Le PS doit prendre le temps d'inventer

Pierre Larrouturou
Point de vue signé par Eric Halphen, magistrat en disponibilité, et Pierre Larrouturou, délégué national Europe du PS, paru dans le quotidien Le Monde daté du 2 juin 2006


 
Si la gauche continue à être inaudible sur les questions sociales, c'est Nicolas Sarkozy qui, l'an prochain, imposera les thèmes du débat (insécurité, immigration...), et c'est lui qui gagnera la bataille. Et même si la gauche gagnait, dans l'état actuel du projet, on peut craindre que la crise sociale ne continue d'empirer !

Malgré le 21 avril 2002, malgré le non au référendum, malgré les 10 000 voitures brûlées en novembre 2005, le Parti socialiste semble incapable d'innover vraiment. Pour lutter contre le chômage, le PS compte essentiellement sur le retour de la croissance à " 3 % en moyenne " alors qu'elle est de 1,5 % depuis le début de la décennie et que la Caisse des dépôts prévoit 0,8 % de croissance potentielle à moyen terme pour la zone euro !

Le PS veut " basculer les cotisations patronales sur la valeur ajoutée ". L'idée est intéressante mais, d'après les études les plus récentes, cela créerait 50 000 emplois... 50 000 emplois, c'est bien, mais il y a 4 millions de chômeurs et 1 million de RMistes ! Le PS mise aussi sur l'apprentissage. C'est un domaine dans lequel il faut agir mais cela ne peut pas suffire : le pays qui a le plus développé l'apprentissage, l'Allemagne, compte 5 millions de chômeurs...

C'est une évidence pour qui a lu l'ébauche du projet : il y a de nombreuses idées intéressantes, mais l'ensemble n'est pas du tout à la hauteur des enjeux. C'est le 6 juin que le bureau national du PS doit décider du contenu du projet. Il y a urgence ! D'ici au 6 juin, il faut parvenir à bousculer Solferino. Tel est l'objectif de la pétition lancée sur www.urgencesociale.net. Vu les statuts du PS, si cette pétition recueille 5 000 signatures, la direction sera obligée de soumettre ce texte au vote de tous les militants avant l'été.

Si les pays du nord de l'Europe ont divisé par deux le chômage, ce n'est pas en multipliant les rustines. Ni en réunissant quelques anciens ministres pendant une heure ou deux, façon Café du commerce. Mais en se donnant les moyens d'inventer. En Suède, au Danemark, aux Pays-Bas, les partenaires sociaux et les politiques ont été capables de travailler ensemble pendant plusieurs semaines afin de confronter leurs analyses. Au lieu d'être transformés en conflit, les points de désaccord ont été débattus jusqu'à ce que l'on parvienne à construire un nouveau contrat social. Signés en 1982 au Pays-Bas, les accords de Wassenaar ont permis de diviser par deux le chômage.

Pour augmenter les chances de victoire en 2007 et pour que cette victoire soit synonyme de progrès social, nous demandons que le PS organise très vite la négociation d'un nouveau contrat social, sur le modèle des accords de Wassenaar. Oui, il nous faut trois mois de travail, car il n'y a aucune solution évidente. Le modèle danois est aujourd'hui très à la mode. Pour de bonnes raisons : le nombre de salariés au-dessous du seuil de pauvreté est quatre fois plus faible que chez nous. Les entreprises disposent d'une grande flexibilité, et les salariés au chômage disposent d'un vrai accompagnement et d'une vraie sécurité financière (90 % de leur salaire, pendant quatre ans si nécessaire).

Cependant, le modèle danois ne doit pas être idéalisé : globalement, depuis dix ans, le Danemark a créé presque trois fois moins d'emplois que nous et une bonne partie de la croissance danoise est due au formidable endettement des familles : la Banque de France s'inquiète de l'endettement des ménages français (64 % du revenu disponible), mais l'endettement des Danois est trois fois plus important... Les choses sont donc plus compliquées qu'on ne le dit parfois. On ne peut pas s'en tenir à quelques slogans à la mode. Il faut prendre trois mois pour creuser la question avec tous ceux qui le voudront.

En Belgique, le PS a pris dix-huit mois pour actualiser son projet. Nombreux sont les syndicalistes (et quelques patrons sociaux) qui ont participé aux Ateliers du progrès. Nous n'avons pas dix-huit mois devant nous, mais si, déjà, nous prenions trois mois pour travailler à fond, la qualité du projet pourrait en être grandement améliorée. Rien n'oblige à boucler le projet avant l'été. L'UMP ne désignera son candidat qu'en janvier. Pourquoi ne pas prendre jusqu'à l'automne pour construire un vrai projet social ? C'est sans doute le meilleur moyen de gagner en 2007.
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