Régionales 2004 : Bretagne
Gagner la bataille de la qualité

Jean-Yves Le Drian



Entretien avec Jean-Yves Le Drian, président du conseil régional de Bretagne, paru dans le quotidien Ouest France daté du mardi 30 mars 2004
 

Votre lecture du scrutin ?
Les Bretons se sont approprié la Bretagne, parce qu'ils ont envie de construire. L'ampleur du score ne s'explique pas autrement. Dans les années 60, existait une volonté collective. Mais, la régionalisation institutionnelle n'a pas permis aux Bretons de s'approprier l'institution régionale. Par ailleurs, une série de doutes s'étaient installés, avec des pertes de repères et une absence de lisibilité de la politique à suivre.

Qu'est-ce qui va mal en Bretagne ?
L'absence de perspectives. Un certain doute. Le paradoxe entre une Région qui a des valeurs de foi dans le travail, de solidarité, la conviction que la formation est une chance, le souci de l'équilibre entre le rural et l'urbain et, dans le même temps, l'absence de message qui lui était proposée. Et puis, la Bretagne doit gagner la bataille de la qualité dans toutes ses déclinaisons : celle des emplois offerts aux jeunes, des formations, des entreprises, de l'environnement et de l'eau. Globalement, la qualité de la vie. Nous avons des atouts qu'il faut réveiller.

Sur les grandes questions, toutes les composantes de votre équipe sont unanimes ?
Mon équipe a été élue sur ce projet. C'est un programme à la fois audacieux et pragmatique. Donc, je n'ai pas d'interrogation sur ce plan-là.

Comment allez-vous relever le défi de l'eau qui remet en cause le modèle agricole breton ?
Maintenir ce modèle nous conduirait dans trois impasses : économique, sociale et environnementale. Économique, parce que la production de masse nous disqualifiera dans les débats mondiaux à venir : on trouvera toujours quelqu'un pour faire moins cher. La quantité ne signifie pas le revenu. Il faut s'orienter vers des marchés à dominantes européenne et qualitative. Tout le monde ne doit pas faire du bio, mais est-il normal que la première région d'Europe productrice de porcs n'ait que deux Labels Rouges ?

L'impasse sociale ?
Je suis frappé par l'angoisse du milieu agricole. Si on continue, on aboutira à des concentrations et à une agriculture sans agriculteurs. Il faut impérativement réconcilier l'agriculture avec son territoire.

Et l'environnement ?
Il a été dépensé, depuis dix ans, un milliard et demi d'euros pour lutter contre la pollution de l'eau, avec des résultats qui ne sont pas probants, alors que cette pollution nuit à d'autres secteurs d'activité ­ le tourisme, l'agroalimentaire ­ et dégrade notre image. Or, notre image est une force considérable que nous sous-estimons collectivement et dont il faut faire un vecteur de développement.

Quels seront vos moyens d'action ?
L'action politique n'est pas uniquement une affaire financière. C'est d'abord une affaire de volonté et de cohérence. Par exemple, Bruxelles a déjà commencé à travailler sur les prochains accords de l'organisation mondiale du commerce. Il nous faut être présents à Bruxelles, à Genève. Et réaffecter les moyens pour une agriculture qui doit se transformer.

Interdirez-vous les OGM ?
Nous refuserons de financer des projets ayant recours à des organismes génétiquement modifiés. 70 % de la population européenne refuse de voir des OGM dans son assiette. Si on veut une image de marque forte, il faut globalement inverser cette dérive qui nous amène une mauvaise image environnementale et les OGM en font partie.

Vous allez vous appuyer sur les travaux du conseil économique et social ?
Oui. Je siègerai à toutes ses séances. De même, je réunirai une conférence territoriale des collectivités locales avec les présidents des conseils généraux, des grandes agglomérations et des pays. Il s'agira de rapprocher les points de vue sur des compétences communes ou non.

On n'a pas beaucoup parlé de l'Europe durant la campagne...
Dans mon projet, je précise que nous créerons un comité des affaires européennes. Je l'animerai. Il regroupera toutes les forces agissant sur la scène européenne. Ce sera une force de frappe importante dotée d'une direction.

Prêt à faire voter les Bretons aux élections européennes ?
Bien sûr. La Bretagne n'a de chance de faire tout ce que je viens de dire que dans l'Europe. Et il faut qu'elle y devienne exemplaire. Le comité dont je parle se réunira régulièrement. J'ai l'intention de faire travailler les gens. Le conseil régional ne se réunira pas seulement quatre fois par an.

La question de l'emploi, c'est aussi une question de confiance avec les entrepreneurs, les investisseurs. Comment la leur inspirer ?
Je n'ai pas ressenti de rejet à l'égard de notre projet. Évidemment, il y a certains chefs d'entreprise peu regardants, pour qui les conditions sociales sont un sujet secondaire. Mais je crois que les vrais chefs d'entreprise bretons ont envie que la Bretagne bouge.

Via une politique de rupture, dites-vous ?
Dire qu'on va faire ensemble la mutation agricole pour la bataille de la qualité et se donner toute la dimension européenne que nous méritons pour bâtir notre avenir, c'est une rupture. Faire en sorte que la qualité de la formation à offrir aux jeunes se traduira par la qualité des emplois sera aussi une vraie rupture. Nous perdons de la matière grise et de la matière première. C'est ça qu'il faut changer.

Quid de l'agence régionale pour le développement annoncée ?
Elle devra aussi se doter des moyens de veille, d'anticipation, dont nous avons manqué, afin de penser à cinq ans par filières. Il faut que nous ayons les moyens de regarder les métiers du futur et les évolutions en cours.

Comment allez-vous imprimer votre marque en matière de culture bretonne ?
Il n'y a pas que la langue des Inuits à préserver. En matière de politique linguistique, mon objectif, c'est 20 000 élèves bilingues en 2010, sinon la langue bretonne meurt. Il faut donc que l'exécutif régional soit déterminé ; que l'effort se porte sur la formation des enseignants du breton et que les médias puissent servir de relais.

Jean-Marc Ayrault a demandé le report du projet de loi de décentralisation. Qu'en pensez-vous ?
Cette décentralisation fixe des compétences de manière floue et sans donner de moyens. Ce n'est pas ça la décentralisation.

Et l'expérimentation ?
Le texte existe. On va partir sur des bases différentes et utiliser tous les champs disponibles : la culture, les fonds européens, les autoroutes de la mer, les ports, le commerce extérieur... On y va.

N'allez-vous pas vous disperser ?
Une Région qui ne se donne pas les moyens d'être forte est une Région naine. Pour les autoroutes de la mer, on s'est fait doubler. Pourquoi n'a-t-on pas levé le petit doigt ?

Le TGV ?
C'est un peu tard. On ne va pas pouvoir rattraper tous les coups ratés.

C'est cuit ?
Non, il faut mobiliser et se battre. Et aller rediscuter avec l'État, parce qu'on est passé en queue de peloton. On a perdu six ans.

Pour finir, à titre personnel, de quel poids cette victoire pèse-t-elle dans une vie ?
Je vis sans doute le moment le plus important de ma vie politique.

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