L'Europe, c'est presque une cause sacrée



Entretien avec Pierre Mauroy, ancien premier ministre, sénateur du Nord, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 23 avril 2005
Propos recueillis par Nicolas Barotte


 

Le Parti socialiste fête ses cent ans. Quel est selon vous le fil directeur de l'identité socialiste au cours de ce siècle ?
Plusieurs valeurs se trouvent à l'origine du socialisme. D'abord la République : on ne peut pas être socialiste sans être républicain. Ce combat contre le despotisme commence à la Révolution. J'admire le courage de ceux qui en ont été les jalons. Ensuite, à la fin du XIXe siècle, l'irruption de l'industrialisation s'accompagne de l'apparition de la classe ouvrière, de la misère des peuples dans les villes... On ne peut pas être socialiste si on n'est pas contre les injustices. A la même époque, la volonté de s'approprier les moyens de production et d'échange afin de détenir le pouvoir économique devient un autre signe distinctif du socialisme. La paix fait aussi partie de notre lot originel : la Première Guerre mondiale a marqué le parti né en 1905. Enfin, après la Seconde Guerre mondiale, il y a l'Europe. C'est presque une cause sacrée. Les socialistes n'y ont jamais manqué.

Qu'est-ce qui a évolué dans l'idée du socialisme au cours de ce siècle ?
Le combat pour l'Europe nous a rapprochés de la social-démocratie. Il y avait toujours eu une part de distanciation entre les socialistes français, compte tenu de leur histoire, et la social-démocratie, qui s'est construite avec davantage de réalisme. Ensuite, si l'idée de l'appropriation des moyens de production était toujours reprise dans les principes, les politiques socialistes n'ont pas correspondu en pratique. L'idée de la réforme révolutionnaire, la réforme qui est une rupture, progressait. Le PS a été capable de s'adapter aux différentes périodes de l'histoire, de les incorporer. C'est pour cela qu'il a pu durer.

Le PS a connu de nombreux sujets de débat. Celui portant sur la Constitution européenne a-t-il quelque chose de différent ?
Aujourd'hui, on nous impose un débat à retardement qui ne s'inscrit pas dans l'évolution du PS. En réalité, même si le débat est toujours utile, je ne sais pas pourquoi nous avons celui-ci. Voter oui, c'est se donner les moyens de faire une avancée en Europe ; voter non, c'est en rester à la situation actuelle en prenant le risque de tout arrêter pour un certain temps. Le oui s'inscrit donc clairement dans une évolution plus progressive. Parce que l'Europe fait partie intégrante de notre histoire, il faut avancer et ne surtout pas reculer. Si c'était le cas, je regretterais le souffle qui nous a animés depuis les années 50. Et qu'on ne vienne pas nous dire qu'on est aux côtés de la droite républicaine. Nous l'avons été dès le départ pour faire l'Europe. J'ai le sentiment que mes camarades qui prennent position pour le non succombent à la facilité.

Compte tenu de la division actuelle du PS, la fête du centenaire est-elle un peu gâchée ?
Nous, nous allons le fêter quoi qu'il en soit. Le PS a connu des débats tumultueux dans son histoire. Mais il avait une règle : le respect de la majorité. Quand on la transgresse... Nous ne manquerons pas de dire que si le parti a eu cette évolution centenaire, c'est parce que certains n'ont jamais perdu le sens de l'unité. Actuellement, je ne pense pas que cette unité soit encore en cause, mais on ne sait pas ce qu'un non en France pourrait provoquer.

Vous vous êtes engagé dans la SFIO à la fin de la guerre. Vous êtes-vous toujours reconnu dans le PS ?
Tout à fait. J'ai suivi les évolutions du parti. Même si quelque fois je me suis dit que le communisme allait l'emporter à gauche, je n'ai jamais désespéré du socialisme et de la social-démocratie.

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