Face à l'horreur,
le ministre ne doit pas devenir déraisonnable

Marylise Lebranchu

Entretien avec Marylise Lebranchu, ancienne garde des sceaux, accordé au quotidien Libération daté du 27 septembre 2005
Propos recueillis par Ludovic Blecher


 

Le garde des Sceaux souhaite introduire dans la future loi anti-récidive la rétroactivité du port d'un bracelet électronique relié au guidage par satellite (GPS) pour les délinquants et criminels sexuels condamnés, au minimum, à cinq ans de prison. Comment réagissez-vous à une telle proposition? ?
C'est typiquement une façon de faire la loi dans l'affectif. Un garde des sceaux demande, en prenant à temoin la population, à des parlementaires de voter un texte anticonstitutionnel. Il fait appel à leur complicité en prétendant faire appel à leur sens des responsabilités. C'est se moquer du débat public, c'est avouer une vraie panique devant ses propres responsabilités politiques.
C'est vrai qu'on est face à l'horreur (avec les affaires de violeurs récidivistes, NDLR). Mais face à l'horreur, le ministre ne doit pas devenir déraisonnable. Là, on est dans la médiatisation de l'annonce de la loi. C'est désolant. C'est la même stratégie que Nicolas Sarkozy, une stratégie uniquement politique qui revient à faire croire que la sécurité est à droite et le laxisme à gauche. Ça n'a pas de sens. Sur des sujets comme ça, on pourrait avoir un consensus et se mettre enfin à travailler sérieusement sur la récidive. Le port du bracelet peu faire partie des solutions mais face à une personne qui a une pulsion de l'ordre du dérèglement mental, ça ne réglera pas tout. C'est surtout en amont qu'il faut intervenir.

C'est-à-dire ?
Les prisons françaises sont toutes surchargées. Les personnels n'ont plus les moyens d'y faire un travail sérieux. La lutte contre la récidive doit d'abord se faire à l'intérieur des prisons puis, par un accompagnement, un suivi, du délinquant sexuel à sa sortie. Avant de réagir aux conséquences d'une libération anticipée, le garde des Sceaux devrait se poser la question des conditions dans lesquelles se passe la détention en France. J'ai vu quatorze personnes détenues pour des crimes sexuels entassées dans une même cellule et ne bénéficiant d'aucun suivi. Les psychiatres ne sont pas assez nombreux et n'ont ni les temps ni les moyens de les prendre en charge. Il faudrait peut-être arrêter de mettre tous les petits délinquants en prison et trouver, pour eux, des peines qui aient un sens comme les peines de réparation ou d'intérêt général. Ça permettrait de se concentrer sur les grands délinquants, d'avoir une vraie prise en charge pendant et après la prison. C'est ça l'urgence.

Pourquoi dénoncez-vous ce que vous appelez la " méthode Sarkozy " ?
Il veut que tous les délinquants, petits ou grands, aillent en prison. Ça a calmé le vol de portables mais, à la sortie, les délinquants sont encore plus violents. Nous sommes dans la fuite en avant et la prison devient criminogène. Si on ne s'occupe pas de ce qu'il se passe à l'intérieur des prisons, la France va vraiment devenir le pays de la récidive et de la violence.

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