La fausse campagne

Pierre Mauroy

par Pierre Mauroy, Sénateur du Nord, Président de la Fondation Jean-Jaurès
Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 6 juin 2002


 
« Mon adversaire, ce n'est pas la gauche, c'est la cohabitation. » La formule du premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, résume la stratégie de la droite pour les élections législatives. Elle mérite d'être méditée. Car, en réalité, elle est l'illustration de cette fausse campagne, de ces fausses affirmations et de ces faux arguments que l'on essaie de placer au cœur du débat public.

Elle est le symbole de cette mécanique qui voudrait que la cause soit entendue, le verdict des urnes rendu et la droite d'ores et déjà réélue. Elle est le reflet de ce moment étrange qui voudrait qu'en quatre tours de scrutin les Français ne soient jamais appelés à se prononcer sur l'orientation politique qu'ils souhaitent pour leur pays, entre les impératifs réels du vote moral du 5 mai et les contraintes artificielles d'un choix institutionnel les 9 et 16 juin.

Tout cela n'est qu'une mauvaise fable.

La nature du vote du 5 mai pose moins, en réalité, la question de la cohabitation que celle, plus importante, de la nature du régime institutionnel.

La cohabitation n'est pas une solution, mais elle est n'est pas non plus un problème. Nul n'est attaché à la cohabitation. Elle est seulement la conséquence possible de ce qui fait la spécificité de la Ve République : l'existence de deux légitimités concurrentes issues de l'élection présidentielle et des élections législatives.

Mais personne ne peut dire que la cohabitation a empêché le gouvernement de gouverner : Jacques Chirac entre 1986 et 1988, Edouard Balladur entre 1993 et 1995 et, bien sûr, Lionel Jospin entre 1997 et 2002 ont dirigé le pays sans que le président de la République soit en mesure de s'opposer aux choix qui étaient les leurs. Et la droite devrait, pour être cohérente, plaider pour la démission de Jacques Chirac si les Français choisissaient une majorité de gauche à l'Assemblée nationale. Il n'en est évidemment rien car ce débat n'est que tactique.

Il y a, pourtant, un vrai débat institutionnel que les Français vont trancher. La victoire de la droite provoquerait une présidentialisation de nos institutions qui nous ramènerait aux heures du gaullisme triomphant des années 1960. Par un curieux paradoxe, Jacques Chirac pourrait cumuler la légitimité la plus faible - compte tenu de son score du 21 avril - et les pouvoirs les plus étendus. Le poids de l'Elysée dans la conduite de la politique gouvernementale comme dans la constitution du parti unique de la droite montre éloquemment que, sur ce point au moins, Jacques Chirac compte se situer dans la ligne du général de Gaulle lorsque celui-ci déclarait, il y a presque quarante ans, que tous les pouvoirs devaient procéder de lui. Telle n'est pas l'évolution des institutions qui me paraît adaptée au nouveau siècle.

Or nous avons aujourd'hui la possibilité de rapprocher notre pays des autres démocraties européennes. Une victoire de la gauche, en effet, nous ferait accomplir un pas décisif dans la voie d'un régime parlementaire plus affirmé : les relations entre un gouvernement élu pour mettre en œuvre une politique et un président élu pour défendre la République ressembleraient davantage à ce qui peut exister au Portugal ou en Finlande - où le président est également élu au suffrage universel direct - qu'à ce que nous avons connu depuis 1986 en France. Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, le choix du premier ministre serait dicté, comme ailleurs, par la situation politique.

Le vrai débat institutionnel n'est donc pas : « pour ou contre la cohabitation ? », mais : « pour une présidentialisation ou pour une parlementarisation de la Ve République ? ». Et le vrai débat n'est pas institutionnel mais politique. L'adversaire de Jean-Pierre Raffarin et de la droite, ce n'est pas la cohabitation, c'est la gauche. L'adversaire de la gauche, c'est la droite et l'extrême droite. Et ceux qui doutent de l'existence du clivage entre la gauche et la droite devraient méditer sur la seule décision annoncée par le gouvernement depuis un mois : la baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu.

Les baisses d'impôt votées par le gouvernement de Lionel Jospin ont profité à tous les Français. Les baisses d'impôt proposées par la gauche pour l'avenir concernent surtout les plus modestes. Le choix de la droite est concentré sur les plus riches : quand on passe des discours aux actes, il ne s'agit plus d'aider la « France d'en bas. »

Avant d'être instruits par l'expérience avec cinq ans de gouvernement de droite, avant de se réveiller, comme au lendemain du 21 avril, avec l'amertume au cœur, il est encore temps de réagir. Car il est encore possible de gagner.

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