États Généraux
du Parti socialiste
Lyon - 3 juillet 1993

Pierre Mauroy
Discours prononcé par Pierre Mauroy, président de l'Internationale Socialiste.




 
Chers camarades, plus de quatre vingts partis frères sont venus, ici, à Lyon participer à ces États Généraux. Gérard Fuchs vient de les présenter au nom du Parti socialiste Français. Je voudrais à mon tour les saluer, comme Président de l'Internationale Socialiste, puisque c'est à ce titre que j'ai le plaisir de m'exprimer devant vous.

Par leur amicale présence, tous ces partis nous rappellent que le combat des socialistes atteint sa plus haute signification lorsqu'il défend, à travers le monde entier, des valeurs universelles.

Ces valeurs ont pour nom liberté, justice sociale, solidarité, paix, démocratie et droits de l'homme. La social-démocratie les incarne, le temps ne les a pas périmées - bien au contraire -, et il suffit de regarder autour de nous, en Europe et dans le monde pour voir que les peuples ne les ont pas rejetées.

Nous saluons la victoire de nos amis espagnols, ta victoire cher Felipe Gonzales et celle du PSOE. Nous saluons les victoires récentes des socialistes au Danemark, en Irlande, en Australie et au Sénégal. Et nous formons des vœux raisonnables pour le succès des nôtres lors des prochaines échéances en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Grèce, en Finlande, en Suède et pour une brillante confirmation en Autriche.

L'Internationale Socialiste tisse patiemment sa toile. Elle a accompli un progrès remarquable avec la constitution en Europe du parti des socialistes européen qu'anime Willy Claes. Nous muliplions nos efforts pour améliorer grandement notre organisation en Amérique latine et en Afrique et pour assurer notre percée en Asie.

Certes, l'IS doit s'adapter aux changements pour surmonter la crise que nous subissons, cette profonde mutation dont il faut faire l'analyse bien au-delà de l'effondrement du communisme que beaucoup veulent confondre avec la victoire inéluctable du capitalisme. C'est d'ailleurs ce défi là que nous entendons relever. Mais je constate que l'Internationale Socialiste n'a jamais reçu autant de demandes d'adhésions qu'aujourd'hui de la part de ceux qui combattent pour la justice, le droit et le progrès dans les pays du Tiers-Monde.

Quant aux forces démocratiques nées de la rupture avec le communisme, nous entendons ouvrir avec elles des formes nouvelles de dialogue. Nous l'avions fait avec le PDS - l'ancien Parti Communiste Italien - qui a achevé son évolution en devenant membre à part entière, en septembre dernier, de l'internationale Socialiste et qui vient de remporter, au milieu de grandes difficultés, un réel succès aux élections municipales. Nous le ferons plus largement encore à l'Est par l'intermédiaire du Forum pour la démocratie que nous venons de créer.

Certes, ici, en France, nous avons subi une lourde défaite. Mais la présence de nos amis de l'Internationale montre que la carte de notre socialisme dans le monde est contrastée : ici des défaites, là des victoires. Aujourd'hui comme hier, le combat est, certes, difficile et le socialisme reste encore une idée neuve à mettre en application. Aujourd'hui comme hier, ce combat est parfois tragique et il requiert de la part des militants beaucoup de sacrifices.

Ce sont nos camarades de Slovénie, de Macédoine, de Croatie et même de Serbie qui luttent, au péril de leur vie, contre les insupportables débordements du nationalisme sauvage, et en particulier, en Bosnie. Et j'aimerais aujourd'hui rendre hommage au maire social-démocrate de Tuzla, ville assiégée depuis des mois, et au président, social-démocrate lui aussi, du parlement pluri-ethnique de Bosnie.

Ce sont nos camarades, Aït Ahmed en Algérie, Bénazir Bhutto au Pakistan, qui luttent dans des conditions difficiles contre l'extrêmisme religieux. Et vous comprendrez que je ne puisse passer sous silence le drame qui se déroule en Algérie. La montée de l'intégrisme, croyez-le bien, ne concerne pas les seuls pays arabes. Nous respectons les religions. Nous saluons l'identité des peuples. Mais nous ne saurions garder le silence sur les atteintes aux droits de l'Homme. Le mécanisme totalitaire est toujours le même. D'abord on brûle les livres, puis on tue les intellectuels, enfin on prend un peuple en otage. L'Algérie nous est trop proche et trop chère, pour ne pas dire notre révolte, devant l'assassinat avec préméditation de sept intellectuels dont le crime est de vouloir jeter un pont entre l'Islam et l'Occident.

C'est aussi notre amie Rigoberta Menchu, Prix Nobel de la paix, qui continue son combat courageux pour la liberté et la dignité des minorités indiennes au Guatémala et en Amérique centrale. C'est mon ami Michel Ascueta, ancien Maire de Villa El Salvador héros des bidonvilles de Lima, blessé il y a quelques jours à peine dans un lâche attentat perpétré par le “ sentier lumineux ”.

Ailleurs, là où le sort des socialistes est plus enviable, leur combat reste hautement significatif des valeurs que nous défendons. Et particulièrement lorsqu'est en jeu la dignité humaine, les socialistes répondent toujours présents au rendez-vous de l'honneur.

C'est en Allemagne le SPD qui lutte courageusement contre le déchaînement de violence à l'encontre de la minorité turque. C'est ce que nous faisons en France contre les lois Pasqua qui jettent inutilement la suspicion sur tous les étrangers et aggravent l'exclusion au lieu de la réduire. Et l'on comprendra que je place au rang de ces causes hautement symboliques le droit des femmes, et les indispensables progrès à accomplir pour que soient mieux assurés aussi bien l'égalité professionnelle que l'accession aux responsabilités politiques. Et je salue l'Internationale des femmes socialistes et sa présidente Anne-Marie Lizin. Quant à la laïcité, elle reste une des plus hautes valeurs de la République, celle du respect que l'on doit à la différence des autres et plus simplement à la tolérance. Grace à l'action de nos groupes parlementaires, grace à celle du Président de la République, le temps de la réflexion existe désormais. Au gouvernement de renoncer pour éviter une nouvelle et anachronique querelle scolaire.

Certes, ces combats qui sont les nôtres aujourd'hui, des générations de socialistes les ont menés avant nous dans leur pays et dans le monde. Bien sûr, depuis lors, la démocratie et les droits de l'homme ont fait de considérables progrès. Après l'écroulement du mur de Berlin, une déferlante a, dans les années 89-90 , balayé bien des dictatures, en Afrique, en Amérique Latine et en Asie, ouvert une brèche dans l'apartheid et nous a fait entrevoir un nouvel ordre mondial.

Mais l'organisation de la sécurité collective se met en place trop lentement à notre gré. Les grandes puissances réagissent encore trop souvent comme si le monde était structuré par la confrontation Est - Ouest et l'Organisation des Nations Unies, dotée d'insuffisants moyens financiers et dépourvue de moyens militaires, est trop souvent placée devant le fait accompli. Ce nouvel ordre mondial que nous appelons de nos vœux ne saurait être celui des inégalités de traitement entre les peuples et entre les Etats, sauf à provoquer le rejet du principe même de la sécurité collective et de l'organisation qui est chargée d'en assurer le respect.

L'ex-Yougoslavie nous montre d'ailleurs précisément ce qu'il ne faut pas faire. Certes, les interventions militaires ne peuvent rien régler quand elles ne sont pas appuyées sur un projet politique clair. Certes, il était difficile de résister à la volonté de petits Etats d'acquérir leur indépendance. Certes, par leur présence les casques bleus ont protégé et sauvé des milliers de femmes et d'hommes et l'ingérence humanitaire est un nouveau droit que nous saluons.

Et pourtant. De tels crimes nous révoltent et notre impuissance taraude nos consciences. De cette guerre atroce, nous, européens, devons tirer les conséquences en faisant preuve de davantage de présence, de fermeté, de volonté, et de clarté ; en poursuivant aussi avec résolution la construction d'une Europe politique capable de peser pour la paix.

Tous ces combats, mes chers camarades, ce sont les nôtres. Nous y trouvons l'expression la plus contemporaine de notre lutte. Celle-là même qu'a menée Willy Brandt dont je veux saluer la mémoire et la part déterminante qu'il a apportée au développement de notre Internationale dans le monde ; lui dont j'ai eu l'occasion de dire qu'il était l'homme qui croyait que le possible était au delà du prévisible.

Le possible, au delà du prévisible, les socialistes l'ont tenté tout au long de leur longue histoire, toujours recommencée. Toujours recommencée avec la fin de la première Internationale qui succombe à la répression meurtrière de la Commune de Paris aux milliers d'ouvriers fusillés sur leur faciès ou leur signe distinctif : la blouse, et honorés pour la première fois par le gouvernement d'Union de la gauche. Toujours recommencée malgré la crise de la IIème Internationale, la nôtre, foudroyée par la guerre de 14-18 et le grand schisme du congrès de Tours ; reconstituée à Francfort en 1951 ; reprise en 1976 par Willy Brandt, Olof Palme, Bruno Kreisky pour l'ouvrir à nos frères d'Afrique, d'Amérique Latine et lui donner le caractère universel que nous connaissons aujourd'hui.

Le possible, au-delà du prévisible avec François Mitterrand qui a assumé avec nous la rénovation du socialisme français ; François Mitterrand qui a été l'homme de notre destin !

La logique de cette histoire, glorieuse, tragique, humaine nous a conduits à vivre, en 1936 pendant un an, en 1944 pendant dix sept mois, en 1981 après 23 ans d'opposition, l'ère des grandes réformes, des droits nouveaux et des conquêtes sociales. Tout celà subsiste d'ailleurs, même si l'opinion l'oublie quelquefois.

Mais nous pouvons aussi revendiquer hautement la responsabilité des choix que nous avons faits ensuite. Ce que l'on a appelé le tournant de la rigueur c'était en fait le choix de l'Europe et le choix de la durée. L'Europe reste la grande aventure collective de cette génération socialiste, même si nous la voudrions plus ambitieuse, plus sociale et plus politique.

Le choix de la durée a créé pour nous de nouvelles exigences. Il fallait accepter le marché, ou plus exactement de vivre avec le marché, sans renoncer à le contrôler. Cela nous liait davantage aux aléas de conjoncture. Le choix du marché exigeait paradoxalement une plus grande détermination dans l'application de nos propres valeurs. Nous l'avons recherché sans toutefois toujours y parvenir.

La défaite, mes chers camarades, nous en apprend plus long sur nous que les années de pouvoir, même quand c'est injuste et que l'on éprouve de l'amertume et du chagrin lorsque l'un des nôtres choisit la mort comme témoignage et peut-être comme ultime appel. L'épreuve nous en apprend plus long sur nous parce qu'elle force à choisir l'avenir. La politique se nourrit de la réflexion mais elle impose l'action. Il faut tirer les leçons du passé tout en menant les combats du présent.

Les défis sont devant nous. Vous vivez un commencement où tout est possible. La fin du communisme n'est pas la fin de l'histoire. Mais elle peut mener aux pires bouleversements si nous ne veillons pas à remplir le vide d'espoir qu'elle a créé.

Au risque de vous surprendre, je suis convaincu que la social-démocratie représente l'espoir majoritaire de l'Europe, et sans doute plus largement du monde. Partout en Europe, en effet, les classes moyennes, qui sont devenues progressivement dominantes, et la classe ouvrière, aspirent aux acquis de la social-démocratie. Mais la difficulté est de les convaincre que cette garantie sociale passe maintenant par de grandes réformes et de grands changements.

Nous sommes dans un de ces moments où pour que tout continue tout doit changer. C'est la grande difficulté du pouvoir pour demain. C'est aussi la raison pour laquelle la droite partout en Europe est impuissante, parce que résignée. Et nous le voyons déjà en France et nous le verrons sans doute davantage encore dans les mois qui vont venir.

Le modèle économique dominant est en crise. Il est fondé sur les conditions économiques qui sont celles d'il y a quarante ans. Et si nous n'avons pas l'ambition d'imaginer de grandes réformes radicales, le capitalisme s'adaptera de lui-même comme il sait le faire, par l'un de ces immenses séismes fondateurs d'un ordre nouveau qui, je le crains, serait encore plus inégalitaire et plus dangereux que celui que nous connaissons aujourd'hui.

Voilà pourquoi le grand défi que les partis sociaux démocrates ont à relever en commun est l'invention d'un nouveau modèle social. Ce modèle doit préserver les acquis de la social-démocratie, il doit cependant en dégager de nouvelles expressions contemporaines. Voilà le véritable enjeu des États-Généraux.

C'est une tâche immense, et les socialistes français ne sont pas seuls à l'entreprendre. Au mois d'octobre prochain, l'Internationale socialiste, réunie à Lisbonne, consacrera ses travaux précisément à ce thème. C'est John Smith, qui est président du comité économie-environnement, qui fera au nom des sociaux-démocrates des propositions qui, je l'espère, surprendront par leur ampleur.

Car il s'agit en commun d'avancer vers le partage du travail comme réponse au chômage, mais aussi comme vision globale du changement de la société et peut-être même du changement de la vie.

Il s'agit aussi de se doter d'une fiscalité plus juste qui garantisse l'avenir de nos régimes sociaux tout en n'entravant pas le développement de l'économie ce qui suppose de ne plus fonder la fiscalité sur le seul coût du travail. Et il faudra aussi dissuader par l'impôt les dommages à l'environnement qui constituent, comme on l'a vu à la conférence de Rio l'année dernière, un des grands facteurs destabilisants du monde moderne.

Il s'agit enfin d'exercer une solidarité plus concrête avec le Tiers-Monde, car je suis convaincu que la solution à la crise du monde développé se trouve dans un plus large effort de développement des pays en faveur les plus pauvres. On ne barricadera pas l'Europe et encore moins la France, même si cette tentation peut naître à gauche comme à droite. Mais il est urgent d'instituer de nouvelles règles du commerce mondial qui ne déséquilibrent pas les marchés des pays industrialisés et qui permettent de créer les financements nécessaires pour le développement du monde pauvre.

Voilà, cher Michel et chers camarades, le grand défi du Parti socialiste dont nous avons la charge. Il faut retrouver avec notre Parti le chemin de l'imagination, de la conviction, de la détermination, qui sont les meilleures recettes de la victoire. Il faut accepter la critique. Il faut retrouver le goût de la mémoire pour mieux préparer l'avenir.

Il faut maintenir un parti de militants, démocratiquement organisé, puissant, capable de renouer des relations avec les autres forces politiques mais aussi syndicales et associatives sans rien abandonner de ce qui correspond à notre tradition : nous sommes le Parti Socialiste. Il faut avoir le courage de rebâtir notre maison, de nous redonner une stratégie qui nous a manqué pour les dernières élections. Il faut enfin qu'à partir de ces journées naissent la dynamique de notre prochain congrès car il s'agit de rénover, mieux, de reconstruire ensemble. J'ai perçu dans les commissions, hier, que la chance était présente de pouvoir nous rasembler. Ne laissons pas passer cette chance et rassemblons-nous durablement.

Ainsi, nous serons à la hauteur des défis qui sont ceux du monde contemporain. Ainsi, nous pourrons faire en sorte que, une fois encore, le possible soit au delà du prévisible.


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