Réguler les échanges

Gilles Martinet

Point de vue signé par Gilles Martinet, ancien secrétaire national du PS (1975-1979), ambassadeur de France, paru dans le quotidien Le Monde daté du 24 février 2005


 
Jusque-là, on avait perçu le phénomène de la mondialisation à travers le prisme des idéologies : libérale, tiers-mondiste ou altermondialiste. Ce qui a empêché de s'interroger sérieusement sur son avenir ou, plus exactement, sur ses avenirs possibles.

Selon l'idéologie libérale, le mouvement qui impose la concurrence et lève toutes les barrières qui gênent la libre circulation des capitaux ne saurait avoir de fin ni même supporter de correctifs.

Tant pis si cela accroît les inégalités et remet en cause le fragile équilibre qui s'était établi, en Europe, entre le marché et la démocratie. Les acquis sociaux des cinquante dernières années étaient généreux, nous dit-on, mais le maintien d'un grand nombre d'entre eux est devenu irréaliste. Il est vrai que ces acquis sociaux ne sont pas dus au marché mais à la démocratie, laquelle permet les affrontements et les compromis, qui, à leur tour, favorisent les progrès sociaux.

Au-delà d'une certaine limite, la mondialisation libérale, en imposant la suprématie du marché, menace la démocratie. Ce qui provoque d'inévitables réactions. Elles sont de deux sortes : d'un côté les syndicats, pour sauver les acquis, livrent des batailles défensives qui sont souvent nécessaires mais qui n'en sont pas moins souvent perdues parce qu'elles ne s'appuient pas sur un projet alternatif ; de l'autre l'abstention, c'est-à-dire le détachement de la politique, gagne les électorats. Les hommes politiques, qui songent naturellement à leur élection ou à leur réélection, en sont parfaitement conscients.

Mais aujourd'hui, ils ne peuvent nier que l'essor des pays jadis sous-développés est nécessaire aux équilibres mondiaux et qu'il doit être considéré comme un élément positif pour l'avenir de notre planète et de ses populations dont une grande partie vit toujours dans la misère. Evidemment, ils s'inquiètent des répercussions que cet essor peut avoir sur le niveau de vie des pays de l'Ouest, mais les perspectives ne sont pas toutes négatives. L'Occident a encore une avance dans le monde de la science, de la recherche, de la technologie. Certes, le protectionnisme à l'ancienne, national, appartient au passé. Mais on va le voir réapparaître au niveau des grands ensembles continentaux.

La montée en puissance de la Chine, de l'Inde, des pays de l'Est asiatique et bientôt du Brésil montre qu'il existe désormais plusieurs " tiers-monde ". L'Afrique n'est pas l'Asie. Pour les uns, le problème demeure celui de l'accroissement de l'aide sous toutes ses formes (ce qui impliquera, à un certain moment, une taxation des mouvements de capitaux). Et il faudra veiller autant que possible à ce que cette aide ne soit pas monopolisée par des élites corrompues. Pour les autres, c'est la régulation des échanges qui est en cause.

L'un des principaux lieux de cette régulation est l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Longtemps elle a été dominée par les intérêts occidentaux. Ce n'est plus le cas depuis l'arrivée de la Chine, entre autres. Des positions contradictoires s'y affrontent, et c'est donc le lieu où, sur la base de concessions réciproques, peuvent intervenir des compromis.

La politique de l'Union européenne devrait partir de cette réalité nouvelle. Il faut déterminer ce qui doit être concédé et ce qui ne le peut pas. Un exemple : la politique agricole. Il sera impossible de supprimer les subventions dont elle bénéficie et qui sont présentement indispensables, mais se posera le problème particulier des subventions à l'exportation. Sur ce point, Pascal Lamy, au temps où il représentait l'Europe dans la négociation, a admis qu'un renoncement pouvait intervenir en échange de concessions de la part du bloc Chine-Inde-Brésil. Inutile de souligner les difficultés de cette démarche. Mais elle est la seule raisonnable si nous voulons sauvegarder pour l'Europe le niveau de vie de ses populations et ses chances de nouveaux progrès démocratiques.
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