Congrès de Rennes | |
Discours prononcé par Pierre Mauroy, premier secrétaire du Parti socialiste. |
Cher Premier Ministre, cher Michel Rocard, Cher Édmond Hervé, Chers Camarades, II y a quarante ans, Louis Aragon écrivait : " le communisme est la jeunesse du monde ". Dans les années cinquante, Jean-Paul Sartre affirmait : " le marxisme est l'horizon indépassable de notre temps ". Et Malraux peu après ironisait : " Entre les gaullistes et les communistes, il n'y a rien ". Aujourd'hui, l'Europe retrouve son identité. Des hommes et des femmes de gauche se rassemblent autour des valeurs qui sont les nôtres. Oui, les deux moitiés de l'Europe peuvent se rejoindre, mais mieux encore, elles peuvent se réunir autour d'une même vision de la société, autour d'un idéal dont nous sommes porteurs, depuis un siècle, avec Jean Jaurès, Léon Blum, et maintenant François Mitterrand. Autour aussi, ne soyons pas modestes, de transformations qui portent notre marque ; celle des grandes périodes de notre siècle. C'est toujours le même message que des générations entières de socialistes ont exprimé : notre socialisme est inséparable de la démocratie. L'aspiration à plus d'égalité est intimement liée à la reconnaissance des droits et des libertés de chacun. Ainsi, l'année même du bicentenaire de la Révolution française, le monde se met à l'unisson des idées fortes du siècle des lumières. Comme en 1789, comme en 1848, c'est le peuple qui dicte sa loi. En URSS, où la démocratie voit le jour au milieu des turbulences d'une société en pleine recomposition. Nous les socialistes, nous pouvons saluer le premier Président élu de l'Union Soviétique Mikhaïl Gorbatchev, saluer son courage et sa clairvoyance, sa capacité à donner un élan et un avenir démocratique à une révolution qui depuis plus de 70 ans était détournée de son destin initial. En R.D.A., c'est le peuple qui choisira dimanche, pour la première fois depuis 50 ans, sa représentation parlementaire. Nous serons attentifs à l'audience du SPD qui, par un extraordinaire retournement, permettra la renaissance de la social-démocratie là où elle est née. Et nous espérons que ce sera un signe pour toute l'Europe centrale. Au Chili, après 16 ans d'une affreuse et sanglante dictature, c'est encore le peuple qui retrouve dans l'honneur les voies de la démocratie. Et j'exprime la solidarité du Parti socialiste français à l'égard de nos amis chiliens qui ont su trouver la voie de l'unité, dans la fidélité qui est aussi la nôtre à Salvador Allende, héros de la liberté. En Afrique du Sud, c'est toujours le peuple qui, après la libération de Nelson Mandela, peut enfin espérer, en continuant son combat, la fin de l'apartheid. En Afrique enfin, les aspirations démocratiques bousculent les hommes, les régimes et les traditions de la décolonisation. Oh certes! nous comprenons les difficultés de nos amis africains, mais nous, nous ne proclamons pas, comme le Président du RPR, je ne sais quelle supériorité du parti unique ! Voilà le contexte si exceptionnel dans lequel se déroule notre congrès. Voilà ce qui doit lui donner sa signification : la grande promesse que représente sur tous les continents notre socialisme démocratique, celui de la liberté et de la responsabilité. Immense espoir, mais aussi immense responsabilité pour nous tous, camarades. Laisserions-nous dire que nous pourrions nous détourner de l'idéologie au moment où le monde entier nous sollicite ? Le communisme s'effondre, c'est vrai. Nous ne pouvons que nous en réjouir, nous qui n'avons cessé de le dénoncer idéologiquement depuis 1920. Qu'en raison de l'usage abusif qui a été fait du terme socialisme, cet effondrement nous crée des difficultés, c'est également vrai. Mais elles ne sont pas de nature à nous faire hésiter. Car simultanément, n'assistons-nous pas au naufrage du libéralisme ? Margaret Thatcher, enfermée dans ses certitudes, en arrive à être rejetée par son propre parti conservateur, tandis que dans les grandes villes britanniques se développe la révolte contre l'impôt injuste. Il y a 3 ans, je recevais à Lille notre congrès. Une droite arrogante et sectaire gouvernait. Elle tentait d'appliquer les recettes éculées d'un libéralisme d'un autre âge. Le Krach boursier n'avait pas encore balayé les mirages de l'économie casino et du capitalisme populaire. Mais tout ce que la France compte de privilèges et de situations acquises était alors systématiquement conforté. Au nom du moins d'Etat, les fonctionnaires étaient pris pour cible, le service public laissé à l'abandon. A l'Assemblée Nationale, j'avais exprimé notre colère après la mort de Malik Oussekine, victime de l'enchaînement incontrôlé d'une répression aveugle. C'était l'époque où un ministre de l'Intérieur se permettait d'affirmer : " la démocratie s'arrête là où commence la raison d'Etat ". Et il fallut alors toute l'autorité du Président François Mitterrand pour que la cause des libertés ne reculât point. A Lille, il fallait se rassembler pour gagner, et non pas se diviser. Et nous avons, ensemble, créé à Lille un grand moment d'espoir, l'occasion d'un nouvel élan. C'est là que nous avons fait les premiers pas vers la victoire. Un an plus tard, François Mitterrand était réélu Président de la République. Il bénéficie de la confiance d'une très grande majorité de Français. Il agit au plan national comme sur la scène internationale en acteur passionné du grand mouvement de l'Histoire. Michel Rocard est devenu notre Premier ministre. Je le salue en votre nom. Il sait combien nous soutenons et apprécions son action gouvernementale qui est au cœur des préoccupations et de l'ambition des socialistes. Les élections municipales nous ont permis d'atteindre la meilleure représentation locale de notre histoire. Et nous espérons bien la renforcer encore par le succès de Dominique Strauss-Kahn à Sarcelles après-demain. Et aussi dimanche prochain à Dunkerque avec Michel Delebarre. Mes chers camarades, ce congrès de Rennes devrait être celui d'une certaine satisfaction. Un Président de la République et un Premier Ministre au sommet de leur popularité, un parti qui suscite la sympathie des français. Sept élections nationales où nous avons à chaque fois fait reculer la droite. Alors, pourquoi de telles interrogations alors que nous ouvrons notre dixième congrès ? Pourquoi de telles contradictions entre la force que nous représentons, l'idée que nous en avons et l'image que nous en donnons ? La principale explication, je veux vous la livrer : c'est artificiellement que nous nous sommes divisés alors que nous aurions dû tout naturellement continuer à débattre rassemblés. Reconnaissons-le camarades : nous étions tous d'accord sur de très nombreux points dans nos contributions. Mais, il a fallu combattre, et nous avons oublié nos convergences et cultivé nos différences. Définir un nouveau socialisme, adapter nos idées et notre démarche au goût du jour, voilà un thème de débat aussi vieux que notre parti. Tout au long du siècle, que de fois nos congrès ont-ils résonné des querelles entre anciens et modernes, entre " archaïques et néos " ... Après tout, au début des années vingt, c'est le communisme qui tenait lieu de modernité, et la majorité des socialistes y ont succombé. Avaient-ils raison ? L'Histoire a tranché. Dans les années trente, la mode c'était l'autorité. Certains y ont cédé, au nom de l'efficacité. Deux ans plus tard, c'est Léon Blum qui faisait triompher le Front Populaire. L'Histoire a tranché. Dans les années 60, sous l'impulsion du propriétaire d'un grand hebdomadaire, on nous proposa de nous fondre dans une nébuleuse " entre ciel et terre ". Quelques années plus tard, François Mitterrand faisait triompher l'Union de la Gauche. L'Histoire a tranché. Ces exemples me paraissent bien illustrer la réflexion du philosophe Henri Bergson qui expliquait - je le cite - : " Sur dix erreurs politiques, il y en a neuf qui consistent simplement à croire encore vrai ce qui a cessé de l'être, mais la dixième, la plus grave, ce sera de ne plus croire encore vrai ce qui l'est pourtant encore ". Et cette dixième erreur, personne ici ne veut la commettre ! Car nous sommes tous d'accord. Nous luttons toujours contre une société injuste, contre une société qui, par son organisation même, génère les inégalités. Contre la société de l'argent, cet argent-roi dont François Mitterrand nous disait, qu'il pourrit et qu'il corrompt. A vous de juger si ces propos sont archaïques ou modernes. Je sais, moi, qu'ils correspondent à l'attente des millions d'hommes et de femmes qui, depuis des décennies, font confiance aux socialistes. C'est à eux que nous devons des comptes. A ceux d'hier, et à ceux d'aujourd'hui, nos militants, nos électeurs. A ceux de demain qui seront en droit de nous demander ce que nous avons fait du pouvoir, ce que nous avons fait du socialisme. C'est pour cela que je vous ai proposé de réécrire ensemble notre déclaration de principes. Pour tenir compte de notre histoire, de notre gestion gouvernementale, celle que j'ai assumée, celle que tu as assumée Laurent, celle que toi Michel tu assumes, et pour tenir compte de notre vision commune de l'avenir. Oui, il nous fallait réviser notre déclaration de principes. Le socialisme s'est nourri depuis un siècle, d'une culture d'opposition. Pour bien des générations jusqu'à nous, l'action politique à gauche s'est fondée sur la contestation ou la revendication, et non pas sur l'exercice durable du pouvoir ou la gestion. Et si l'esprit de conquête du pouvoir nous animait, nous n'avions pas intégré l'idée de la durée. C'est pourquoi, en 1982, il nous a fallu, dans l'urgence, suivre le chemin que d'autres Partis socialistes avaient parcouru avant nous. Il nous a fallu accepter le marché, tout en l'équilibrant, par des contre-poids économiques et sociaux. J'ai écrit que nous avions ainsi réalisé en gouvernant notre Bad Godesberg. C'est naturellement une image. Mais on ne fait pas une telle évolution dans le silence des cabinets ministériels. On le fait devant le parti et devant l'ensemble des militants. Voilà, mes chers camarades, l'une des raisons du débat idéologique. Cette mutation témoigne du passage à l'âge adulte d'un socialisme français qui assume désormais sa vocation gouvernementale. En prenant en compte les mouvements récents de notre société : l'égalité des femmes, l'intégration des immigrés, le refus des perversions possibles de la science, la relation de l'homme à la nature. Et si nous nous réjouissons de l'échec du communisme totalitaire, nous ne pensons pas pour autant que cet échec marque le triomphe du capitalisme dont nous voyons bien toutes les carences : accentuation des inégalités, creusement des déséquilibres mondiaux, exploitation des richesses du tiers-monde, impossibilité à résorber les problèmes du chômage, montée des exclusions, sans oublier bien sûr les déséquilibres naturels qu'il est incapable de contrôler. C'est pourquoi le parti socialiste, s'il prend en compte les impératifs du marché, sait aussi qu'il convient de ne pas s'y soumettre aveuglément. C'est le sens de notre adhésion à l'économie mixte qui doit permettre à l'Etat de dépasser les simples critères du profit pour répondre à des nécessités de moyen terme, telles que la formation, l'information, la culture, la santé ou l'environnement. En matière internationale enfin, nous affirmons notre confiance en l'Europe, non pas la seule Europe des marchandises et des capitaux, mais une Europe des peuples, ceux de la Communauté Européenne tendant la main à ceux de l'Europe de l'Est qui se libèrent. Oui, mes chers camarades, c'est un nouveau modèle de développement que nous avons à inventer. Les pages écrites à Yalta sont désormais tournées. Et alors que la paix a toujours été la grande affaire des socialistes, nous ne pouvions assister au grand débat sur le désarmement sans y prendre part. L'effort de défense doit-il être réexaminé ? Oui j'ai lancé ce débat. Non pas pour réveiller je ne sais quel démon pacifiste. Je connais les leçons terribles de l'Histoire. Ma ville est située près de la frontière où pendant mille ans les Angles, les Latins et les Germains ont cherché leur avantage. Et Jean-Pierre Chevènement a raison de souligner que, depuis 40 ans, l'équilibre des armements a favorisé la détente. J'ajouterai même que c'est la détermination de François Mitterrand au Bundestag, face aux menaces d'implantation des SS 20, qui a sans doute favorisé les évolutions actuelles en Union soviétique. Mais il s'agit aujourd'hui d'autre chose. Il s'agit de savoir saisir l'occasion que nous offre l'histoire. Il s'agit précisément d'aller de la détente à la Paix. Le problème, loin s'en faut, n'est pas exclusivement militaire. Mais il a sa dimension militaire. Or nous sommes face à une contradiction à l'égard des pays de l'Est. L'Armée Rouge quitte la Tchécoslovaquie et la Hongrie. Le Pacte de Varsovie est remis en cause dans sa nature et ses fondements, la perspective de l'unité allemande bouleverse toutes les données stratégiques de l'après-guerre. Illustrons d'une formule cette nouvelle donne : pourrons-nous encore pointer nos missiles vers ces villes d'Europe centrale que nous allons aider à se reconstruire ? Menons cependant cette réflexion sans hâte. Des négociations sur les armements conventionnels se déroulent actuellement à Vienne. L'Allemagne cherche la voie de son unité. Nous savons que les décisions politiques doivent toujours précéder les décisions militaires. Pour toutes ces raisons, je propose au congrès de décider qu'une convention nationale ayant pouvoir de congrès, se réunisse avant la fin de l'année sur le désarmement, le budget militaire et le service national. Mes chers camarades, notre satisfaction est grande de voir les libertés progresser, la perspective de paix se rapprocher, notre doctrine s'adapter. Cette satisfaction sera plus grande encore après la nouvelle étape sociale que nous définirons, ici, ensemble, à Rennes. II est normal que le Parti exprime, comme il l'a fait, cette attente sociale manifestée par les Français. Normal qu'il demande l'ouverture rapide de négociations salariales avec les fonctionnaires. Normal qu'il appelle à un règlement négocié du grave conflit des impôts. Normal qu'il réclame un meilleur partage de la valeur ajoutée. Le Parti a dit ce qu'il avait à dire. Il l'a fait sans impatience ni débordement, mais fermement. Il a été souvent entendu. Les mesures prises depuis un an et demi forment un ensemble homogène, qu'il s'agisse de la lutte contre la grande pauvreté avec le RMI, des mesures en faveur du logement social, de la modification de la grille de la fonction publique, plus récemment de la mise en chantier de la réforme de la fiscalité locale. Beaucoup a été fait. Beaucoup reste à faire. Et si, dans ce qui reste à faire, tout n'est pas possible, il faut cependant aller jusqu'au bout de ce qui est possible. Nous sommes pour un socialisme de transformation. Cela signifie que nous ne faisons pas que gérer. Mais cela signifie aussi que nous considérons que la gestion est une des conditions de la transformation. La crise n'est pas finie. Comment le serait-elle avec deux millions 1/2 de chômeurs et des problèmes spécifiques comme la persistance de taux d'intérêts élevés, la croissance, elle aussi retrouvée, des inégalités ? Mais la croissance économique mondiale a repris. Et notre croissance nationale se fait sur des bases saines liée en grande partie aux efforts accomplis durant les années de crise. Notre objectif doit être l'utilisation des nouvelles marges offertes par la croissance. Le pacte de croissance est une grande ambition qui, sur certains points, reste à préciser et à compléter. Voilà la direction que j'ai indiquée, en parlant d'étape sociale. Je constate avec plaisir que le terme a été repris par plusieurs contributions. Cette nouvelle étape doit s'articuler autour de cinq priorités : le chômage, les bas salaires, l'emploi précaire, la protection sociale, la société de responsabilité. Première priorité, le chômage. Je suis convaincu que l'aménagement du temps de travail recèle un potentiel d'emplois important. Comment imaginer dans l'industrie que les syndicats en France n'exigeront pas bientôt les 37 heures et demain les 35 heures à l'exemple de leurs camarades allemands de la métallurgie ? L'aménagement et la réduction du temps de travail, avec des machines qui travaillent plus longtemps, c'est une politique qui est bonne pour l'emploi. Que le gouvernement poursuive dans cette direction, il aura tout notre appui. Deuxième priorité, les bas salaires : un effort particulier s'impose. Le partage de la croissance retrouvée doit profiter à ceux qui ont payé le tribut le plus lourd à la crise en perdant leur travail et à ceux qui subissent encore des conditions d'existence difficiles. Ne pas remettre en cause les acquis de la rigueur, mais reconnaître que la justice sociale est notre axe prioritaire, voilà la voie à suivre. Ce qui vient d'être réalisé dans la Fonction publique pourrait être étendu, là où les pouvoirs publics ont un pouvoir d'incitation, c'est-à-dire dans le secteur public et nationalisé. Troisième priorité, la lutte contre l'emploi précaire. Le gouvernement a choisi dans un premier temps, de laisser aux partenaires sociaux le soin de négocier un accord global. Laissons cette négociation aller à son terme mais n'écartons pas l'idée de légiférer dans ce domaine, car précarité signifie fragilité et angoisse, surtout pour les jeunes. Cela sera de toute façon nécessaire, si les partenaires sociaux ne parviennent pas à s'entendre. Mais il faudra le faire aussi dans le cas où le contenu de cet accord ne serait pas satisfaisant. C'est une exigence de justice que d'assurer la protection de ces travailleurs, qui ont été les victimes de la crise et qui ne doivent pas être les oubliés de la croissance. Quatrième priorité, la défense de la Sécurité sociale. Si l'Allemagne est une référence pour les tenants de l'économie libérale sans entrave, qu'ils reconnaissent qu'outre Rhin, la protection sociale y est plus développée qu'en France, pour le plus grand bien de l'économie ! Notre volonté consiste d'abord à défendre la retraite à 60 ans qui est la cible favorite du patronat. La controverse sur ce sujet a inquiété les Français. Aucune raison objective ne remet en cause cette réforme capitale du premier septennat de François Mitterrand. Notre système de retraite doit évoluer. Le parti a d'ailleurs pris position en ce sens avec une préoccupation constante : jamais nous n'accepterons que cette évolution aggrave les inégalités sociales. A propos de la santé la question est simple : voulons-nous la régression vers l'assurance privée ou maintenir la solidarité ? Les Français refusent la sélection par l'argent devant la maladie et la mort. Aujourd'hui, il ne s'agit pas que chacun paye plus, mais qu'ensemble on gère mieux, on maîtrise l'évolution des dépenses, on assure l'égal accès aux soins. Le financement de la sécurité sociale est une question dont l'actualité est hélas à peu près permanente. Comme l'avait proposé le Parti socialiste, le Gouvernement a décidé de créer une contribution sociale sur tous les types de revenus. Je m'en réjouis en exprimant naturellement mon souci pour les bas revenus déjà fortement taxés par le biais des impôts locaux et des cotisations sociales. Mais le rééquilibrage entre revenus du capital et revenus du travail ne doit pas se traduire finalement par une taxation supplémentaire des bas revenus du travail ! Enfin il nous faut démocratiser la gestion de la Sécurité Sociale. Ensemble nous avons rétabli en 1983 l'élection au suffrage universel des administrateurs représentant les salariés. A une vraie question - le pouvoir de ces élus sociaux face à la tutelle de l'Etat - on ne peut apporter une mauvaise réponse, c'est-à-dire la suppression de ces élections sociales. Croyez-vous vraiment qu'à la veille de réformes de la Sécurité Sociale, ne plus consulter les assurés respecte nos valeurs ? Croyez-vous vraiment que la suppression des élections sociales comblerait ce déficit social que nous évoquons tous ? Enfin, cinquième priorité : la société de responsabilité. C'est un besoin très vivement ressenti par les Français, en particulier par les jeunes. Nous y répondrons, en appliquant et en approfondissant les lois Auroux. En généralisant le crédit-formation - cette seconde chance offerte à tous les salariés - en favorisant aussi de nouvelles relations sociales dans les entreprises. Ainsi, il faudra bien poser un jour le problème de la présence des représentants des salariés dans les conseil d'administration des entreprises. Nous avons fait en sorte que cette présence soit obligatoire dans le secteur public. Pourquoi ne pas étendre ces dispositions ? Il n'est plus admissible qu'en France, la démocratie s'arrête aux portes des ateliers et des bureaux ! II est vrai qu'il y a en France un déficit du dialogue social. Le gouvernement de Michel Rocard après la vague de grèves dans la fonction publique, relancer la négociation avec les syndicats de fonctionnaires. Nous observons un malaise persistant dans la Fonction publique, illustré encore récemment par les conditions dans lesquelles a été définie la rénovation de la grille. La persistance de ce malaise contraste avec l'ampleur des efforts - notamment financiers - accomplis par le gouvernement en faveur des fonctionnaires. Mais aujourd'hui, il apparaît de plus en plus clairement que le malaise a des causes plus profondes que la situation financière, des causes qui sont politiques, voire culturelles. Il est devenu de bon ton de critiquer les fonctionnaires, de considérer a priori qu'un service public est inefficace, que le mode de gestion public ne saurait l'emporter sur l'entreprise privée. De telles critiques ne sont pas neutres politiquement. C'est bien ainsi que l'on annonce les privatisations à tout va et, en attendant, que l'on démobilise les agents publics. Nous, socialistes, devons combattre avec acharnement ces attaques qui ne correspondent pas à la réalité d'aujourd'hui ni à notre histoire : pour ne citer qu'un exemple, tout le monde aujourd'hui reconnaît que la fonction publique a joué un rôle moteur dans la reconstruction de notre pays après la Libération. A l'époque, bien peu reconnaissaient cet état de fait. Mais pouvons-nous vivre dans une société qui reconnaît toujours en retard les mérites de sa fonction publique ? La fonction publique, les services publics, sont non seulement un élément capital de la société d'économie mixte, mais ils constituaient également un atout et non un handicap pour la réalisation de la modernisation de ce pays. Je souhaite enfin que notre débat porte sur l'identité du parti. Dans quel esprit ? Nous sommes les continuateurs du grand mouvement lancé au début du siècle dernier. Ne perdons jamais de vue que dans ce combat historique, nous sommes la génération privilégiée. Au pouvoir, nous profitons du travail patient et obscur de ceux dont nous sommes les héritiers. Tous autant que nous sommes, nous n'avons pas à nous demander : qu'est-ce que le parti peut m'apporter ? Nous avons à nous interroger sur ce que nous pouvons apporter à notre parti. Voilà, mes chers camarades, ce qui devrait être l'essentiel de notre conduite. Oui, nous avons besoin et nous souhaitons tous un parti plus fort, plus puissant, plus présent. Qui négligerait ces objectifs ? Pour ma part, depuis un an et demi, je m'y suis efforcé, avec des moyens financiers toujours insuffisants, croyez-le bien. Je n'ai jamais fixé de limite à notre progression. 30 %, 40 % de l'électorat ? Ce serait souhaitable. 300 000, 400 000 militants ? Oui il le faudrait. Si c'est cela la rénovation, eh bien j'en suis. J'en suis dans le concret, en parlant des moyens, en affichant autre chose que des intentions. A tout cela, nous devons réfléchir autrement qu'en nous déchirant. Prendre garde aux dérives, certes, mais aussi proposer, construire, et pourquoi pas recomposer. Décider ensemble de la tenue d'une convention nationale qui après débat dans les fédérations aura mission de rénover le parti, d'améliorer son fonctionnement. Lionel Jospin avait commencé au Pré-Saint-Gervais. Il faut poursuivre, et surtout poursuivre ensemble. C'est comme cela que nous éviterons de dériver vers un parti réduit à une machine électorale. Certes, le militantisme doit évoluer à l'instar de la médiatisation croissante de notre société, de son urbanisation, des habitudes de loisirs et de vie. On ne milite plus aujourd'hui comme il y a quarante ans. Mais cette évolution n'a pas à se faire au prix d'un abandon des principes. Parti de supporters, parti de militants, j'en donne acte à Laurent Fabius, c'était sévère. Mais cela traduisait un état d'esprit ou tout au moins un risque. Adhérer à un parti politique, c'est pour moi, comme pour vous, je le suppose, un acte grave, un engagement au sens vrai de ce terme, c'est autre chose qu'adhérer à un club d'idées. Venir au parti, mes camarades, est un choix éthique. Il donne des droits. Il impose des devoirs. Il les impose à ses militants, comme à ses responsables. La contrepartie de notre démocratie interne, qui doit être libre et plus développée encore, est une obligation d'authenticité. Notre règle c'est l'expression totale à l'intérieur de nos instances, et non pas le silence à l'intérieur et à la médiatisation à l'extérieur. Au delà des péripéties cependant, je vous invite à une autre perspective. Il est bien vrai que le Parti socialiste a toujours souffert dans son développement de la division de la gauche. Souvenez-vous en, il a fallu dans les années 70 renverser en notre faveur le déséquilibre des forces. Oui, nous étions le second parti de la gauche. Aujourd'hui, l'effondrement du parti communiste nous donne l'occasion de bâtir le grand parti auquel nous avons toujours rêvé. Nous pouvons élargir notre base sociologique à un électorat populaire aujourd'hui désarçonné. Cet élargissement nous permet en outre de dialoguer avec ceux qui ont une autre approche de la politique, ces militants de l'écologie, ces militants tiers-mondistes, ces militants associatifs. Cette organisation-là capable de s'élargir sans se renier, nous devrions, mes chers camarades, en dessiner ici et maintenant, l'architecture. Mes chers camarades, dans trois ans, il nous faudra à nouveau forcer le destin...... Avec qui ? Contre qui ? Contre qui ? Contre la droite, c'est l'évidence et de plus en plus contre l'extrême droite. L'urgence du combat contre le Front National qui progresse, oui qui progresse, s'impose. Quand l'extrême droite s'affirme dans une perspective de pouvoir, il n'est plus temps de temporiser. Les députés européens ont eu raison de voter la levée de l'immunité parlementaire de Le Pen. Et il est grand temps qu'une décision de justice vienne démontrer de façon éclatante que l'on ne peut impunément insulter les millions de victimes du nazisme. Le combat n'est pas ici entre la droite et la gauche. La frontière est sans équivoque : elle coïncide très exactement avec celle de la démocratie. On m'a parfois reproché la décision prise à Dreux de soutenir au second tour le candidat de la droite parlementaire. Mais, mes chers camarades, ou bien nous considérons que le Front national n'est pas un parti comme les autres, et alors rien d'autre n'importe que de lui faire barrage, ou nous le banalisons. Et alors nous en acceptons par avance toutes les conséquences. Avec qui ? Car forcer le destin, ne signifie pas naturellement que nous serons capables de prendre seuls l'avantage. Le Parti Socialiste est certes devenu le premier parti de France. Il l'est par son rayonnement, il l'est par son implantation électorale. Il le sera, après ce congrès, si nous évitons le ridicule de nous déchirer au nom du rassemblement ! ... Mais cette prépondérance ne lui permet pas de dominer seul la vie politique française. Notre mode de scrutin majoritaire nous appelle lui-même au rassemblement. Et naturellement, au rassemblement à gauche. Les communistes, mes camarades, c'est une vieille histoire. Mais ne négligeons pas l'expérience : le parti communiste sait pratiquer les virages idéologiques. Il nous l'a appris souvent à nos dépens. Sa crise est si profonde face aux bouleversements à l'Est, que la question d'un changement d'attitude à notre égard peut se trouver à nouveau posée. En tous cas, même affaibli, le Parti communiste reste un partenaire de l'union des forces de gauche. Rien pour ma part ne me détournera de vouloir avec lui le dialogue, qui est la façon la plus efficace de le mettre devant ses responsabilités. L'élément nouveau de la période, c'est qu'il existe, à côté du parti communiste, une sensibilité communiste qui ne se confond pas avec notre approche de socialistes. Nous pouvons espérer accueillir au sein du parti un certain nombre d'anciens communistes. Il n'est pas certain, qu'à terme rapproché, nous puissions prétendre attirer à nous tous ceux qui refusent aujourd'hui l'évolution du parti communiste. Mais si nous ne pouvons pas prétendre les inclure dans notre mouvance, il faut tout au moins créer les conditions d'un dialogue. Et de la même façon, il faut créer les conditions d'un dialogue avec tous ceux qui, sur le terrain politique, sur le terrain associatif ou du cadre de vie, parfois sur le terrain de la réflexion sur la démarche syndicale, développent une recherche qui, pour l'instant, reste parallèle à la nôtre. Je propose que ce congrès décide de la tenue d'états généraux de la gauche qui permettrait à ces forces de se rencontrer, de débattre et peut-être de se rapprocher. Evidemment, cette proposition peut s'adresser aux militants de l'écologie. Je constate comme vous tous que beaucoup sont de gauche, que leur électorat se retrouve majoritairement derrière nos candidats au deuxième tour et que les dernières élections municipales ont permis ici ou là de les associer à la gestion de nos villes. Mais l'écologie suppose de notre part une attention plus grande encore. Tous ceux qui participent assidûment aux instances internationales, constatent que la préoccupation écologiste est entrée pour une part très grande dans les programmes des partis sociaux-démocrates. Je ne crains pas de le dire : sur ce plan nous sommes en retard. Alors comment procéder ? On m'a critiqué lorsque j'ai dit qu'il fallait dialoguer avec les organisations écologistes. On m'a dit ce n'est pas la bonne voie. Mieux vaut intégrer davantage l'écologie à nos préoccupations. Nous devons le faire, mais cependant nous ne pourrons pas faire fi d'organisations qui existent et parfois attirent des militants réticents envers les partis. Oui les socialistes doivent accepter aussi la diversité. Identité, diversité, c'est mes chers camarades, autour de ces deux pôles qu'il faut construire notre démarche en vue des élections législatives de 1993. Il faut dialoguer avec toutes les composantes de la gauche. Et ce sont les états généraux de la gauche qui pourront le permettre. Mais il faut aussi dessiner les contours de notre programme pour les élections législatives, afin de développer une ambition et une perspective pour cette fin de siècle. Pour ce faire, il nous faudra convoquer d'ici un an qui vient une convention nationale programmatique. La priorité de notre parti pour 1990, c'est l'élaboration de ce programme. Devront s'y intégrer les décisions de notre convention sur la sécurité et la défense en Europe et celles de la réflexion indispensable sur la démocratisation de l'entreprise. Beaucoup de travail mes chers camarades, serons-nous à même de nous y atteler ? Voici donc pour finir la question centrale de ce congrès. Le Parti est-il capable de se rassembler pour affronter ces échéances majeures ? Nous pouvons à Rennes choisir la division. Mais, mes camarades, au nom de quoi ? Et pourquoi ? Nous nous réclamons tous de François Mitterrand. Or son message a toujours été un message de rassemblement. Rassemblement des socialistes, rassemblement de la gauche, rassemblement d'une majorité de français. C'est cette vision d'unité qui rend si exceptionnel le parcours de François Mitterrand. Alors si Rennes n'est pas le congrès de la division, il pourra être celui de la mobilisation. Je suis sûr qu'il y a dans cette salle immense une aspiration non moins immense à l'unité. Car d'une certaine façon, mes chers camarades, nous ne sommes vraiment nous-mêmes que quand nous sommes unis. Oh bien sûr, quand nous disons unité, nous n'avons pas en tête je ne sais quelle menace d'éclatement. Et il est même exceptionnel que depuis 20 ans, quelles que soient les différences et les difficultés à surmonter, au pouvoir comme dans l'opposition, à aucun moment notre unité ne se soit trouvée ébranlée. Non, cette unité là n'est pas en cause. Ce qui est en cause , c'est en définitive notre cohésion, et donc la qualité de notre démarche militante. J'oserai même dire une certaine façon de vivre ensemble, dans l'amitié, le respect mutuel et la solidarité. Il fut un temps, c'est vrai, où la vie du parti irradiait d'une autre chaleur, d'une autre qualité de relation. Non point qu'à l'époque les débats aient été sans passion. J'imagine comment Jaurès pouvait tempêter. Les querelles de Blum, et de Paul Faure nous reviennent par les témoignages. Certains d'entre vous se souviennent des difficultés qui ont surgi entre nous, les fleurets n'étaient pas toujours mouchetés. Mais par-delà ces divergences, quand l'intérêt du parti l'exigeait, ces hommes savaient se retrouver. Nous aussi ! Aurions-nous aujourd'hui perdu ce réflexe ? Je ne le crois pas ! Chacun ici peut se réclamer de la légitimité socialiste. Dois-je rappeler que nous n'étions pas tous du même côté ? Et pourtant, la nécessité du rassemblement s'est imposée. Elle a été notre chance et celle du parti. Puis est venu le moment de rassembler encore au-delà. Les Assises du socialisme, je les ai menées avec l'appui de François Mitterrand. Cela a été la chance du parti. Le regretterait-on, au moment où Michel Rocard est notre Premier ministre, et Jacques Delors le Président de la Commission européenne ? Avons-nous eu tort ? Bien sûr que non ! Quelques années plus tard, le congrès de Metz, suivi par le rassemblement de la victoire de 1981 où je devenais Premier ministre. Ensuite, Laurent Fabius. Et maintenant, Michel Rocard. Là encore, le rassemblement a triomphé. Il a été notre chance et celle de notre parti. C'est nourri de cette histoire, c'est avec tout l'attachement que je porte au Président de la République et à mon parti que pour Rennes en ouvrant le débat du congrès, je vous ai appelés au rassemblement. Pour cette raison, je n'ai pas signé de contribution. Le 13 janvier, j'ai passionnément défendu la synthèse. Nous nous retrouvons ici à Rennes. C'est vrai que nous nous sommes affrontés, quelquefois durement, et même parfois trop durement. C'est là le risque de notre engagement militant. Mais aujourd'hui l'exigence de cet engagement c'est de faire une synthèse. J'appelle Laurent Fabius et ses amis à la synthèse. Et bien sûr Michel Rocard, Jean-Pierre Chevènement, Jean Poperen, sans oublier tous les autres qui sont ici, et tous les militants, là où ils sont, qui nous écoutent, qui nous regardent, et attendent la bonne nouvelle de Rennes : la synthèse. Alors oui ! Il n'y aura plus que des gagnants pour les échéances qui nous attendent. |
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