Les 35 heures vite et bien !

Marie-Noëlle Lienemann
Maintien des salaires, refus de l'annualisation, nouvelle donne fiscale : tel doit être le contenu de la loi-cadre.
par Marie-Noëlle Lienemann, députée (PS) européenne et maire d'Athis-Mons.


Point de vue paru dans les pages " Débats " de Libération daté du 19 novembre 1997

 
Le gouvernement a posé un acte politique majeur, en annonçant une loi-cadre qui fixera en l'an 2000 la durée légale du travail à 35 heures par semaine. Bravo! Maintenant, il faut passer à l'acte et veiller à ce que cette mesure assure un réel progrès social et des créations massives d'emplois. Tout dépendra du contenu de la loi-cadre et de la mobilisation des salariés.

La loi doit d'abord garantir le maintien des salaires. Historiquement, la RTT a toujours été faite avec maintien ou augmentation du salaire. Comment pourrait-il en être autrement aujourd'hui, alors que nous produisons de plus en plus de richesses avec de moins en moins de travail, et que, depuis vingt ans, la rémunération du capital ne cesse de progresser au détriment de celle du travail? Les 35 heures doivent être l'occasion de rendre son dû au monde salarié.

Il ne s'agit pas de supprimer les profits mais de trouver un plus juste équilibre entre capital et travail. Sinon, c'est un recul du pouvoir d'achat qui attend nos concitoyens, comme aux Etats-Unis où le pouvoir d'achat moyen d'un salarié est inférieur à ce qu'il était en 1989. La menace n'est pas théorique. Partout, la concurrence sert de prétexte à cette pression à la baisse des rémunérations et à la dérégulation sociale.

La loi-cadre doit également refuser l'annualisation du temps de travail, limiter les heures supplémentaires et ériger des garde-fous contre la flexibilité. Le patronat trouvera toujours que les salariés ne sont pas assez flexibles, parce que, à l'évidence, l'idéal est de payer chacun juste pour ce qu'il fait et lorsqu'on en a besoin.

Ce mouvement concerne également les cadres et les professions intellectuelles, à travers l'externalisation de nombreuses fonctions. Le cadre salarié d'hier est devenu chef d'une entreprise rémunéré à la mission, avec les risques que cela représente! La flexibilité est l'ennemi de l'emploi, et l'annualisation réduit sans cesse le nombre d'emplois stables. Par ailleurs, la tendance à la réduction, dans l'entreprise, des coûts de santé, de retraite, d'éducation et de formation entretient les déficits publics, en obligeant l'Etat et les collectivités à verser des allocations aux salariés «flexibles».

Méfions-nous des dogmes libéraux. Pendant des années, l'OCDE s'est obstinée à expliquer que l'existence d'un Smic était un frein à l'emploi. Aujourd'hui, le même organisme reconnaît qu'il n'y a aucune corrélation entre son existence, son niveau et le chômage. Alors, ne cédons pas aux sirènes de la flexibilité.

La loi-cadre doit aussi établir une nouvelle donne pour les prélèvement sociaux et fiscaux des entreprises. Les cotisations patronales doivent être réduites pour les entreprises de forte main-d'oeuvre et aux profits modestes, et augmentées pour celles qui font de forts bénéfices avec peu de personnel. Il faut asseoir les cotisations sociales sur la valeur ajoutée, les profits réalisés, pondérés à la baisse par la masse salariale. Dans le même esprit, il faut réduire la taxe professionnelle sur l'artisanat et de nombreuses PME.

Cette refonte «à somme nulle» permettrait une généralisation de la RTT. Cette méthode serait plus efficace que les mesures incitatives, qui coûtent cher et ne bénéficient pas toujours aux entreprises qui en ont besoin. On ne peut pas attendre 2002 pour 25 % des salariés (ceux des PME de moins de 20 employés). Il faut faire vite, et partout, sinon les gains de productivité réduiront l'effet créateur d'emploi des 35 heures. En revanche, pour les 32 heures et la semaine de 4 jours, des incitations seraient les bienvenues, dès maintenant.

Un tel cadre législatif permettrait une négociation sociale où l'emploi - et non les petits boulots - serait la priorité, où les salariés ne seraient pas dos au mur, où les entreprises ne seraient pas fragilisées.

Le succès dépendra en grande partie de la mobilisation des salariés, en particulier pour exiger le recrutement de cadres. Les cadres français travaillent trop. Veillons à ce que les 35 heures ne soient pas théoriques pour eux, et que les recrutements relancent possibilités de promotion et embauches de jeunes.

La négociation sociale doit, en effet, inclure l'amélioration de la compétitivité. Nos entreprises souffrent souvent d'une mauvaise organisation du travail et les Français, eux, estiment qu'ils ne sont pas reconnus, voire qu'ils s'ennuient dans leur travail. Mais cela n'a pas l'air d'inquiéter grand monde... Alors, oui, avec les 35 heures, il faut négocier une nouvelle jeunesse pour les entreprises françaises.

Les partisans de la RTT n'ont pas une vision restrictive du développement. Les besoins humains insatisfaits représentent un énorme potentiel de travail. Ceux qui décrient l'aspect malthusien de la RTT sont ceux qui refusent de voir l'Etat redistribuer les richesses pour «solvabiliser» ces nouvelles activités. Avec les 35 heures, osons dans cette direction.

La société du temps libéré est la nouvelle frontière de l'émancipation de l'homme, propice à la créativité d'un pays. Mais c'est aussi le refus de cette dualité entre ceux qui participent à la vie économique et ceux qui vivent de l'assistance qu'on veut bien leur octroyer. Au modèle américain, elle oppose une certaine idée de l'égalité et de la République.

Alors, partout les 35 heures hebdomadaires sans perte de salaire ! C'est nécessaire, possible et urgent !

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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