Changer le monde, | |
Discours prononcé par Pierre Mauroy, président de l'Internationale Socialiste. |
" Changer le monde, puis changer le monde que l'on vient de changer " écrivait Bertold Brecht. " Changer la vie " proclamait le programme de gouvernement du Parti socialiste en 1972. Changer le monde, changer la vie, cet objectif est-il à jamais périmé, abandonné, rejeté ? Conviendrait-il de l'enfermer au musée du socialisme ou constitue-t-il toujours un projet à mettre en oeuvre, une pratique à renouveler, un horizon à dépasser ? Même s'il faut nécessairement du temps, même s'il faut s'adapter aux évolutions incessantes du monde. Depuis vingt ans, l'économie s'est internationalisée, la croissance démographique s'est ralentie dans les pays industrialisés, l'individualisme s'est d'évidence renforcé. Depuis près de dix ans, les socialistes exercent en France la responsabilité du pouvoir. Pour les jeunes générations, le pouvoir, c'est nous ! Nous qui avons acquis ce que l'on a appelé une " culture de gouvernement ". Mais nous qui savons aussi que, si beaucoup a été fait, tant de choses restent à faire. Et nous qui devons, plus que jamais, conserver la volonté de changement, l'esprit de réforme, la révolte contre l'injustice qui constituent l'essence même du socialisme. Changer le monde ?En quelques mois, en quelques semaines mêmes, tant de bouleversements se sont produits à l'Est que c'est un nouveau siècle qui commence, que c'est un nouveau monde qui se dessine sous nos yeux. En 1989, par une extraordinaire coïncidence, alors que nous célébrions le bicentenaire de la Révolution Française, c'est une nouvelle révolution de la liberté qui voyait le jour, sous la pression du peuple et grâce au mouvement impulsé par Mikhaïl Gorbatchev, en Pologne, en Hongrie, en RDA, en Bulgarie, en Tchécoslovaquie puis en Roumanie. En moins d'un an ! En moins d'un an, le processus de démocratisation a été engagé dans les pays de l'Est. Après ses progrès en Amérique Latine, la démocratie, modèle si minoritaire il y a peu, est en passe de devenir un mode plus normal de gouvernement des hommes. En moins d'un an, dans ce combat idéologique qui opposait, depuis les vingt et une conditions de Lénine et le Congrès de Tours , socialistes et communistes, l'Histoire a donc tranché. Blum avait bien raison : socialisme et liberté sont deux notions intimement liées et pour tout dire indissociables. Mais, si l'Histoire a tranché ce débat là, il n'est pas pour autant question de conclure, comme a pu le faire un expert américain, à " la fin de l'Histoire ". En effet, la faillite du communisme bureaucratique consommée, la question de la liberté estompée, le combat idéologique entre les forces du mouvement et les forces conservatrices, entre le socialisme démocratique et le libéralisme, bref ! entre la gauche et la droite, demeure plus que jamais d'actualité. Voilà le défi que nous devrons relever lors de notre Congrès de Rennes et bien au-delà ! J'ai employé le mot de défi. Je crois qu'il s'agit bien de cela. Le ressentiment contre le communisme est en effet si fort, la marche vers l'économie de marché si vite engagée, la notion même de parti et d'action collective si dévalorisée, que des retours de balanciers vers le libéralisme, le nationalisme et le conservatisme sont à redouter. Oui, mes chers camarades, du temps sera nécessaire avant que le socialisme démocratique ne s'impose à l'Est. Encore faut-il être bien conscient que ce temps ne sera suffisant que pour autant que nous nous serons montrés dignes de ce défi. Par nos idées d'une part. Les perspectives - renforcement de l'Europe communautaire, projet de Confédération européenne - ont été bien tracées par le Président de la République. Par notre action d'autre part. Le Parti socialiste, en finançant le transport de la rotative offerte par " Le Monde " au quotidien polonais " Gazeta ", en initiant une vaste politique de jumelage et d'ingénierie civique dans les pays de l'Est, a inventé des formes nouvelles de solidarité en faveur de la liberté de la presse et de la liberté politique. Changer l'Europe est indispensable. Mais ce ne sera jamais suffisant pour nous qui pensons que l'on est pas seulement socialiste pour son village, pour son pays, ni même pour son continent mais que l'on est socialiste pour le monde entier. Nous devons veiller attentivement, scrupuleusement, à ce que notre aide aux pays de l'Est ne nous fasse pas oublier ceux du Sud. Le Sud, toujours plongé dans la misère et étouffé par la dette. Le Sud qui depuis 1985 rembourse chaque année davantage que les pays développés ne lui prête ! Voilà le bilan de ce libéralisme qui ne fonctionne qu'à partir d'une immense injustice : l'exploitation de quatre milliards d'hommes et de femmes au profit d'un milliard plus ou moins favorisés. Nous voila aujourd'hui placés devant nos responsabilités vis-à-vis des pays de l'Est et du Sud face à ce libéralisme que nous voulons et que nous devons transformer. Changer la vieNous voilà aussi placés devant nos responsabilités pour réfléchir, tranquillement aux conséquences de ces bouleversements sur la paix et le désarmement. Pour transformer ce système, les socialistes savent que la Révolution n'est qu'un mirage. Ils savent aussi que le réformisme de caractère révolutionnaire - comme en 1936 - change la vie sur bien des plans mais pas la société. Bref, ils savent que le socialisme ou la social démocratie ne peuvent s'inscrire que dans la durée. Les pays scandinaves ont mis plus de cinquante ans à instaurer un vrai régime social-démocrate, les socialistes français ont, depuis 1981, réformé des structures vieillies et mis en place des nouveaux équilibres : entre l'Etat et les collectivités locales avec la décentralisation, entre employeurs et salariés avec les lois Auroux, entre le secteur public et le secteur privé avec les nationalisations. Il faut pourtant voir là un mouvement et non aboutissement, une étape et non un terme définitif. Si Jacques Delors et moi-même nous sommes montrés - et avec raison - plus attentifs encore aux questions économiques, il ne saurait être question de s'y laisser enfermer. Voilà pourquoi avec Louis Mermaz, Lionel Jospin, et tous les signataires de la motion 1 nous disons qu'une nouvelle étape sociale est aujourd'hui indispensable. Le récent rapport du CERC a montré que les inégalités ne se sont plus réduites depuis 1985. Dès lors et malgré les mesures déjà prises, malgré les chantiers engagés - qui sont nombreux et que je n'oublie pas - un sentiment de déficit social persiste, notamment chez ceux qui nous sont fidèles depuis longtemps. Ce n'est pas le fait du Gouvernement, simplement les conséquences de la crise. Mais aujourd'hui, nous nous trouvons en mesure de remédier à cet état de fait. Beaucoup a déjà été fait, je l'ai déjà dit : instauration du Revenu Minimum d'Insertion, rétablissement de l'impôt sur la fortune, effort exceptionnel pour l'Éducation national, création du crédit formation, développement du logement social, progression de la recherche scientifique, loi sur le surendettement des ménages... Le bilan est là. Pourtant, une nouvelle étape sociale est non seulement souhaitable - elle est toujours souhaitable ! - mais de surcroît désormais possible. La politique de rigueur mise en place en 1982/1983 porte ses fruits. L'inflation est maîtrisée, les déficits contrôlés, la croissance retrouvée. De nouvelles marges de manœuvre apparaissent. Quelle utilisation devons-nous en faire ? Penser aux plus défavorisés, cela veut d'abord dire penser aux chômeurs. Si le taux de chômage a légèrement diminué cette année, il reste encore 2 millions et demi d'hommes et de femmes sans emploi. Développons encore les actions en faveur des chômeurs de longue durée qui sont les plus durement touchés. Et réfléchissons aux modalités d'une nouvelle étape, significative, dans la réduction et la réorganisation du temps de travail. Penser aux plus défavorisés, cela veut dire ensuite lutter contre le travail précaire. Le travail précaire qui touche d'abord ceux qui sont déjà les plus vulnérables et qui constitue trop souvent une super période d'essai avant une embauche définitive ou, pire, une période suivie et précédée du chômage sans espoir de sortir du cercle vicieux. Aujourd'hui, la moitié des inscriptions à l'ANPE trouve son origine dans la fin d'un emploi précaire. Les partenaires sociaux ont engagé des négociations. Veillons à ce qu'elles aboutissent ou ayons le courage, si le besoin s'en faisait sentir, d'intervenir sur le plan législatif. Penser au plus grand nombre, cela veut dire enfin adapter notre système de protection sociale afin d'en protéger les acquis. Maîtrisons les dépenses de santé pour que les sommes laissées à la charge des assurés ne s'accroissent pas. Et imaginons toutes les évolutions nécessaires pour préserver la retraite à 60 ans. Voilà quelques-uns uns des combats que nous devons mener pour changer la vie. Ce combat s'inscrit dans un univers qui ne nous est pas favorable, nous le savons bien. Pourtant, lorsqu'un industriel, qui dit "aimer le capitalisme et croire à l'économie de marché" titre son dernier essai " l'argent fou " et écrit : " Enrichissez-vous vite ! Enrichissez-vous sans effort ! Enrichissez-vous sans travail ! Et multipliez votre gain en échappant à l'impôt ! Tel est le credo dominant ", on se dit que le vent commence enfin à tourner et les consciences à s'éveiller. L'argent - ses excès, son système de valeurs - domine encore la société. Nous devons tenir bon, en préservant certains secteurs de ses dégâts : l'école, l'université, la santé mais aussi le secteur public de la télévision. Nous devons aussi engager la réforme de la fiscalité car nul mieux que le niveau relatif des différents impôts ne détermine les valeurs d'une société. Nous devons surtout garder toujours en tête notre objectif : oui, mes chers camarades, changer le monde, changer la vie constituent plus que jamais notre idéal de socialistes. |
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