Traité constitutionnel européen
Moi, je ne mets pas dans l'urne le même bulletin que M. Le Pen

Jack Lang
Entretien avec Jack Lang, député du Pas-de-Calais, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 26 mai 2005.
Propos recueillis par Nicolas Barotte


 

Les sondages donnent le non en tête. Qu'est-ce qui peut faire gagner le oui aujourd'hui ?
Les sondages sont nécessairement relatifs. L'important est de tenir bon et d'exprimer avec sincérité nos convictions. L'honneur des socialistes, c'est d'avoir dit ce qu'ils croient être la vérité. Dans les derniers jours, il faut nous concentrer sur l'essentiel : nous devons clairement dire ce que seraient les conséquences négatives du rejet du traité.

Quelles seraient ces conséquences selon vous ?
La France serait reléguée sur un strapontin en Europe. Son crédit moral et son poids politique seraient affaiblis. Les premières victimes d'un non seraient aussi les travailleurs et les salariés qui ne bénéficieraient pas des avancées sociales du traité. Nous risquons aussi de perdre de nombreux crédits européens. A l'inverse, imaginons ce que pourrait être un oui : la France en sortirait renforcée. Au moment où l'on s'approche du scrutin, les citoyens doivent percevoir la gravité de leur geste. Ce vote a une portée historique. Dimanche, j'ai envie de dire : votez France. Le bulletin France, c'est le oui.

Jacques Chirac doit parler ce soir. Qu'attendez-vous de lui ?
Il est le chef de l'Etat, il a la charge des questions internationales. Qu'il évite donc de parler de la politique intérieure, qui, malheureusement, plombe en partie ce référendum. Qu'il se concentre uniquement sur la portée internationale du scrutin. Qu'il soit aussi convaincant sur l'Europe qu'il l'avait été au moment de la guerre contre l'Irak.

Certains partisans du non appellent ceux du oui à garder leur sang-froid...
Quelle est la meilleure preuve du sang-froid ? Quand on résiste à la tentation populiste et chauvine à laquelle de nombreux partisans du non se sont abandonnés. Pour des raisons différentes, les non, d'extrême droite et de droite d'un côté, d'extrême gauche, rejoints par quelques dissidents socialistes, de l'autre, se révèlent tous les deux anti-européens et antisociaux.

C'est-à-dire ?
Anti-européens, c'est l'évidence pour l'extrême droite, qui ne rêve que de détruire l'Europe. Mais c'est aussi ce qui surgit de la campagne des propagandistes du non de gauche qui n'ont cessé de dénoncer les travailleurs des autres pays, d'exalter le repli sur soi, de flatter la peur des autres peuples. Antisociaux, c'est l'évidence pour l'extrême droite, qui est en faveur d'un capitalisme débridé. Mais, objectivement, les propagandistes du non à gauche vont aussi livrer l'Europe, s'ils étaient entendus, aux vents les plus destructeurs de l'ultralibéralisme. Le oui que nous incarnons est, à l'inverse, réellement social et authentiquement européen.

Si le oui l'emporte, comment le PS tiendra-t-il compte des voix du non de gauche ?
Nous comprenons et nous soutenons la colère populaire contre le gouvernement. Nous ne la découvrons pas. Nous n'avons pas de leçons à recevoir des propagandistes du non. Nous continuerons à tailler des croupières au gouvernement, à combattre ses mesures antisociales et à tout faire pour gagner en 2007. Mais cela n'a rien à voir avec le référendum. Les électeurs ne doivent pas se tromper de scrutin.

Quelles seraient les conséquences internes au PS si le oui l'emporte ?
Je ne veux pas mélanger les questions européennes et les questions internes au PS. Je ne suis pas de ceux qui se servent de l'Europe comme d'un punching-ball pour faire avancer leurs pions et tenter d'arracher le scalp du PS.

Si le non l'emporte, est-ce un nouveau 21 avril pour le PS ?
Pas pour le PS, mais pour la France ! Une fois passé le soir des résultats, cette surenchère nationaliste laissera, si le non l'a emporté, un goût de cendre. C'est cela le post-21 avril : la tristesse, le regret, la déprime, l'amertume. Mais il sera trop tard pour verser des larmes.

Vous ne croyez pas à un rassemblement de la gauche après le non comme le dit Laurent Fabius ?
Ne personnalisons pas le débat. Mais je pose la question : quel rassemblement ? Autour de quels principes moraux ? Je constate qu'un certain nombre de socialistes ont divisé le PS, qu'ils n'ont pas respecté les lois de la maison commune. Je suis pour le rassemblement, mais autour d'une certaine conception de la vie politique qui tourne le dos à l'opportunisme et qui place très haut l'exigence de respect de la démocratie. Les meilleurs rassembleurs ne sont pas les diviseurs.

Quel que soit le résultat, le PS n'aura-t-il pas été en décalage avec une large partie de son électorat ?
On n'attend pas des hommes politiques qu'ils soient suivistes. Nos citoyens n'ont pas confiance dans les hommes politiques qui se soumettent à la dernière mode. On analysera les résultats du vote dimanche. Mais si le non l'emporte, ce sera en grande partie grâce à la droite et à l'extrême droite. Moi, je ne mets pas dans l'urne le même bulletin que M. Le Pen. Si M. Le Pen vote non, moi je vote oui, pour moi c'est un critère. Même si le PS est en « décalage », cette considération me donnera la satisfaction d'avoir accompli mon devoir et d'être en conformité avec ma conscience. Cela compte aussi.

La façon dont cette campagne s'est déroulée à gauche nuit-elle aux chances du PS pour 2007 ?
Il y a longtemps que je n'ai pas connu une campagne aussi attristante sur le plan de la morale politique. Quant au futur... Il appartient à ceux qui, à gauche, tiennent bon, ne jettent pas par-dessus bord leur croyance. Les Français leur en seront reconnaissants. C'est vers nous que les regards se tourneront pour faire avancer le PS et la gauche, même si momentanément les opportunistes qui n'ont pas craint d'exalter le populisme et la démagogie chercheront à parader. Si le non l'emporte, le grand triomphateur, ce sera M. Le Pen. Je vais tout faire dans les jours qui viennent pour qu'il soit battu. J'ai bon espoir qu'il y ait un sursaut.

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