21, 21, 21

Martin Malvy
Point de vue de Martin Malvy, président du conseil régional Midi-Pyrénées, paru dans le quotidien Le Monde daté du 6 février 2004


 
Pour avoir été, pendant quinze ans, journaliste, il est vrai en province, avant de devenir député, ministre, et enfin président de région, je m'adresse à ceux dont je pourrais être encore le confrère. Comment préparent-ils les élections régionales et cantonales des 21 et 28 mars ? Plus exactement, quelles leçons ont-ils tirées du 21 avril 2002 ? Si ma mémoire est fidèle, cette date avait certes interpellé au premier chef les responsables politiques, mais avait aussi conduit à une remise en question, par certains journalistes eux-mêmes, de la manière dont les médias préparent l'opinion aux grandes échéances électorales.

Nombre d'entre eux avaient eu l'honnêteté de s'interroger sur la façon dont avait été mise en exergue l'insécurité dans les semaines précédant le scrutin. L'épisode du vieil homme molesté par des jeunes en fut le paroxysme. Le 21 avril 2002 s'est produit dans un environnement qui, au minimum, n'était pas neutre, et qui, pour certains, fut orienté vers une mise en condition de l'opinion. Concurrence oblige et Audimat exige : on se souvient du déferlement d'images. Cela ne fut pas sans influence.

Plus jamais ça ", ont entonné dans un bel ensemble, dès le 22 avril, politiques et journalistes responsables. Et pourtant... Deux ans après, le même scénario se remet en place. Qui s'en aperçoit ? Nous assistons une nouvelle fois à une caricature de débat public. Escamotés, les enjeux des prochains scrutins. Escamoté, le thème majeur de la décentralisation.

Ce ne sont pas les régionales qui intéressent, mais la prochaine présidentielle. Comme si mars devait amener en avril un nouveau locataire à l'Elysée et une autre Assemblée nationale. Bien sûr, le débat est politique ! Mais il l'est aussi au titre même de la décentralisation transformée en démantèlement de l'Etat et en transfert organisé des charges. Il l'est encore pour ce qui est des politiques elles-mêmes, lancées ou non par les régions.

Pouce ! Ce sont les conseils régionaux et généraux que l'on renouvelle. De quoi s'agit-il ? De politiques qui, additionnées, comptent plus, en masse d'investissements annuels, que celles qui sont conduites par le gouvernement. De politique de proximité, d'écoles, de collèges, de lycées, d'universités, de transports, de routes et de TER, de nouvelles technologies de la communication, de culture et de recherche, de sport. D'emploi aussi.

Or que se passe-t-il ? Une télévision privée annonce un " débat exceptionnel ", le 5 février, qui, pour parler des régions et des départements, réunira exclusivement des leaders... nationaux ! Au passage, Jean-Marie Le Pen est une des rares têtes de liste régionale invitées ce soir-là, à cette heure de grande écoute. Il sera toujours temps, le 21 mars, de s'interroger sur les raisons profondes d'une nouvelle progression du Front national en PACA ! Rendons à cette chaîne ce qui lui revient : elle vient de programmer, tous les soirs à 19 heures, un jeu télévisé mettant en scène des candidats venus des 22 régions métropolitaines. Le téléspectateur n'aura pas de vrai débat régional avec celles et ceux qui, tous les jours, sont les acteurs de la décentralisation. Il pourra au moins découvrir qu'il existe des régions en France...

On aurait pu espérer que la télévision publique assumerait, elle, sa mission de service public et d'éducation citoyenne. Voyons ! La seule case aujourd'hui dédiée aux questions politiques à 20 h 50, " 100 minutes pour comprendre ", a d'abord été consacrée à agiter le voile sous le nez de l'électorat. Thème rebattu à tous les bulletins d'informations alors qu'à quelques semaines des élections régionales et départementales aucune émission n'a, jusqu'à présent, été consacrée à " comprendre " ce que font, et avec quels moyens, les institutions décentralisées et ce que seront pour nos concitoyens les nouvelles règles et conséquences de la décentralisation Raffarin. Quelle belle émission France 2 aurait pu faire sur le transfert des personnels non enseignants de l'éducation nationale aux collectivités locales, sur le passage du RMI au RMA ou sur l'augmentation insidieuse des péages que les régions doivent verser à la SNCF, en rupture avec les conventions de décentralisation ! L'audience n'en aurait pas souffert. D'autres émissions sont annoncées. On nous promet qu'elles seront consacrées aux vrais enjeux. Acceptons-en l'augure...

France 3 ferait-elle mieux ? Elle s'est lancée dans un effort méritoire d'explication en programmant une spéciale " Enjeux des élections de mars ", avec décrochage par région. Bel élan, contredit par deux " détails ". Les politiques en ont été exclus au profit des "experts" supposés neutres ; l'approximation de leur discours fut parfois à faire pâlir le citoyen le moins avisé. Le service public peut-il impunément ancrer dans l'idée des citoyens qu'il n'est pas possible de parler sérieusement de politique lorsque des responsables politiques sont présents ? De plus, cette émission " civique " a été diffusée le 21 janvier à... 23 h 25 : la boucle est bouclée ! Allez vous coucher, bonnes gens, la décentralisation ne concerne que ceux qui ne travaillent pas le lendemain !

Il y a décidément des 21 janvier qui nous préparent de nouveaux 21 avril dans la bonne conscience générale.

Que l'on ne nous dise pas que les Français se désintéressent de la politique ! Ni les journalistes. Mais sont-ils sûrs de savoir comment fonctionne la France de 2004 ? De ne pas mépriser en réalité les élus dits " locaux " encore plus que les nationaux ? Quand on prend le temps d'interroger les Français, comme je le fais actuellement en Midi-Pyrénées, sur ce qu'ils veulent pour leurs enfants dans les lycées, sur leurs choix en matière de transports en commun, de développement de leur agglomération ou de leur pays, de formation professionnelle, c'est par milliers qu'ils prennent le temps de remplir des questionnaires, d'interpeller leurs responsables.

Dans toutes les régions, les élus de gauche comme de droite ressentent cette frustration face à l'absence de débats, dans la plupart des médias, sur les questions quotidiennes qui les concernent et dont régions et départements ont la responsabilité.

Comment faudra-t-il dire que, dans une démocratie, si les citoyens ne savent plus qui fait quoi, avec qui et pourquoi, ou qui devrait faire et ne fait pas et pourquoi, alors, le dimanche des élections, ils vont à la pêche, à la plage ou aux boules ? Continuons à préparer les régionales avec le voile, en attendant que l'actualité se braque sur d'autres feux et que passent les élections de la décentralisation ! Alors le 21 mars 2004 ressemblera au 21 avril 2002. Ce n'est pas de résultats électoraux qu'il s'agit, mais bel et bien de l'avenir de la démocratie.

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