Congrès de Rennes
18 mars 1990

Pierre Mauroy
Discours prononcé par Pierre Mauroy, premier secrétaire du Parti socialiste.




 
Mes chers camarades,

Dans quelques minutes nous allons nous séparer. Nous allons quitter cette ville socialiste de Rennes, symbole du dynamisme économique allié à une tradition locale forte.

Nous y avons reçu un accueil chaleureux. J'en remercie en votre nom, de tout cœur, notre camarade Edmond Hervé. Et je demande au Premier secrétaire fédéral Jean-Claude Duchalard de transmettre ces remerciements à l'ensemble des militants de la fédération d'Ille et Vilaine qui ont beaucoup et bien travaillé.

Nous allons nous disperser dans les villes et les départements de France. Et cependant, mes chers camarades, les lumières de cette salle une fois éteintes, nous ne cesserons pas pour autant d'incarner le parti socialiste.

Nous continuerons à militer au sein d'un parti aujourd'hui au pouvoir, fort de son rayonnement et de son implantation. Un parti qui grâce en particulier à l'action de François Mitterrand a conquis une place exceptionnelle dans la société française.

Nous le ferons cependant conscients de la grande exigence qu'impose la condition militante : prolonger un mouvement né il y a un siècle en riposte à l'exploitation de la première révolution industrielle. Et donc, responsables en définitive d'écrire quelques pages blanches d'un livre que d'autres ont commencé, et que d'autres, sans doute, termineront.

Aucun de nos congrès n'est indifférent à l'échelle de cette histoire. Tous marquent une étape, un rendez-vous et une perspective. Tous comportent leur part d'exaltation, de passions et désillusions. Celui-ci, comme tous les autres, n'y manquera pas. Nous avons ainsi en quatre jours parcouru un chemin sur lequel il ne nous sera pas donné de revenir.

Bien plus que nous ne l'imaginions, le congrès de Rennes aura été celui des interrogations fondamentales : interrogations liées à un contexte international à l'évolution rapide et positive. Interrogations suggérées par les aspirations nouvelles d'une société en recherche d'un modèle d'après crise. Interrogations sur les formes nouvelles d'exercice de l'action politique dans un contexte de médiatisation. Rarement autant de questions auront été en jeu : la place du socialisme dans une Europe soudain devenue différente. La nouvelle étape sociale. Les mutations inévitables du parti.

La presse s'est faite l'écho de nos débats. La tempête a parfois soufflé dans nos rangs. La passion n'a jamais été absente. Et il n'y a à cela rien à redire. Cela prouvait au moins que notre Congrès suscitait attente et écho.

De ma place de Premier secrétaire, par delà les différences, j'ai surtout entendu un appel à l'unité. L'unité je le dis depuis plusieurs mois est indispensable. La synthèse était dans l'intérêt du Parti. Elle correspondait au contexte international exceptionnel qui nous a été rappelé hier encore par Oscar Lafontaine. Celui de l'immense mouvement des libertés à l'Est. Celui de la victoire idéologique du socialisme démocratique confronté depuis 70 ans aux déviations bureaucratiques et totalitaires. Celui du mouvement progressif d'élargissement de la démocratie, des libertés et des droits de l'homme.

La synthèse correspondait aussi à notre histoire de socialistes depuis 1971. Elle constituait, au moment d'engager une nouvelle étape sociale, à l'exigence de mobilisation et de cohésion sans laquelle les socialistes ne sont pas vraiment eux-mêmes.

Comme moi, vous souhaitiez l'unité dans le débat idéologique.

Cette unité-là je constate que nous l'avons trouvée. La nouvelle déclaration de principes du Parti est un acte grave qui nous engage. Elle témoigne de notre capacité à nous renouveler sans nous renier. Elle témoigne que nous avons su profiter des leçons de l'expérience en alliant dans notre démarche la culture de gouvernement à notre idéal socialiste. Nous ne sommes pas seulement les gérants d'une société, nous sommes comme tous ceux qui nous ont précédé épris de transformation et d'idéal. Le socialisme reste pour nous une utopie au sens vrai et noble de ce terme.

Si j'ai une fierté ce matin, c'est bien d'avoir rencontré cette adhésion unanime pour fixer une fois encore le cap vers un socialisme qui devra aborder le prochain siècle.

Comme moi, vous avez souhaité que l'on définisse le champ d'une nouvelle étape sociale. Nous avions questionné Michel Rocard, et le Premier ministre nous a répondu. Il a défini, devant nous les conditions d'une démarche précise, concertée, ambitieuse.

Et moi, comme vous tous, comme Laurent Fabius, j'ai souhaité que soient définies les conditions d'un combat plus rude contre l'extrême droite. Oui, il faut dénoncer plus vigoureusement. Et nous pouvons le faire au travers d'une campagne de mobilisation contre la tentation totalitaire et sécuritaire. Oui, il faut tout faire pour faire barrage au Front national. Et lorsque celui-ci se trouve au deuxième tour confronté à un candidat de la droite classique, eh bien il n'y a pas à hésiter. Il faut reporter nos voix sur ce dernier. La frontière du combat coïncide très exactement avec celle de la démocratie. Nous n'arrêterons pas l'extrême droite sur la ligne de crête du socialisme, nous l'arrêterons sur le front de la démocratie.

Comme vous tous, j'ai souhaité l'unité politique au sein de notre parti. Cette unité politique a sans doute été la plus difficile à atteindre. Depuis des mois, les enjeux de pouvoir ont dominé les débats de fond. Ces enjeux sont légitimes. Et notre parti peut s'honorer de les mener au grand jour, même s'ils assombrissent parfois l'image que nous donnons de nous-mêmes. La démocratie est faite aussi de ces confrontations de personnalités.

Il va de soi, qu'il faudra en tenir compte pour l'avenir. Notre règle c'est la proportionnelle et j'ai donc proposé que toutes les sensibilités soient représentées, dans des conditions de stricte application des résultats obtenus dans les votes militants, au sein de nos instances dirigeantes. Il appartient désormais à chacun de se déterminer. On nous objectera, sans doute, que notre commission des résolutions n'ait pas constitué un débat d'idées à proprement parler.

Et il est vrai que la grande convergence qui existait finalement entre nous rendait en définitive moins prioritaire cette confrontation des idées. Le débat a parfois pu paraître secondaire. Mais, mes camarades, ceci ne signifie pas que les socialistes ont cessé de s'intéresser aux idées. Nos textes étaient au contraire d'une grande qualité. Et leur ressemblance n'enlève rien à cette qualité. Mais l'on débat plus aisément de ce qui oppose. Et d'une certaine façon, nous sommes là un peu victimes d'une cohésion interne qui est le fruit d'un travail de vingt années.

Au moment de nous séparer, mes chers camarades, nous devrions constater nos accords plus que nos différences. J'ai déjà dit un certain nombre de ces points de convergence : le débat idéologique, la nouvelle étape sociale, je devrais ajouter les interrogations sur l'écologie et l'environnement. Et aussi, bien des débats que nous devrons mener ensemble : la nécessité de restituer une véritable dimension sociale à la démarche européenne; l'inévitable réflexion sur le désarmement et les fondements d'une nouvelle démarche socialiste en faveur de la paix. Et bien sûr encore la démocratisation de l'entreprise, l'utilisation du secteur public, la réforme de la fiscalité.

C'est mes chers camarades notre diversité qui doit nourrir notre identité. Nous avons à fixer prioritairement les contours de notre programme pour les élections législatives de 1993. Quelle croissance sociale, quels objectifs de réduction des inégalités, comment concilier l'évolution des rémunérations et emploi. L'actualité ouvre sans cesse de nouveaux chantiers. Nous avons à les aborder. Nous devons le faire, comme cela a été proposé par plusieurs d'entre nous au sein d'une grande convention nationale qui devra être préparée dans le cadre d'un large débat militant.

Vous le savez, nous avons déjà décidé de la tenue d'une convention sur la défense en Europe. Et il faudra bien, comme l'a demandé le Président de la République se pencher sur la démocratisation dans l'entreprise.

Les relations avec le monde en voie de développement doivent aussi appeler notre attention prioritaire. Et nous devrons trouver le cadre d'un débat large et innovant.

Je ne doute pas que sur tous ces thèmes nous trouvions les conditions d'un accord. Il faudra aussi nous accorder sur les modalités de la rénovation du parti. Prenons acte de la convergence sur les objectifs.

Intéressons-nous maintenant aux procédures et aux moyens. Car on ne parle pas dans l'abstrait du fonctionnement du parti. Et là encore, c'est un débat large préparant une convention nationale qu'il faudra mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.

Dans trois ans il nous faudra à nouveau forcer le destin. Aux législatives, nous devrons combattre la droite, une droite peut-être affaiblie, en tous cas divisée. Mais sûrement pas inoffensive. Méfions-nous de ces tentatives auxquelles s'illustrent Pasqua et Seguin pour ressusciter au travers de thèmes volontiers populistes la vieille alliance gaulliste des conservateurs et des couches populaires.

Nous ne serons certainement pas capables de prendre seuls l'avantage. Le parti socialiste est certes devenu le premier parti de France. Il l'est par son rayonnement. Il l'est par son implantation électorale. Mais cette prépondérance ne lui permet pas de dominer seul la vie politique française.

Notre mode de scrutin majoritaire nous appelle lui-même au rassemblement. Et naturellement au rassemblement à gauche.

Avec les communistes nous devons prolonger le dialogue qui est la façon la plus efficace de le mettre devant ses responsabilités.

L'élément nouveau de la période, c'est qu'il existe, à côté du parti communiste les sensibilités communistes qui ne se confond pas avec notre approche du socialisme. Si nous ne pouvons pas espérer tous les accueillir, il faut alors rechercher le dialogue avec ceux qui veulent rester des communistes, même s'ils récusent la voie choisie par Georges Marchais.

Et de la même façon, il faut créer les conditions d'un dialogue avec ceux qui militent sur d'autres terrain que le terrain politique : mouvements associatifs et syndicalistes. N'oublions jamais chers camarades quelle abnégation il leur faut dans notre société pour remplir leur mission : organisations anti-racistes et combien d'autres artisans de l'avenir. Nous avons rendez-vous avec tous ceux qui construisent patiemment le socialisme du quotidien.

C'est à eux, naturellement, que s'adresse notre proposition de tenir des états généraux de la gauche qui permettront à ces forces de se rencontrer, de débattre et peut-être de se rapprocher.

Cette proposition peut évidemment s'adresser aux militants de l'écologie. Je constate, comme vous tous que beaucoup sont de gauche et que leur électorat pour une part encore trop faible soutient nos candidats au deuxième tour.

Mais l'écologie suppose de notre part une attention plus grande encore. Tous ceux qui participent assidûment aux travaux de l'Internationale Socialiste constatent que la préoccupation écologiste est entrée pour une part très grande dans les programmes des partis socio-démocrates. Je ne crains pas de le dire : sur ce plan nous sommes en retard. Que diraient nos enfants si nous leur transmettions un patrimoine naturel souillé, abîmé, meurtri ?

La tâche à remplir est immense.


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