Les gènes de la gauche française

Gilles Martinet

Point de vue signé par Gilles Martinet, ancien secrétaire national du PS (1975-1979), ambassadeur de France, paru dans le quotidien Le Monde daté du 28 avril 2005


 
Célébrer le centenaire de la création du Parti socialiste permet de retracer une histoire. Mais elle devrait être aussi l'occasion de mesurer l'influence qu'elle a sur les hommes d'aujourd'hui. Comme tout être vivant, la gauche française a un code génétique. Sa naissance remonte à 1789. Mais, depuis, au fil des générations, de nombreux métissages sont intervenus. Pendant longtemps, les enfants du père Marx - authentiques ou bâtards - ont occupé le devant de la scène. Mais les gènes de Proudhon n'avaient pas pour autant disparu. On les voit resurgir dès qu'il est question d'opposer au " parlementarisme " la démocratie directe, aux " professionnels de la politique " le combat social et le mouvement associatif. On peut, à partir de là évoquer l'existence de plusieurs gauches.

Il y a une gauche qui entretient une culture d'opposition et se contente de sa fonction " tribunicienne " , et une autre gauche, qui privilégie la lutte pour le pouvoir et la culture de gouvernement. Une gauche distributrice et une gauche plus rigoureuse sur le plan économique. Une gauche pour laquelle la propriété sociale sera toujours moralement supérieure à la propriété privée, et une gauche qui s'accommode assez facilement de l'économie de marché.

Entre ces différentes gauches, il n'existe pas de fossés infranchissables, car chacun est partagé entre des sentiments contradictoires. On peut, selon les événements, passer de l'une à l'autre. On le voit à l'occasion du débat sur la Constitution européenne. Certains défendent des positions en pleine contradiction avec celles qu'ils avançaient auparavant. Depuis le tournant des années 1980 règne une certaine confusion. D'une part, la gauche a perdu l'espoir d'une révolution, c'est-à-dire d'une rupture avec le capitalisme fondée sur les nationalisations et la planification (pour ne pas parler de l'autogestion), ce qui supposait, sans qu'on voulut l'admettre, un certain protectionnisme national, incompatible avec la construction européenne.

D'autre part, personne ne peut plus nier que, dans tous les pays où le capitalisme a été renversé (toujours par l'affrontement armé), le " socialisme réel " ne s'est maintenu que par l'instauration d'un Etat totalitaire. Il n'y a malheureusement pas eu d'exception à cette règle.

Or le rêve du socialisme français, depuis Jaurès, était d'associer la révolution à l'épanouissement de la démocratie. Il lui faut maintenant assumer sa vérité réformiste, c'est-à-dire s'apprêter à gérer dans le cadre du capitalisme en combattant ses dérives libérales et en cherchant à lui imposer de nouveaux objectifs sociaux et environnementaux. Cette stratégie apparaît d'autant plus inévitable que l'économie de marché se développe aujourd'hui en Russie comme en Chine. Le grand rêve né de la révolution d'Octobre n'a pas seulement été souillé par la mort des libertés et le goulag, il a échoué finalement sur le plan économique.

Depuis sa défaite de 2002, le Parti socialiste français s'est refait une santé en soutenant toutes les revendications et en approuvant tous les mécontentements. Il lui faut maintenant démontrer qu'il existe un projet alternatif. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'au diagnostic. Le projet doit tenir compte de la mondialisation, et donc de l'avenir de l'Europe. Il doit être conçu en accord avec les autres social-démocraties européennes.

Mais voilà où se situe la difficulté. Dans la gauche française, il existe des gènes réformistes, révolutionnaires et libertaires. Il n'existe pas un gène social-démocrate. La charte d'Amiens adoptée jadis par les syndicats en a interdit la naissance.
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