. D'elle tout procède. Vers elle tout converge. Elle est notre maison commune. Un enfant privé des clés d'accès à cette maison est un enfant blessé, humilié, exclu. Là naît une violence qu'aucune prison ne saura jamais guérir.

De cette conviction absolue - la langue, d'abord la langue - découlent les nouveaux programmes. Première nouveauté : la reconnaissance de l'école maternelle comme école de plein exercice. Dès le plus jeune âge, les inégalités verbales se creusent. Le nombre de mots compris par un enfant à l'entrée à la " grande école " varie de 600 à 1 800. D'où un programme particulier pour l'école maternelle, centré sur l'enrichissement de l'expression orale du petit. Pour s'assurer que les enfants ne perdent pied à aucun moment, deux évaluations de leur compétence linguistique seront effectuées, l'une à l'entrée de la grande section maternelle, l'autre en début de CP. Aucun élève ne devra désormais être laissé au bord de la route. La langue, encore et toujours la langue : c'est par elle et pour elle que le cœur de la " grande école " battra à son tour jour après jour. Désormais, deux heures et demie seront quotidiennement consacrées à la lecture et à l'écriture jusqu'à l'entrée en 6e.

Aux oubliettes la méthode globale ! Place à un horaire spécial pour la grammaire, elle-même recentrée sur la relation entre le verbe et son sujet et entre le verbe et les compléments. Place au retour de l'orthographe reposant sur l'intelligence de la syntaxe et du lexique. Place à la connaissance exigeante des conjugaisons et à la découverte du vocabulaire. Place aussi à l'écriture cursive et à la prise de notes personnelles au lieu et place de la photocopie.

Autre nouveauté qui donnera chair et âme au voyage initiatique dans la langue : l'entrée en force de la littérature, non pas de textes dépenaillés sortis du fichier de lecture, mais d'œuvres complètes. Ainsi chaque élève devra-t-il se constituer une sorte d'anthologie des textes aimés, trésor personnel qu'il gardera de classe en classe. Au moins 5 heures par semaine seront consacrées aux textes littéraires : lecture à haute voix, lecture silencieuse, récitation, jeu théâtral. Autre originalité des nouveaux programmes : chaque autre matière enseignée, tel l'affluent alimentant le fleuve principal, est appelée à nourrir l'apprentissage du français : apprendre en mathématiques à lire et à comprendre l'énoncé d'un problème, à rédiger en géographie la description d'un paysage, à tenir en sciences un cahier personnel de ses expériences ou encore à narrer en histoire une action et donc à découvrir simultanément la complexité des temps verbaux.

Loin de contrarier le succès de la bataille pour la langue nationale, les disciplines nouvelles la fortifieront. L'apprentissage précoce d'une langue vivante étrangère facilitera, par le jeu des parentés et des dissemblances, l'appréhension par l'enfant des singularités du français (syntaxe, mots, musicalité...). L'enseignement des arts favorisera l'éclosion de l'imaginaire - une exigence de premier rang - sans laquelle les mécanismes de l'écriture et de la lecture se désagrègent aussi vite qu'ils ont été acquis.

La généralisation des nouvelles technologies, consacrée cette année par un brevet informatique et Internet, sera pour l'élève un instrument d'autocorrection de ses erreurs et de maîtrise de ses projets. Cette politique aurait été vaine si, à la différence du gouvernement Juppé qui avait supprimé plusieurs milliers de postes d'enseignants, nous n'avions décidé avec Lionel Jospin, dans le cadre d'un plan pluriannuel, de créer chaque année 800 postes nouveaux de maître des écoles. Pour le budget de 2003, Laurent Fabius m'avait donné son accord pour les porter à 1 200 en raison de l'heureuse croissance démographique française.

Mieux préparer les maîtres à remplir concrètement leur nouveau magistère : telle est aussi l'ambition de la réforme de la formation des maîtres. Epaulés pour la première fois par des formateurs en service partagé qui continueront à exercer leur mission sur le terrain dans une classe, les IUFM recentreront leur pédagogie vers les apprentissages de base, notamment la maîtrise de la langue (100 heures sur 400).

Le même fil rouge d'une éducation fondée sur la double exigence de rigueur et de créativité sous-tend la réforme du collège applicable à cette même rentrée.

Progressivement se construira ainsi une école de l'excellence en même temps que de l'égalité républicaine : à l'enfant qui n'a pas le privilège de naître et vivre dans un bain de culture, de civilité et de savoir, le service public national de l'éducation a le devoir absolu de proposer ce que sa famille ne peut lui donner.

Face à la privatisation des esprits par la dictature du marché, l'école est aujourd'hui le seul contre-pouvoir culturel offert en partage à tous les enfants de France. Aimons-la. Protégeons-la avec gratitude et passion.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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