Bâtir une République des territoires

Point de vue signé par Marylise Lebranchu, députée du Finistère, paru dans le quotidien Le Monde daté du 19 avril 2006


 
" Prendre le pouvoir pour vous le rendre ", voilà ce qui guidait les pères de la décentralisation. Les différentes lois qui se sont succédé avaient toutes pour objectif de rapprocher l'action publique du citoyen. Plus proches donc plus efficaces, plus près, donc plus lisibles, les collectivités locales devaient créer le renouveau d'une République à bout de souffle, République engourdie par la longueur de ses procédures, la distance entre la décision et le terrain. Chaque gouvernement a donc, depuis 1982, transféré, décentralisé, compétences, services, responsabilités aux collectivités locales dans cette logique. Somme toute, hélas, les finances suivent de moins en moins les compétences transférées.

La loi du 13 août 2004, puis les décisions de plafonnement de la taxe professionnelle sont de véritables coups de grâce assénés à l'esprit de décentralisation. Pas une collectivité n'est épargnée, toutes prises en otage par les promesses de baisses d'impôts de Jacques Chirac qui tente de sauver le budget de l'Etat par un jeu de transferts de charges aux collectivités. Les transferts massifs de personnels de l'Etat vers ces dernières ont été imposés sans vision pour l'organisation de la République.

Ces changements seront pourtant lourds de conséquences : en multipliant par 5 le nombre d'agents gérés par les régions c'est la nature même de ces collectivités qui a été bouleversée. A cela s'ajouteront les rattrapages inéluctables concernant les équipements mal entretenus par l'Etat, à l'image de l'expérience passée avec les transferts des lycées, collèges et TER, qui alourdiront les charges de ces collectivités. Et que dire face aux transferts du RMI et de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) aux départements, qui n'ont pas reçu à ce jour les compensations promises ?

L'égalité de droit des citoyens, fondement de la République, sombre avec cette impossibilité à surmonter les fossés qui séparent collectivités riches et collectivités pauvres. Cette situation a une conséquence : la triste fin de la décentralisation comme nous l'avons vécue.

Il est dorénavant impossible de penser une réforme de cet édifice bringuebalant sans imaginer une remise à plat totale de ce schéma institutionnel et démocratique. Le nouvel âge de la décentralisation, porté par le Parti socialiste, doit viser sans a priori la recherche de l'intérêt général et non pas l'intérêt propre de nos collectivités locales.

Désunies, concurrentes, les collectivités locales ne seront plus que des proies face à un Etat prédateur.

Que ferons-nous de notre mille-feuille institutionnel ? Poserons-nous les questions de création d'une péréquation réellement corrective des inégalités territoriales ?

Nous intéresserons-nous à l'instauration de blocs cohérents de compétences revus et simplifiés, comme par exemple un bloc scolaire global avec un gestionnaire unique du primaire au lycée, une compétence transports de la route au chemin de fer ou une collectivité unique en charge du développement économique et de l'aménagement du territoire ? Affronterons-nous la question de la clause de compétences générales ?

Quelles perspectives pour les fonctions publiques, aurons-nous enfin une fonction publique ? Quels nouveaux services, nouvelles directions et organismes d'Etat à déconcentrer demain ? Quel périmètre, quel rôle pour l'Etat ?

Fixons les objectifs politiques et faisons moins de technique : proposons un texte qui réorganisera l'ensemble de notre République en passant des pouvoirs du Parlement et du président de la République à la nouvelle organisation territoriale. Une République nouvelle garante du droit et de l'accès au droit. Garante de l'égalité de droit, elle doit être aussi garante de l'égalité de fierté d'avoir une langue ou une culture, garante de l'ouverture aux autres, correctrice des inégalités sociales et territoriales.

Voici les défis qui se posent à nous. Répondons à chacune de ces interrogations et nous réussirons à bâtir la République des territoires que nous appelons tous de nos voeux. Faisons comme si ces questions n'existaient pas et nous serons voués à l'échec. Nous aurons le loisir de démontrer que le nouvel âge de la décentralisation ne sera pas une marotte pour élus et initiés mais bien une réforme pleine de sens visant à revivifier notre pacte démocratique et républicain au seul et unique profit : celui des citoyens.

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