Pour la gauche,
changer le PS


Point de vue signé par Jean-Marie Le Guen et Pierre Moscovici paru dans le quotidien Le Monde daté du 14 Septembre 1995




Jean-Marie
Le Guen



Pierre
Moscovici



Renouveau, refondation, modification, transformation, changement, renaissance... : peu importent les termes, la rénovation du Parti socialiste et de la gauche, annoncée par la campagne présidentielle de Lionel Jospin, est à l'ordre du jour, et attendue par des millions de nos concitoyens.

Elle touchera bien sûr tous les domaines, et d'abord les idées. Qui ne voit que, malgré les avancées de la campagne présidentielle, la pensée de gauche est en crise ? L'Europe, la politique économique face au chômage et aux inégalités, la question sociale : sur tous ces thèmes, comme sur les pratiques politiques ou l'éthique républicaine, le clivage entre la droite et la gauche est parfois imperceptible, en tout cas trop difficilement lisible. Ne nous y trompons pas : c'est d'abord sur ses idées, sur son imagination, sur sa capacité à élaborer un projet qui puisse demain devenir une politique, que la nouvelle gauche sera jugée.

Pour élaborer ce projet, pour le faire vivre, la rénovation suppose aussi un choix adéquat des femmes et des hommes qui en seront les concepteurs et les vecteurs, et une refonte des structures politiques. Nous voulons aujourd'hui aborder cette dernière question, parce qu'il s'agit du symbole et de l'outil essentiel du rapport au politique, mais aussi et surtout d'une nécessité aiguë face au profond déficit de représentation qui s'exprime avec la montée continue, notamment chez les ouvriers et les plus défavorisés, du Front national.

Pour être à la hauteur du défi démocratique des prochaines décennies, pour faire en sorte que toujours plus de citoyens soient à nouveau engagés dans une action politique qui réponde à leurs aspirations et à leurs problèmes, l'enjeu est pour nous clair : il faut rénover le Parti socialiste, pour aller vers une grande force politique moderne, ouverte, nombreuse, impliquée dans la société, vers un mouvement de la gauche démocratique.

L'opposition entre communisme et socialisme est dépassée partout en Europe. Le socialisme n'est pas, comme dans la vulgate, un stade intermédiaire vers la société communiste, et il n'y a plus, à l'Est, de modèle : le socialisme démocratique l'a définitivement emporté sur le communisme totalitaire. D'aucuns vont même jusqu'à considérer que l'effet de souffle de l'explosion du bloc soviétique a atteint le socialisme lui- même. Nous n'en sommes pas : le socialisme demeure un beau mot et une grande idée. Il est néanmoins clair que celle-ci doit changer. Faut-il pour autant vouloir labéliser dans notre pays la social-démocratie, au moment même où elle est en crise dans toute l'Europe ? Pourquoi pas ? Mais malgré ses vertus expiatoires, le recours à ce signifiant magique, au demeurant peu opératoire en France, risquerait de négliger certaines formes de la protestation sociale et du combat politique.

Nous croyons, tout simplement, à la pertinence du concept de la gauche et à sa dynamique de rassemblement, à une gauche qui incarne le mouvement, le progrès, la citoyenneté républicaine, l'intégration, à une gauche qui puisse unir toutes ses familles aujourd'hui éparses socialistes, communistes, écologistes, républicains, radicaux... , à une gauche qui sache évoluer dans le temps, au fil des nouvelles questions qui se posent à elle.

Ainsi la capacité à inventer une nouvelle redistribution des richesses, du savoir, du pouvoir, dans des sociétés complexes où les inégalités des revenus, des connaissances, dans l'accès à l'information sont de plus en plus fortes, est-elle une des conditions essentielles de la renaissance de la gauche. La démocratie s'impose comme principe premier dans cette action. Là réside sans doute le clivage principal entre la droite et une gauche moderne qui saurait tirer les leçons de ses insuffisances passées. L'extension de la démocratie politique et sociale à tous les niveaux : au Parlement, dans les collectivités décentralisées, notamment la ville et les quartiers, dans l'entreprise, à l'université, dans la vie associative et syndicale, et sur tous les thèmes (politique économique, protection sociale, Europe, éducation, écologie, logement, sécurité, aménagement du territoire) doit être à nouveau le fondement de notre démarche politique.

Pour ce faire, la gauche doit être mouvement. Les partis de gauche en France sont aujourd'hui, c'est le moins que l'on puisse dire, peu attractifs. Le Parti socialiste, qui sut dans les années 70 être en phase avec la société avant de s'immobiliser puis de se rétracter, n'y échappe pas : le rétrécissement, le vieillissement, les querelles de pouvoir, l'usure et l'ésotérisme des discours et des problématiques, l'ignorance de trop d'enjeux essentiels, la négligence des mouvements sociaux constituent autant de caractéristiques dissuasives, notamment pour les jeunes et les milieux populaires, qu'un sursaut le choix démocratique serein, transparent et pertinent de notre candidat à la présidence de la République ne suffit pas à effacer.

Pour nous, il s'agit de totalement repenser demain l'implication dans l'action politique et la fausse séparation militant/sympathisant/électeur/citoyen.

Devant les nouveaux modes de vie et de communication, face aux nouveaux problèmes de la cité, il faut à l'évidence imaginer des formes différenciées d'engagement politique : militantisme classique, propagande traditionnelle, soutien financier mais aussi, de plus en plus, expérimentation sociale, débat, expertise, services. Dans cette conception, l'appartenance à un parti n'est plus le résultat d'une exclusion ou d'une sélection, mais l'aboutissement d'une plus grande insertion, plus permanente, plus intense, plus concrète.

Le parti, dès lors, cesse d'être une contre-société, propriété d'un petit nombre de militants certes sincères et dévoués, pour la plupart désintéressés, mais parlant parfois un langage codé, souvent élus ou candidats à l'élection. Il devient un mouvement, un réseau qui fédère, dans l'action et le combat politiques, des associations thématiques, professionnelles, des clubs, des formations différentes mais liées entre elles par une même démarche.

Quel qu'en soit le nom Mouvement démocrate et socialiste, Parti de la gauche, Mouvement de la gauche citoyenne... et pourquoi pas, après tout, Parti socialiste, si celui-ci change et s'ouvre vraiment ? nous sommes convaincus que l'élaboration d'un tel mouvement de la gauche démocratique, qui ne se décrète pas et qui prendra du temps, est une des tâches premières de la rénovation qui va se mettre en marche autour de Lionel Jospin.

Un tel mouvement peut devenir le creuset d'un projet alternatif, d'un retour vers l'action politique et d'un nouvel espoir.


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