Le " droit au travail ",
un droit fondamental

Contribution au Congrès de Grenoble de novembre 2000
présentée par Eric Besson, Henri Bertholet, Gérard Bertrand, Jean-Pierre Blazy, Augustin Bonrepaux, Pierre Cohen, Jacky Darne, Stéphane Delpeyrat, François Deluga, Jean-Jacques Denis, Laurence Dumont, Jean-Noël Guérini, Didier Guillaume, Cécile Helle, Pierre-André Imbert, Armand Jung, Jean Launay, Bruno Le Roux, Christian Martin, Luc Matray, Alexandre Medvedowsky, Philippe Nauche, Germinal Peiro, Bernard Piras, Daniel Vachez et Michel Vergnier.


 
" Toute personne a droit au travail,
au libre choix de son travail,
à des conditions équitables
et satisfaisantes de travail
et à la protection contre le chômage "

article 23
de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme
du 10 décembre 1948.

" Chacun a le devoir de travailler
et le droit d'obtenir un emploi "

préambule de la Constitution de 1946


L'essentiel est dit. Chacun a le droit d'obtenir un emploi.

Cinquante ans après l'affirmation de ce principe constitutionnel, il appartient à la gauche de lui donner corps, à l'ancrer dans la réalité.

Le droit au travail pour tous, l'accès de tout citoyen à l'insertion économique et sociale que permet le travail doivent devenir l'objectif premier d'une gauche déterminée à renouveler le pacte républicain et établir une véritable égalité des chances.

Le droit au travail
au cœur de la vocation de la gauche

La gauche n'est jamais plus respectueuse de sa vocation que lorsqu'elle s'attache à rendre concrets des droits théoriques, à rendre réelles des libertés formelles.

La gauche est née d'une exigence de justice sociale.

C'est cette exigence qui fonde l'engagement des femmes et des hommes qui la font et qui la soutiennent. C'est cette exigence qui lui donne sa légitimité et presque, serait-on tenté de dire, sa raison d'être.

Qu'est ce qu'être de gauche à l'heure du libéralisme triomphant, de la " nouvelle économie " ou de la " mondialisation " ? La réponse est là : dans la place du politique et dans la justice sociale.

La place du politique :

Réaffirmer son primat, agir pour que les individus comme les peuples acquièrent ou conservent la maîtrise de leur destin, reconquérir sans cesse les espaces de libertés individuelles et de choix collectifs que le progrès technique d'une part, l'économie d'autre part peuvent favoriser, mais aussi limiter voire détruire.

Refuser le gouvernement des experts, recréer des instruments d'actions et de choix politiques à l'heure où beaucoup d'instruments traditionnels (politique monétaire, politique budgétaire…) nous échappent ou sont encadrés.

Rendre à la politique sa place dans les choix de la cité, fabriquer des citoyens et non d'abord des consommateurs ; le droit au travail est un levier d'émancipation des individus et des peuples.

La justice sociale

Ne biaisons pas. Dans la compétition qui l'a opposé au XXème siècle aux systèmes prônant l'appropriation collective du capital et des moyens de production, le capitalisme l'a emporté, même s'il est trop tôt (et bien imprudent à l'échelle de l'histoire de l'humanité) d'évoquer la " fin de l'histoire " et le caractère définitif de la victoire de cette forme d'organisation des systèmes économiques et sociaux des pays développés.

De cette victoire du marché, les socialistes ont pris acte même s'ils n'ont cessé de vouloir l'encadrer. Ils ne se sont pas résignés et sont même plus que jamais déterminés à lutter contre ses contradictions, ses injustices et ses carences, ce que traduit bien la formule de Lionel Jospin " oui à l'économie de marché, non à la société de marché. "

Le système capitaliste (appropriation privée du capital + économie de marché) s'est révélé être une formidable machine à produire de la richesse et des biens.

Son incapacité naturelle, on pourrait dire " génétique ", à redistribuer cette richesse est tout aussi patente. Seuls les mouvements sociaux, les luttes, la loi l'ont progressivement conduit à introduire de la justice sociale dans son incontestable efficacité économique.

Le " nouveau capitalisme " qui se dessine ne paraît pas, loin s'en faut, plus épris de redistribution que ses prédécesseurs ; il est " ultra-libéral " au sens où il tend à revenir aux fondements de la doctrine libérale : le marché du travail est pour lui un marché comme un autre ; l'équilibre s'y fait par les prix ; la baisse des bas salaires ou le développement du travail précaire permettent de solvabiliser de nouveaux emplois. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis la hausse incontestable du nombre d'emplois créés s'est accompagnée d'une baisse des bas salaires, créant une classe de " working poor" (travailleurs pauvres ).

Plus grave encore : l'évolution économique et sociale des principaux pays industrialisés montre que ce " nouveau capitalisme " peut très bien s'accommoder, d'un point de vue politique, éthique et intellectuel, comme sur le plan de son efficacité économique, de l'exclusion d'une frange relativement importante de la population.

S'il parvient à obtenir son silence, son calme par l'acceptation, la passivité ou le renoncement et par un " filet de sécurité " minimal le " nouveau capitalisme " s'accommode parfaitement de 5, 10 voire 15 % de la population aux marges de son système de production et de consommation.

La régulation du capitalisme ne peut donc éluder sa faiblesse principale : celle de la distribution des revenus.

Notre politique budgétaire est désormais sévèrement encadrée. Nous avons transféré à la Banque centrale européenne notre politique monétaire et il faudra bien recréer les conditions de son contrôle démocratique. Pour l'heure la politique des revenus et la redistribution restent donc les outils principaux d'une politique de gauche.

Les socialistes doivent s'en saisir. Le droit au travail est une arme en faveur de la justice sociale.

Le chômage : une guerre inachevée

Notre majorité est en train de remporter une grande bataille contre le chômage. Un juste diagnostic des raisons pour lesquelles la croissance française était anémiée, une politique économique intelligente, des réformes sociales volontaristes alliées à une amélioration de la conjoncture internationale ont permis de réenclencher un cercle vertueux confiance-consommation-croissance dont nous constatons aujourd'hui les bienfaits.

Pour autant nous n'avons pas encore gagné la guerre ; au moment où nous rédigeons cette contribution, notre pays compte encore 2.300.000 chômeurs (2.800.000 selon l'ancien mode de calcul) dont 826.000 de longue durée et plus de 1.000.000 de Rmistes.

Si l'on tient compte des personnes " rayées des listes " ou découragées dans leur recherche d'emploi ainsi que du temps partiel subi en adoptant ce que les experts appellent " l'indicateur élargi de sous-emploi ", 5 à 6 millions de nos concitoyens sont toujours concernés ou touchés par le chômage dans leur vie quotidienne.

Ce que confirme par ailleurs le développement sans précédent des travailleurs pauvres :en 1999, environ trois millions de salariés - soit un salarié sur six — occupaient un emploi à bas salaire (soit moins de 5000 francs nets par mois), dont près des deux tiers sont des salariés à très bas salaire (moins de 3750 francs par mois). Les " woorking poor " ne sont malheureusement pas l'apanage des pays anglo-saxons.

Des séquelles durables 

Plus grave encore. Si nous n'en avons pas fini avec le chômage, nous en avons encore moins fini avec les séquelles des 25 années de chômage de longue durée dont nous sortons enfin. Le bilan est lourd, bien connu des enseignants et des acteurs du social : familles éclatées, personnes physiquement ou psychologiquement diminuées, dépendances accrues à l'alcool, aux médicaments, voire à la drogue etc. Beaucoup de nos concitoyens ne sont pas, aujourd'hui, capables de reprendre du jour au lendemain sans accompagnement spécifique une activité économique normale. Et le mal ne touche pas que les chômeurs actuels ; le terreau de l'exclusion est toujours fécond. Que ceux qui en douteraient réfléchissent à un seul chiffre : plus de 10 % des jeunes français testés lors de la journée d'appel de préparation à la Défense se sont révélés illettrés. Croit-on détenir là des postulants à la " nouvelle économie " ?

Pour les socialistes, le devoir d'action

Nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce constat et de ces explications. Nous n'avons pas vocation à nous contenter d'établir un diagnostic de plus en plus sophistiqué et précis mais nous avons l'obligation, le devoir, de nous attaquer au mal, d'atténuer les souffrances sociales. Oublier cela, ce serait non seulement trahir la confiance de nos concitoyens mais aussi prendre le risque d'être durement sanctionné par notre électorat. Gardons en mémoire l'adhésion populaire que nous suscitons lorsque nous adoptons des réformes et des mesures audacieuses : emploi-jeunes, R.T.T., lutte contre les exclusions.

Ce devoir d'action, cette attente constante de nos concitoyens de voir la gauche œuvrer pour la réduction des inégalités doivent nous conduire à agir pour refuser les fragmentations ou fractures (sociale, territoriale, numérique, civique, etc.) qui sont la pente naturelle du nouveau capitalisme. Les socialistes ont raison de promouvoir une société d'initiative et de responsabilité où la démocratisation de l'entrepreneuriat contribuera au dynamisme de l'économie et de la croissance.

Mais la légitimité de leur action ne sera établie que si, dans le même temps, tout est mis en œuvre pour que la nouvelle donne économique profite réellement à tous et d'abord à l'amélioration de la situation des exclus puis à celle des salariés dont les conditions de travail sont devenues plus difficiles et dont les salaires stagnent en dépit de la croissance de la valeur ajoutée. Les salariés sont rarement les gagnants de la " nouvelle économie ". Or la France, on aurait trop souvent tendance à l'oublier, est toujours un pays où les ouvriers et les employés représentent 60 % de la population en emploi.

Ni flexibilité, ni culpabilisation :

Les discours incantatoires finissent par dessiner une stratégie du laissez faire : la précarité est trop forte, demandons aux partenaires sociaux d'entamer une négociation (avec le résultat que l'on devine aisément…). Les salaires, malgré l'embellie économique, augmentent trop peu, implorons les chefs d'entreprise ! Plusieurs millions de français ne peuvent vivre de leur salaire, créons une nouvelle allocation qui transformera les travailleurs pauvres en travailleurs assistés, fournira une main d'œuvre à bas prix aux entreprises en les exonérant de toute responsabilité, et limitera l'augmentation des salaires de tous les travailleurs en emploi !

Le Parti Socialiste doit combattre avec détermination les lieux communs et les choix libéraux en matière d'emploi.

Aurions-nous besoin de davantage de flexibilité ? La question est au contraire de prendre des mesures concrètes contre les abus de recours au temps partiel, au contrat à durée déterminée, à l'externalisation des fonctions de l'entreprise. Réaffirmons sans cesse que l'homme a besoin, pour construire sa vie personnelle, d'un minimum de stabilité et de sécurité ; on ne bâtit pas sur la précarité.

Les chômeurs seraient-ils responsables de leur sort ?

Si le sujet n'était grave on sourirait en évoquant le retournement auquel nous avons assisté en deux ans ; il nous fallait nous préparer à la " fin du travail " ; il faudrait aujourd'hui " inciter " au travail des chômeurs peu enclins à quitter le confort ( !) des minima sociaux...

La réalité est pourtant simple : l'immense majorité des chômeurs souhaite travailler à condition qu'on lui propose des conditions de travail et un salaire décents.

Le renversement des charges qui fait des victimes de nos carences collectives en formation ou gestion prévisionnelle des emplois des coupables potentiels est une imposture que les socialistes doivent dénoncer avec force.

Pour les socialistes, comme pour notre pays, ces dérives ne sont pas acceptables. Nous devons poursuivre dans la voie initiée en 1997, en adoptant des mesures radicales qui tranchent avec le discours convenu des experts. C'est le but d'une stratégie de cohésion sociale.

La stratégie de la cohésion sociale : mettre en œuvre le droit au travail

Il n'existe pas, face à un environnement donné, de stratégie unique.

Une nation doit dresser le bilan de ses forces et de ses faiblesses, les comparer à celles de ses concurrents, définir une stratégie qui tienne compte de sa culture et de ses spécificités.

La France doit choisir la stratégie de la cohésion sociale. Ni son histoire, ni sa culture, ni ses caractéristiques ne lui permettent d'opter pour une stratégie de " moins-disant social et fiscal " qui serait suicidaire.

La force d'une nation, et singulièrement de la nation française, tient aussi à sa cohésion sociale.

Les décisions d'implantation des entreprises ou les choix de pays de résidence des particuliers aisés, ne sont pas, comme on le prétend, dictés par la faiblesse des bas salaires ou du taux marginal de l'impôt sur le revenu mais dépendent d'une compétitivité globale où des critères de qualité de vie aussi divers que la formation, la sécurité, la culture, le respect de l'environnement… et la cohésion sociale sont intégrés dans les paramètres des décisions.

Nous croyons ardemment que " l'investissement " dans la cohésion sociale peut se révéler décisif dans la compétition entre les nations.

Le droit au travail est au cœur de cette stratégie de cohésion sociale.

Pour une mise en œuvre du droit au travail

En mars 2000, l'un des signataires de cette contribution avait publié une proposition pour que le droit au travail cesse d'être un droit théorique et puisse s'exercer concrètement (proposition disponible sur le site www.droit-au-travail.com).

S'inspirant de l'expérience des acteurs de l'insertion par l'économique qui œuvrent à la réintégration des publics en difficulté par le travail, la proposition visait à créer des " contrats d'utilité sociale " dont bénéficierait tout adulte durablement privé d'emploi et mis à disposition de collectivités locales et d'associations. Afin de fixer les ordres de grandeur financiers, la proposition montrait qu'on pouvait créer 1,5 millions d'emplois d'utilité sociale pour un coût annuel de 55 milliards de francs, en supposant que le bénéficiaire travaille 4 jours sur 5 (le cinquième étant consacré à la formation, la recherche d'un emploi ou le montage d'un projet personnel), rémunérés au 4/5 du SMIC.

Cette proposition doit être enrichie, complétée, explicitée.

Nous voulons conserver ses principes et commencer à préciser les modalités possibles de sa mise en œuvre. Mais nous voulons surtout conforter son volontarisme et son caractère massif. C'est l'honneur du gouvernement Jospin d'avoir à nouveau permis de réaffirmer l'objectif de plein emploi. Mais certains de nos concitoyens sont lassés d'espérer depuis de trop longues années, n'acceptent plus les licenciements économiques ou le chômage de longue durée alors même que l'économie est florissante et que s'affichent les profits des entreprises et les très grandes fortunes.

Nous devons nous mettre en situation d'offrir, à défaut du " plein emploi tout de suite ", " le plein emploi très vite ".

Les principes :

La mise en œuvre du droit au travail suppose :
  1. La reconnaissance de la situation spécifique des personnes dites loin de l'emploi voire très loin de l'emploi. Quel que soit le taux de croissance, quels que puissent être les besoins en main d'œuvre des entreprises, certains de nos concitoyens ne sont aujourd'hui pas aptes à exercer du jour au lendemain une activité en entreprise. Dépourvus de toute qualification, fragilisés physiquement ou psychologiquement, ils devront faire l'objet d'un réapprentissage progressif, ce " sas " cher aux acteurs de l'insertion par l'économique.

  2. Le constat que le retour de la croissance ne suffira pas à faire disparaître l'exclusion ; les enfants des exclus d'aujourd'hui ont de fortes chances de le devenir à leur tour comme le montre, par exemple, la constance voire la détérioration du taux d'élèves en situation d'échec à l'entrée en sixième. Il ne s'agit donc pas seulement de traiter les chômeurs de longue durée actuels mais de mettre en place des dispositifs pérennes en attendant que les sources de l'exclusion soient enfin taries.

  3. La mobilisation de ressources financières importantes. N'esquivons pas : la réinsertion coûte cher et nous devrons y consacrer des efforts que nous ne consacrons pas aujourd'hui. Ainsi, à titre d'exemple et en dépit de l'octroi de crédits nouveaux depuis 1997, les emplois d'insertion ne représentent toujours que l'équivalent de 50.000 équivalents temps plein, chiffre notoirement insuffisant au regard des publics qui devraient bénéficier de ce statut.

  4. La réaffirmation de la valeur travail.
    Nous continuons de penser que le travail offre plus à son bénéficiaire que les indispensables ressources financières : par le travail l'homme tisse des liens sociaux, affirme le sentiment de son utilité, acquiert à ses yeux, comme à ceux de son entourage, sa dignité.

    C'est pourquoi les socialistes doivent se montrer plus que circonspects face aux propositions dites d'impôt négatif ou de revenu universel qui ne sont, au-delà des intentions de leurs auteurs, que des béquilles au travail précaire et n'intègrent pas le lien entre travail, affirmation de soi et citoyenneté.

  5. La reconnaissance des travailleurs faiblement productifs.
    Voilà bien un non-dit de l'époque moderne : de tout temps nos sociétés ont dû composer avec des personnes qui ne disposaient pas pleinement de leurs capacités intellectuelles ou physiques. La France rurale, villageoise, organisée autour de la famille élargie savait créer les solidarités nécessaires à leur intégration. Ca n'est plus le cas aujourd'hui et, incapables d'exercer une activité normale dans des entreprises tenues à l'amélioration de la productivité, les voilà livrées à elles-mêmes, gonflant les effectifs des bénéficiaires du RMI.

    Nos partenaires européens, confrontés au même constat, ont, eux, choisi de recourir à l'octroi de pensions d'invalidité. Ainsi, le récent rapport de Fitoussi et Passet montre que la Finlande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suisse, le Danemark, l'Autriche surtout, mais aussi le Royaume-Uni, l'Italie, le Portugal et la Suède, ont massivement utilisé cette formule puisque les bénéficiaires de pensions d'invalidité y représentent plus de 6 % de la population active.

    Quelles leçons pouvons-nous tirer de ces expériences voisines ? Certes, ces travailleurs peu productifs placés en invalidité sont, de fait, mieux indemnisés qu'ils ne le seraient par l'assurance-chômage et cela doit nous inciter à réfléchir à nos propres carences. Mais nous continuons de penser que ces personnes, lucides, conscientes et pour beaucoup d'entre elles constantes, dévouées, voire acharnées lorsqu'on leur confie des tâches, devraient pour elles, comme pour leur entourage et en particulier pour leurs enfants, accéder au travail plutôt que d'être réduites à l'inactivité.

  6. La responsabilisation des entreprises.
    Les entreprises portent une part de responsabilité dans la situation des chômeurs de longue durée et des exclus. Dans les années 80 et 90, et encore aujourd'hui, elles se sont souvent révélées peu efficaces dans la formation et la gestion prévisionnelle de leurs ressources humaines, promptes à faire des hommes les premières victimes des ajustements structurels ou de leurs propres erreurs de gestion, privilégiant au nom du culte de la " création de valeur " pour l'actionnaire le profit à court terme plutôt que le développement.

    Nous ne voulons pas de la privatisation des profits et de la socialisation des pertes… ou des investissements.

    Les entreprises doivent apporter leur pierre à l'effort de réinsertion des chômeurs dont elles seront ensuite bénéficiaires. C'est le sens de la proposition que nous ferons plus loin de créer une obligation d'insertion dans l'entreprise.

Les modalités de mise en œuvre.

Nous serons amenés, à l'automne 2000, à présenter une nouvelle proposition de mise en œuvre du droit au travail, intégrant des modalités techniques plus précises.

D'ores et déjà les principales orientations peuvent être dégagées.

  1. Tout chômeur doit bénéficier d'un conseil et d'un accompagnement personnalisés.

    Toutes les expériences connues, qu'elles émanent du service public (" Nouveau départ " de l'ANPE, programme Trace, etc.), d'associations ou fondations privées, montrent les réussites engendrées par l'individualisation du suivi des chômeurs.

    Cet accompagnement personnalisé des personnes au chômage suppose que l'ANPE se voit dotée de moyens accrûs. Notons que contrairement à une idée reçue, ceux-ci sont aujourd'hui bien inférieurs à ceux que la plupart de nos partenaires européens consacrent au Service public de l'emploi.

  2. Les acteurs de l'insertion par l'économique doivent être recentrés sur les publics en grande difficulté.


    La France a développé pendant les années de marasme social un vrai savoir-faire en matière de réinsertion des publics en difficulté. Dans les entreprises d'insertion, les associations intermédiaires, les régies de quartiers, les chantiers écoles, les militants de l'intégration par le travail se sont dépensés sans compter et ont contribué à éviter des déchirements - voire des explosions - majeurs.

    Mais aujourd'hui l'insertion par l'économique est dans l'impasse. Ses moyens sont insuffisants, certains de ses outils (par exemple les chantiers) désormais peu attractifs, le renouvellement des dirigeants et des acteurs du secteur insuffisant et rendu difficile par la juxtaposition des compétences gestionnaires et sociales requises.

    Le secteur de l'insertion par l'économique doit non seulement se voir renforcé et renouvelé mais recentré sur sa mission première : favoriser la réinsertion des personnes les plus éloignées de l'emploi.

    Ce recentrage suppose :
     des lieux de formation pour les acteurs du secteur,
     des conventions passées entres les structures insérantes, le service public et les entreprises (voir point 3) afin de permettre à leurs dirigeants de se libérer de la course au financement auprès de multiples donneurs d'ordre qui dilapide aujourd'hui le temps et l'énergie de ses dirigeants.

  3. La loi doit créer une obligation d'insérer pour les entreprises.

    Chacun le sait : la meilleure insertion est celle qui se fait dans l'entreprise. On sait aussi que c'est la plus rare et la plus difficile, le choix rationnel d'un recruteur ne le portant naturellement pas à retenir la personne la plus éloignée de l'emploi.

    Les entreprises pâtissent elles-mêmes de cette situation : elles ne cessent aujourd'hui de se plaindre de ne pouvoir trouver le personnel qualifié qu'elles recherchent dans plusieurs secteurs d'activité alors même que des millions de personnes continuent à être privées d'emploi.

    Nous devons donc créer une obligation d'insérer. En fonction de sa taille, l'entreprise se verrait contrainte d'accueillir en son sein une ou plusieurs personnes dites " prioritaires " choisies parmi des personnes éloignées de l'emploi.

    Le bénéficiaire pourrait être soit intégré directement dans les effectifs de l'entreprise, soit, lorsque nécessaire, placé par convention dans une structure d'insertion pendant les 6, 12 ou 18 mois nécessaires à sa remise à niveau. Une telle obligation existe déjà en France en faveur des personnes handicapées, mais la possibilité qu'ont les entreprises de s'en affranchir en payant une " indemnité " a beaucoup atténué son impact et c'est pourquoi nous préconisons ici des modalités différentes.

    Afin de limiter le coût pour l'entreprise, on peut imaginer :

     soit qu'elle puisse déduire en tout ou partie les sommes consacrées à l'insertion des sommes légalement affectées à la formation, ce qui offrirait l'avantage de réorienter une partie d'entre elles vers le bas de hiérarchie des entreprises alors qu'il est patent qu'elles sont aujourd'hui principalement captées par la formation des cadres.

     soit que l'entreprise puisse proposer au bénéficiaire, pendant son placement provisoire en structure d'insertion, un contrat dont les caractéristiques seraient proches du " contrat d'utilité sociale " évoqué précédemment.

    Ainsi nous pourrions concrétiser la promesse faite lors de la campagne électorale de 1997 de créer aussi 350 000 emplois-jeunes dans le privé.

  4. La mise en œuvre du " contrat d'utilité sociale " pourrait être progressive et centrée sur des publics prioritaires.

    Selon nous, la mise en œuvre du droit au travail suppose que tout adulte durablement privé d'emploi se voit, a minima, proposer un contrat d'utilité sociale qui se substituerait aux diverses formes d'emplois aidés (emplois-jeunes, CES, CEC, CIE etc)

    Dans un premier temps, afin de rôder la formule et de ne peser que progressivement sur les finances publiques, on pourrait envisager de limiter les premiers bénéficiaires aux jeunes de moins de 25 ans (ce qui constituerait une réponse à l'absence de RMI jeunes), aux plus de 50 ans aujourd'hui pour la plupart incapables de retrouver un emploi et aux chômeurs de très longue durée.

  5. Le contrat d'utilité sociale pourrait aussi devenir un outil au service de la formation en alternance des adultes chômeurs de longue durée non bénéficiaires des contrats d'apprentissage, d'autant que la France accuse, sur ce terrain, un retard important par rapport à ses partenaires européens, de l'ordre du simple au double.

    Nous devons donc développer l'apprentissage, dont le succès en matière d'insertion est reconnu et pas seulement pour les jeunes de moins de 26 ans.

  6. Le contrat d'utilité sociale pourrait, enfin, à défaut d'un véritable " statut du créateur " d'entreprise bien difficile à concevoir et coûteux à mettre en place, permettre au chômeur-créateur de bénéficier, pendant une durée donnée, des ressources nécessaires pour vivre et monter un projet, une fois celui-ci jugé viable par les réseaux spécialisés de la création d'entreprise.

    Nul ne songerait à faire de la création d'entreprise la principale réponse à la situation personnelle des chômeurs et notamment des chômeurs de longue durée.

    Mais force est de constater que presque une entreprise sur deux est créée par un chômeur et que contrairement à une idée reçue, les échecs d'entreprises créées par des chômeurs ne sont pas supérieurs à la moyenne nationale lorsque ceux-ci ont été correctement accompagnés, en amont et en aval de la création. Le chômeur-créateur mérite considération et appui.

    Ainsi le contrat d'utilité sociale (que le député Jacky Darne suggère, probablement à juste titre, d'appeler plutôt " contrat de retour au travail " - C.R.T.-) deviendrait un outil polyvalent au service de l'insertion ou de la réinsertion des personnes éloignées de l'emploi. Il favoriserait, selon les cas, en fonction de la situation individuelle de chacun, l'exercice d'un emploi socialement utile au sein d'une collectivité ou d'une association, l'obtention d'un droit à l'insertion au sein d'une entreprise, le cas échéant après un " sas " au sein d'une entreprise d'insertion, l'acquisition d'un savoir-faire et d'une formation diplômante ou la disponibilité nécessaire pour créer son entreprise.

Vers la République sociale

Ainsi, le droit au travail doit devenir l'un des piliers de ce pacte républicain que nous voulons raffermir. Donner une chance réelle à chacun de nos concitoyens de s'intégrer au sein de notre société suppose notamment :
  • Garantir la fonction redistributive de l'impôt. Toute hausse de l'impôt n'est pas bonne en soi ; sa baisse n'est pas nécessairement trahison de l'idéal de gauche. Il n'en demeure pas moins que l'impôt scelle le pacte républicain. Contribuer aux charges communes à proportion de ses ressources. Le vieil adage révolutionnaire n'a pas pris une ride. S'ils ne veulent pas perdre leur légitimité et leur raison d'être, les socialistes ne doivent pas toucher à l'équilibre tacite qui sous-tend leur action.

    Nous voulons et nous favorisons la croissance, la création de richesses. Mais nous voulons aussi une vraie politique de redistribution, un partage équitable de ces richesses.

  • l'Etat, seul garant de l'intérêt général, doit être défendu face à l'offensive idéologique libérale ou néo-libérale. Mais pour la gauche la défense de l'Etat ne peut s'appuyer que sur des objectifs politiques clairs, un renouvellement du pacte républicain proposé à nos concitoyens.

    La défense de l'Etat passe aussi par une clarification de ses responsabilités. La démocratie participative suppose que le citoyen, l'usager ou le contribuable identifient clairement les compétences des institutions et administrations, qu'ils sachent qui est responsable en dernier ressort. Aujourd'hui cette compréhension est troublée par une organisation administrative complexe, des compétences partagées, la multiplicité d'autorités indépendantes, comités et autres conseils.

  • La réforme de l'Etat, sa modernisation sont nécessaires, car rien ne serait pire qu'un Etat immobile. Un Etat moderne doit pouvoir être jugé à l'aune de la qualité du service rendu à nos concitoyens et de l'efficacité de l'utilisation qu'il fait de l'argent public.

  • Une république moderne est inconcevable sans une participation accrue des citoyens, car le fonctionnement administratif est potentiellement porteur de dérives bureaucratiques. Information partagée, participation réelle des citoyens à la décision, mise en œuvre conjointe et évaluation indépendante sont les clés d'une action de l'Etat re-légitimée.

Un Parti socialiste ouvert et audacieux :

Pour mettre en œuvre le droit au travail, plaider en Europe pour un modèle de cohésion sociale, redonner aux Français le goût de la politique, nous avons besoin d'un Parti Socialiste fort, ouvert sur l'extérieur, audacieux dans ses propositions.

Depuis 1997 le gouvernement de la gauche plurielle a fait la preuve de ses qualités de gestion. Au Parti socialiste, à ses militants, de continuer à nourrir la réflexion collective, à renforcer son autonomie de pensée et de proposition.

En 2002 nous aurons un bon bilan à présenter à ceux qui nous ont fait confiance. Il nous reste à démontrer la constance de notre volonté à transformer et améliorer leur vie quotidienne et renforcer l'exigence de fraternité.

– Signataires –
Eric Besson, député de la Drôme
Henri Bertholet, député de la Drôme
Gérard Bertrand, premier secrétaire fédéral de la Drôme
Jean-Pierre Blazy, député du Val-d'Oise
Augustin Bonrepaux, député de l'Ariège
Pierre Cohen, député de Haute-Garonne
Jacky Darne, député du Rhône
Stéphane Delpeyrat, premier secrétaire fédéral des Landes
François Deluga, député de la Gironde
Jean-Jacques Denis, député de Meurthe-et-Moselle
Laurence Dumont, députée du Calvados, secrétaire fédérale
Jean-Noël Guérini, sénateur, président de la fédération des Bouches-du-Rhône
Didier Guillaume, maire de Bourg-de-Péage
Cécile Helle, députée du Vaucluse, secrétaire nationale, première secrétaire fédérale
Pierre-André Imbert, militant - fédération de Paris
Armand Jung, député du Bas-Rhin
Jean Launay, député du Lot
Bruno Le Roux , député de Seine-Saint-Denis
Christian Martin, maire de Draguignan
Luc Matray, adjoint au maire de Saint-Denis
Alexandre Medvedowsky, vice-président du conseil général des Bouches-du-Rhône
Philippe Nauche, député de la Corrèze
Germinal Peiro, député de la Dordogne
Bernard Piras, sénateur de la Drôme
Daniel Vachez, député de Seine-et-Marne
Michel Vergnier, député de la Creuse, secrétaire fédéral

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