Éthique et socialisme

Géraud Guibert

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Bettina Laville, conseillère régionale de Bourgogne, membre du Conseil national, déléguée nationale à la bioéthique.
18 janvier 2003

 
Nous socialistes, répugnons souvent à employer le terme de " morale ", car nous savons combien ce mot est lourd de soumission judéo-chrétienne et d'exploitation des plus démunis. Nous avons longtemps préféré, et continuons de préférer la " morale républicaine ", même si, dans les vingt dernières années, certaines pratiques d'hommes politiques, malheureusement même en nos rangs, ont pu dévaloriser le terme.

Lorsque la morale républicaine chancelle, ou perd ses repères, on sait bien que le mouvement conservateur sait très vite la remplacer par l'ordre, brutal, ou établi. Nous en sommes là aujourd'hui.

Au-delà de ce contexte politique intérieur, et commun avec beaucoup d'autres pays, une abondance de sujets nouveaux, particulièrement dans le domaine de l'économie mondiale, du progrès scientifique, du développement durable, bref dans ce que l'on appelle la " globalisation " exige de nous la construction d'un nouvel ordre mondial, fondé sur une éthique revisitée.

Alors que c'est la gauche qui a érigé, tout au long du XXème siècle, plus de morale sociale (lois de protection des travailleurs, Sécurité sociale, congés payés, diminution du temps de travail), plus d'éthique environnementale (lois sur l'eau, les déchets, les carrières, les risques,…etc.) on voudrait nous faire croire aujourd'hui, avec les habits de l'ordre moral, ou d'un " humanisme " qui ne cache que le conservatisme, ou d'une " gouvernance " qui, galvaudée par l'actuel Premier Ministre, n'est que le faux nez d'une soumission au libéralisme, que l'éthique est du côté des discours de la droite.

Il nous faut combattre sans complexe et avec force cette imposture, et construire en vue d'un prochain gouvernement une éthique partagée par les Français.

Nous voudrions l'illustrer dans quelques domaines.

Tout ce qui suit doit s'inscrire dans l'approfondissement du fameux " faire ce que l'on a dit qu'on ferait ". En 1997, Lionel Jospin a été élu parce que les Français lui ont fait confiance sur sa capacité à assumer, dans la réalité, les promesses électorales. Cette confiance, qui lui a été longtemps gardée, a diminué au fil des cinq ans, ou plutôt des deux dernières années de gouvernement, sans que l'on prenne toujours la mesure des adaptations gouvernementales qu'exige la rapidité actuelle des changements du monde. Autrement dit, il nous faut construire une éthique de gouvernement fondée sur les engagements pris, mais qui, aujourd'hui, ne peut être immuable ; elle nécessite explication, confrontation, renouvellement ; elle s'incarne dans l'invention en matière de citoyenneté, de vie locale, de vie démocratique. Elle est le contraire du populisme, et doit l'affirmer haut et fort - ce qui implique de rompre avec les revendications catégorielles. Il n'y a pas d'éthique catégorielle.

Dans le domaine du développement durable

    Le développement durable a été défini dans la Commission mondiale des Nations unies sur l'environnement et le développement, présidée par Mme Bruntland. Celle-ci affirme qu'on ne peut fonder la croissance sans également traiter le problème de la pauvreté dans le monde et celui de la préservation des ressources naturelles. Autrement dit le capital que l'homme produit, qui apporte la richesse mais aussi des perturbations de la nature et des dysfonctionnements sociaux, ne doit pas entamer le capital naturel et doit être compatible avec la construction du capital social de l'humanité. Cette notion de développement durable est extrêmement ambitieuse. Elle fonde en faite une utopie dynamique, celle d'un progrès " global " qui ne nuirait à aucun occupant, à aucune espèce de la Terre.

    Aujourd'hui, après des débuts difficiles, ce concept connaît un succès certain. La preuve symbolique en est que le sommet de Johannesburg a été celui du développement durable ; on ne parle plus d'" environnement " ni de " développement " de façon isolée. On doit s'en féliciter, car cela prouve que la communauté internationale a mis au rang de ses préoccupations l'équilibre humain et naturel, et donc qu'elle convient que la dégradation des ressources naturelles de la Terre n'est plus supportable.

    Mais, faute d'être mieux défini, approfondi, et finalement partagé, le développement durable peut aussi être un concept qui permet au libéralisme de triompher en se parant de vertus " durables ". Jacques Attali parle de " société du simulacre ", en remarquant que, malgré les discours de tribune, le marché continue de développer son autonomie. Le développement durable ne doit donc pas être, en matière environnementale, l'opium du peuple, qui endort la souffrance due aux blessures faites à la planète par la promesse d'un Eden toujours remis à plus tard.

    C'est donc sur une éthique de partage que doit être fondé le développement durable et non comme aujourd'hui, dans le gouvernement actuel, sur le seul libéralisme.

Dans le domaine intergénérationnel

    L'éthique intergénérationnelle a évidemment un lien avec le développement durable. Rappelons la définition originelle du développement durable par Gro Mariam Bruntland : " maximiser la satisfaction des générations présentes sans compromettre les générations futures ". Cette ambition est immense, et a pris le nom d'équité intergénérationnelle. Or qui, depuis Rio, a fait vraiment la liste des objectifs de développement pouvant satisfaire à la fois l'humanité actuelle et l'humanité future ? Personne. D'abord parce que les exigences de l'humanité future ne sont pas si évidentes, au vu de l'évolution planétaire. Ensuite parce que celles de l'humanité présente passent encore par des revendications qui ne se préoccupent pas de " durabilité ", mais de survie. Le champ de la cohérence intergénérationnelle reste depuis Rio complètement ouvert.

    Cependant il nous semble que ce champ éthique doit être ouvert par les socialistes. Le problème des retraites devrait être revisité sous cet angle. Cela tordrait le coup aux simplifications de toutes sortes, sans pour autant nuire aux droits de chacun ; celui de la transmission du savoir devrait l'être également, comme celui de la prise en charge par la société des personnes dépendantes, de plus en plus nombreuses.

    Au-delà, l'éthique intergénérationnelle vise à transmettre un patrimoine naturel et culturel non pas " intact " - la vie est mouvement - mais susceptible de satisfaire les besoins et aspirations des générations futures, au même degré, et si possible à un meilleur degré que les nôtres.

Dans le domaine de la bioéthique

    Ce dossier délicat a été deux fois ouvert par la gauche, en 1992 et en 2000. Aujourd'hui M. Mattei, Ministre de la santé du gouvernement Raffarin, a hérité d'un projet bien préparé par la gauche, avec une consultation scientifique sans précédent, une vraie réflexion démocratique ; ses prises de position sont aujourd'hui teintées de " moralisme ", qu'il habille évidemment du mot éthique. Nous ne l'avions pas fait, quitte à faire part ouvertement de nos hésitations, en particulier sur le clonage thérapeutique.

    Aujourd'hui, la Parti socialiste est divisé, entre ceux qui pensent que progrès et socialisme impliquent de ne pas brider le progrès scientifique, et ceux qui ont intégré que le principe de précaution pouvait aller jusqu'à encadrer le progrès scientifique. C'est tout le débat sur le clonage thérapeutique. Il faut donc continuer de construire une éthique dans ce domaine, ouverte sur la société, société citoyenne comme société scientifique.

    Ce débat s'étend à toutes les sphères de la brevetabilité du vivant. La France a porté, en 2000, le combat contre les droits de propriété exclusive du vivant, il faut aujourd'hui construire une éthique des droits d'accès rémunérés aux ressources vivantes, une des solutions commerciales pour les Pays du Sud.

Dans le domaine économique

    Nous avons essayé d'introduire l'éthique dans le domaine économique par la loi de modernisation sociale ; aujourd'hui, relayant les cris d'orfraie du MEDEF à l'époque de la discussion de la loi, M. Fillion l'a enterrée. Pourtant, il faut continuer dans cette voie, en tenant peut être plus compte des propositions syndicales, et sociétales. Des adaptations peuvent être indispensables, mais fondées sur une éthique sociale. Les avantages des fonds éthiques doivent être approfondis par les socialistes, tout comme les chartes éthiques, en prenant garde à leur contenu, qui doit être conforme au droit national, ou européen (Les chartes éthiques comportent par exemple, aux États Unis, des systèmes obligatoires de délation !).

    Nous devons lutter, en particulier dans le domaine de la comptabilité des entreprises, sur tout ce qui entrave la transparence ou ce qui contribue à la " neutralité éthique ". Cela passe évidemment par la révision de beaucoup d'indicateurs en s'inspirant au niveau national des travaux internationaux sur les indices de développement humain. Les agences de notation doivent également être encouragées, et encadrées par deux ou trois principes éthiques qu'on peut transposer dans le législatif.

Dans le domaine international

    L'éthique internationale ne se résume pas aux discours verbeux de Jean Pierre Raffarin sur la gouvernance, vocabulaire emprunté à ceux des organismes internationaux qui lient réforme institutionnelle, participation citoyenne et lutte contre la corruption à la facilitation d'un marché intégré dans la mondialisation néolibérale. Nous devons préférer, approfondir les principes éthiques d'un nouvel ordre mondial, et de vraies institutions tournées vers la société civile. En cela, la proposition du président de la CNUCED d'un parlement mondial de la société civile fait partie des réformes fondées sur l'éthique que nous devons prendre en compte.

    Nous avons porté dans les instances internationales le Tribunal mondial des crimes contre l'humanité. Notre pays n'est pas pour rien dans le procès actuel de dirigeant comme Miloscevic. Nous devons explorer de tels mécanismes, dans des domaines économiques ou environnementaux, à la condition bien sûr que l'aide au développement soit totalement régénérée, tant dans son volume que dans ses modes d'action.

Au nom de l'éthique, notre combat doit également fustiger les détracteurs de principes fondamentaux chèrement acquis au XXème siècle, même s'ils sont trop souvent et trop cruellement bafoués. Nous voulons parler des opposants aux " droits de l'hommisme ".

C'est au contraire en renouvelant toujours avec des droits nouveaux la Déclaration des Droits de l'Homme que nous forgerons, à gauche, une éthique identitaire.

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