Réhabilitons la police et la justice

Marie-Noëlle Lienemann
Certes, il faut s'attaquer au problème du chômage. Mais la crise actuelle de la société demande aussi que l'on résolve l'impuissance des deux institutions majeures de la République.
par Marie-Noëlle Lienemann, députée (PS) européenne et maire d'Athis-Mons.


Point de vue paru dans les pages " Débats " de Libération daté du 29 janvier 1998

 
Les violences urbaines révèlent une fois de plus, une fois de trop, la double crise qui frappe notre société. Crise sociale sur fond de chômage, d'accroissement des inégalités, d'exclusion et de précarisation des salariés, et crise culturelle du modèle républicain, dont les valeurs ne sont - partiellement - rappelées que lorsqu'il s'agit de sermonner les plus vulnérables. Où est passée la belle idée d'égalité ? Que deviennent les idées de démocratie, de maîtrise collective de nos destinées, quand l'économie s'exonère de tout arbitrage politique et nous impose sa dure logique reléguant l'humain au second rang ?

Rien ne sera vraiment réglé sans un changement économique et social majeur, sans le courage d'inverser cette donne. Pour autant, il faut agir vite, en particulier en relançant et en réorientant la politique de la ville, et en s'attaquant à l'inadaptation profonde de deux institutions majeures de notre République: la police et la justice. Car leur impuissance à assurer la sécurité et à faire vivre l'Etat de droit est un poison majeur pour notre démocratie et fait le lit de tous les raidissements et des extrémistes.

Oui, nous avons parfois l'impression que la police n'intervient pas ou mal, lorsqu'un problème survient, lorsque des trafics de drogue sont connus, lorsque de vastes réseaux de recel s'organisent sous nos fenêtres, ou que des nuisances nocturnes répétitives sont constatées. On ne peut que regretter la pauvreté manifeste du travail d'investigation sur le terrain. Tous observent aussi la faiblesse et l'inadaptation des moyens de surveillance de nuit, qui, avec le week-end, est le temps fort de la délinquance.

Dire cela ne constitue pas un crime de lèse-majesté contre la police, dont il ne faut pas minimiser la difficulté de la tâche. La première urgence est donc le renforcement et le redéploiement des effectifs, qui sont injustement répartis, la redéfinition des tâches prioritaires, et l'adaptation des moyens d'intervention.
On ne peut pas raisonnablement prétendre résoudre le problème de l'insécurité par le seul îlotage de jour. Le policier n'est pas un animateur, ni un surveillant de square. Il est là pour prévenir et arrêter les délits. En laissant aux polices municipales - qui n'ont pas besoin d'être armées - la mission de faire respecter les règles de civilité, en leur permettant d'engager des sanctions contre le bruit, le non-respect de la circulation en ville, etc., on déchargerait la police nationale, qui doit être mobilisée sur des actions plus en lien direct avec la délinquance effective.

Les contrats locaux de sécurité proposés par le gouvernement doivent permettre ces complémentarités et un meilleur ajustement au terrain. Reste qu'une loi et un plan national de réorganisation de la police sont indispensables. La loi pourrait, par exemple, garantir partout un îlotage de jour et de nuit pour 10 000 habitants en zone urbaine, et un commissariat dans toute ville de plus de 20 000 habitants. Car le minimum républicain est loin d'être assuré dans la plupart des villes de banlieue et de périphérie. La répartition des forces de police sur le territoire national est d'une opacité consternante et d'une grande injustice.

Par ailleurs, la démotivation de certains policiers, que l'on ne peut ignorer ni prendre à la légère, repose généralement sur deux types d'arguments : la peur et le laxisme de la justice. La peur n'est pas toujours fondée, mais elle est toujours mauvaise conseillère. Une formation permanente et une meilleure utilisation des techniques modernes permettraient de la faire reculer. Nul ne peut accepter que les brigades nocturnes refusent de patrouiller à pied pour aller à la rencontre d'un groupe de jeunes au motif d'un rapport de forces défavorable. La délinquance aurait déjà gagné: la force primerait sur le droit !

La thèse du «laxisme de la justice», en revanche, génère un véritable cercle vicieux. « Rien ne sert d'intervenir, puisque les délinquants sont tout de suite relâchés !» Combien de fois entend-on cette explication dans nos villes. L'argument n'est certes pas acceptable, car on ne peut se dédouaner de ses missions au prétexte que les autres n'assument pas les leurs. Toutefois, la réponse judiciaire à la petite et moyenne délinquance est à l'évidence inadaptée. Il est en effet monnaie courante de voir tel multirécidiviste rentrer chez lui après quelques heures au poste, la tête haute, et d'apprendre ensuite le classement sans suites de l'affaire. Le discrédit de la justice est là. Même si cette dernière réagit sporadiquement et inflige quelques «peines pour l'exemple», comme ce fut le cas à Strasbourg - huit mois de prison ferme pour une voiture brûlée ! A défaut d'être plus efficace, la justice se montre injuste. On n'a pas progressé d'un cheveu. Ou bien, ultime recours, on voit ressortir ces vieilles méthodes qui n'ont jamais rien arrangé: la prison pour mineurs, les maisons de correction new-look, le durcissement des peines.

Il est clair que si aucune alternative n'est proposée cette dernière solution fera son chemin. Mais son prix est socialement insupportable: nous savons que la prison est une usine à récidive et la réinsertion des détenus un vrai casse-tête.

Pourquoi ne pas réhabiliter une idée simple: tout délit mérite sanction, même pour un mineur ? Aucun acte délictueux ne doit être classé sans suite. La peine doit être systématique, proportionnée et rapide. Pour la première bêtise, la médiation pénale doit être la règle. Ensuite, il faut généraliser les tâches de réparation éducatives et d'intérêt général (TGI, adaptées selon l'âge du délinquant).

Ne nous retranchons pas derrière les difficultés d'application de ces procédures. Il faut à coup sûr renforcer les moyens de la justice, tant pour accroître le nombre de juges que pour garantir les droits de la défense. De même, il faut réviser des pans entiers de notre législation et revoir celle des TGI, qui est lourde, compliquée et décourage les acteurs chargés de sa mise en oeuvre, en particulier les collectivités locales.

Mais il faut aussi doubler les postes de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'action éducative en milieu ouvert. Bref, au-delà du débat actuel, une loi sur les peines légères et délits mineurs est devenue indispensable. Elle pourrait être préparée par tous les acteurs concernés.

Reste l'essentiel, c'est-à-dire la défense des valeurs de notre République, l'équilibre à retrouver entre les droits et les devoirs. Quand l'égalité des droits n'est pas réelle, personne ne doit s'étonner que les devoirs soient négligés et que monte la délinquance. Quand il faut payer 40 francs pour faire l'aller-retour entre la banlieue et Paris, c'est-à-dire quand on condamne des jeunes à resquiller et à se faire pincer, comment s'étonner que cela débouche sur l'insécurité dans les transports publics ?

De même, quand rien n'est fait contre le racisme à l'embauche, qui ne cesse de s'installer dans un non-dit hypocrite, quand les meilleurs élèves passent derrière d'autres, moins diplômés mais blancs... comment s'étonner que les victimes expriment la « rage » ? Que feriez-vous à leur place ? Alors réformons la police et la justice, et, si le civisme a besoin d'être enseigné, la citoyenneté et le contrat social de notre République ont besoin d'être vécus !

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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