Union européenne :
La Constitution d'abord,
le combat ensuite

Gilles Martinet
Point de vue signé par Gilles Martinet, ancien secrétaire national du PS (1975-1979), paru dans le quotidien Libération daté du 27 octobre 2004


 
L'Union européenne s'est toujours construite par le haut, c'est-à-dire par des négociations entre des gouvernements nationaux. Pouvait-il en être autrement ? Je ne le crois pas. En 1979, alors que je siégeais au premier Parlement européen élu au suffrage universel, un député socialiste italien, Spinelli, proposa que, suivant l'exemple fameux des Etats généraux de 1789, le Parlement se transforme en Assemblée constituante. L'initiative n'eut aucune suite sinon la création d'un petit club de réflexion dit du « crocodile », du nom du restaurant ou il s'était réuni pour la première fois.

Ni les gouvernements, ni les opinions publiques, ni les Parlements nationaux n'étaient prêts à accepter un tel événement... Je suis persuadé qu'il en serait de même aujourd'hui ; avec sans doute plus de réserve encore que dans le passé. Et ceci pour deux raisons essentielles.

La première tient au fait que dans tous nos pays la ligne d'horizon demeure nationale. Seules des minorités (économiques, administratives et politiques) vivent pleinement l'Europe. Il faut y ajouter les producteurs agricoles dont l'attitude varie selon l'importance et la nature des subventions qu'ils reçoivent, mais aussi de la concurrence que leur font d'autres pays de la communauté. Les milieux populaires sont, sinon hostiles, du moins réticents à la construction européenne sur laquelle ils n'ont guère de prise et dont les mécanismes leur paraissent trop complexes. Ils redoutent des décisions qui viennent d'ailleurs et qui peuvent remettre en cause les avantages sociaux qu'ils ont acquis dans le cadre national. Nous trouvons ici la deuxième raison d'une certaine désaffection pour l'Europe.

Ce qui faisait jadis l'identité de l'Europe, c'est un système que l'on appelait l'économie sociale de marché ou encore le modèle social-démocrate ; d'autres parlaient de capitalisme « rhénan » pour le distinguer du capitalisme américain. Cela a permis l'extension de la protection sociale, des réductions successives de la durée du travail et la consolidation du pouvoir syndical. Et c'est cela qui est progressivement remis en cause par une mondialisation qui ne cesse de favoriser le modèle américain au détriment du modèle « rhénan ». Le milieu des ouvriers et des employés est le plus directement concerné car il voit les menaces qui pèsent sur l'emploi comme sur le temps de travail. D'où la tentation de mettre dans le même panier la mondialisation, la Constitution européenne et la politique du gouvernement Raffarin ; autrement dit de voter non au prochain référendum.

Certains laissent entendre que la Constitution une fois rejetée, il sera possible de la renégocier en éliminant les aspects les plus contestables du texte actuel, c'est-à-dire l'exigence d'un vote à l'unanimité dans des domaines aussi importants que le domaine fiscal qui commande, en partie, le domaine social. Il s'agit malheureusement d'un mensonge : cette possibilité n'existe pas pour le moment. Il faudrait pouvoir remettre en cause un rapport des forces qui, sur le plan des gouvernements comme sur celui des luttes sociales, n'est pas favorable. Pour renverser ce rapport des forces il faudrait que le combat social ne soit pas uniquement défensif et qu'il puisse être relié à un projet politique susceptible de remettre en cause la prédominance actuelle du modèle américain. Or ce projet n'existe pas encore, du moins sur le plan européen.

Dès lors, l'enjeu d'un éventuel référendum se réduit à un choix entre l'adoption de la nouvelle Constitution et le maintien de la situation présente. Or personne ne peut nier que la Constitution représente une nette avancée par rapport au traité de Rome. Et la gauche européenne a intérêt à ce que les institutions fonctionnent le moins mal possible Elle ne peut jouer la politique du pire qui ne servirait qu'à renforcer ceux qui veulent s'en tenir à une Europe « grand marché » et finalement remettre en cause les engagements politiques que contient la Constitution. Ne faisons pas comme si le rapport des forces actuelles pouvait être renversé dans le très proche avenir mais préparons les luttes qui permettront ce renversement en profitant de la campagne électorale pour en faire apparaître les objectifs.
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