Une loi pénitentiaire, vite !

Point de vue signé par Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la Justice, députée du Finistère, paru dans le quotidien Le Monde daté du 26 juin 2004


 
En 2000, le scandale causé par le livre de l'ancien médecin de la prison de la Santé, les rapports des deux commissions d'enquête parlementaires, en particulier celui du Sénat dont la majorité de droite n'était pas la moins sévère et le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture ne laissaient pas vraiment le choix : il fallait mettre un terme à ce que le Sénat avait appelé " une humiliation pour la République ".

Mais les temps ont changé, et cette droite même qui employait les grands mots a renvoyé l'humiliation aux oubliettes et les prisons à leur souffrance. Les parlementaires, dont je fais partie, qui répondant à l'appel d'un collectif d'associations, de syndi-cats et de partis ont visité des prisons ces derniers jours ont pu vérifier l'urgente nécessité d'améliorer les conditions de détention.

Ma fierté est pourtant d'avoir lancé les bases d'un programme immobilier de 10 milliards de francs, non pour accroître le nombre des détenus, mais pour remplacer les établissements vétustes et offrir des conditions de détention dignes, ainsi que pour permettre aux personnels de travailler dans de meilleures conditions de sécurité et de salubrité. Mais, je l'ai toujours dit, aucun programme immobilier ne peut à lui seul résoudre la crise pénitentiaire toujours actuelle : il faut un plan d'ensemble pour y inclure la maîtrise de la croissance de la population pénale, la mise en œuvre d'un véritable objectif de réinsertion et un approfondissement de la réflexion sur les missions et la reconnaissance du rôle des personnels.

Depuis mai 2002, le gouvernement " fait dans le sécuritaire ". Les résultats ? Jamais la population pénale n'a été aussi élevée (près de 64 000 détenus pour moins de 50 000 places), au point que, contrairement à l'engagement que j'avais pris, les dernières ouvertures d'établissements neufs n'ont pas toutes été suivies de la fermeture de l'établissement vétuste qu'ils étaient censés remplacer.

Vivons-nous pour autant dans une société plus sûre ? J'en doute pour deux raisons : d'une part, nous assistons à la fabrication d'une bombe à retardement, car ces détenus, qui sont généralement des hommes ou plutôt de jeunes hommes, de plus en plus jeunes, vont nécessairement sortir (la grande majorité des peines d'emprisonnement prononcées est inférieure à un an), et leurs conditions de détention lamentables les auront un peu plus privés de ce lien social par lequel chacun d'entre nous devrait se sentir débiteur des bienfaits que la communauté lui apporte.

D'autre part, peut-on vraiment parler de sécurité quand les violences contre les personnes n'ont cessé d'augmenter au cours de ces deux dernières années ? Si la population pénale de la France était proportionnellement égale à celle des Etats-Unis, il y aurait 500 000 détenus dans notre pays au lieu de 64 000, soit un rapport de presque 1 à 10. Et pourtant, personne n'ira soutenir que les Etats-Unis, en tête du box-office pour les homicides, sont dix fois plus sûrs que la France !

Il faut cesser de faire croire que plus de prison, c'est plus de sécurité ! Il faut stopper le fonctionnement de la machine à haine, à exclusion ! Et comme nos magistrats n'ont pas d'autre choix que d'appliquer la loi, c'est sur le contenu même de la loi qu'il faut s'interroger. La loi doit donner un sens à la peine et ne doit pas être l'instrument de la surpopulation pénitentiaire. Qu'on le veuille ou non, tout passe par le mot réinsertion, c'est- à-dire par l'éducation, qui se fait... avec des éducateurs. Combien sont-ils ? Moins de 3 000 pour assurer le suivi de 130 000 personnes en milieu ouvert, outre les 64 000 détenus actuels. Ce n'est pas sérieux. Il suf-fit de considérer que les personnels de surveillance sont, eux, plus de 20 000, et qu'ils sont sans doute aussi en nombre insuffisant. Il faut donc considérablement augmenter le nombre des éducateurs et revaloriser leur condition autant pour rendre plus attrayante leur fonction et attirer des vocations que pour marquer la considération attachée à leur travail.

Faire accéder un détenu à un dispositif de réinsertion, dans lequel la formation professionnelle joue un rôle essentiel, ce n'est pas lui faire un cadeau, c'est faire un investissement dont la collectivité sera bénéficiaire. Eviter la prison à un délinquant tout en recréant ce lien social que je viens d'évoquer et qui fait si souvent défaut, c'est faire un investissement doublé d'une salutaire économie.

Les personnels de surveillance méritent aussi une attention particulière. Comme ministre de la justice, je les ai souvent rencontrés, ces surveillants dont on parle finalement assez peu et assez mal. Comment ne pas évoquer leur souci bien justifié de la sécurité ? Il faut comprendre cette inquiétude des personnels, et bien voir que tout incident peut devenir le premier élément d'un engrenage infernal, de même que tout détenu victime ou se croyant victime de ces petites injustices que favorise la promiscuité dans un lieu clos peut devenir un véritable furieux.

Mais il faut aussi que les personnels cessent de considérer les détenus comme une sorte de catégorie socioprofessionnelle concurrente, pour prétendre que tout " avantage " dont ils viendraient à bénéficier devrait être accompagné d'une compensation à leur profit. Quelles protestations n'élèvent pas certaines de leurs organisations syndicales contre tout ce qui améliore un tant soit peu les conditions de détention ! Que n'a-t-on dit lorsque la loi du 12 avril 2000 a reconnu aux détenus le droit élémentaire d'être assisté d'un conseil devant la commission de discipline ! Que n'ai-je entendu lorsque j'ai osé proposer d'adoucir le régime du mitard !

Il faut arrêter cette surenchère absurde et enfin admettre que la simple mise à niveau aux normes de la plus élémentaire humanité n'est pas un cadeau fait aux détenus. Mais encore faut-il que ces surveillants soient mieux préparés et qu'ils ne soient pas deux, voire seuls, en présence de cent cinquante détenus, car c'est alors que s'installe l'intranquillité qui pousse, au mieux, à éviter le contact et, au pis, à commettre une maladresse.

Il reste beaucoup de sujets à aborder, car le chantier est vaste. Il a un nom : loi pénitentiaire. Préciser le sens de la peine, redéfinir et valoriser les missions des personnels de surveillance, éducatifs et de direction, ne plus faire de la prison une machine à fabriquer de la révolte, mais la cantonner à son rôle de mal nécessaire d'où peut sortir un bien si elle fonctionne autrement, assurer son contrôle par une autorité indépendante, tels sont les objectifs que devrait se donner le gouvernement au lieu de remplir les prisons sans se poser la question de l'après. C'est le message qui me paraît le plus urgent dans la condition actuelle de nos prisons : vite, une loi pénitentiaire !

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