Le Sénat n'est pas capable de se réformer

Pierre Mauroy



Discours de Pierre Mauroy, à la tribune du Sénat le jeudi 12 juin 2003
 
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,

Nous débattons aujourd’hui de deux propositions de loi issues des rangs de la majorité sénatoriale, censées engager la réforme, tant attendue, de notre assemblée. Si ces textes me donnent satisfaction sur un point, celui de la réduction du mandat de sénateur, ils ne sont pas à la hauteur de la réforme que le Sénat mérite. Je veux donc exprimer d’emblée ma déception et celle du groupe socialiste face à ce qui nous apparaît comme une occasion manquée !

A la question posée par un journaliste : « Vous ne voulez plus qu’on puisse dire que le Sénat est une « anomalie démocratique », vous répondez, M. Larché , qui êtes le rapporteur de ces propositions de loi : « Les reproches de M. Jospin en la matière ne nous avaient pas beaucoup perturbés. Mais nous les avons entendus… Si nous réduisons la durée du mandat sénatorial, c’est parce que la Vème République reposait sur un équilibre de la durée des mandats : 9 ans, 7 ans, 5 ans. A partir du moment où celui du président de la République était ramené à 5 ans, on pouvait trouver que le mandat de 9 ans pour les sénateurs provoquait une discordance qui n’était pas souhaitable ».

De votre aveu même, il fallait donc avancer sur ce point. Le président du Sénat, M.Christian Poncelet, M. Daniel Hoeffel et vous-même, M. le rapporteur, avez pris cette initiative et vous avez eu quelque mérite à la faire concrétiser aujourd’hui.

Les socialistes approuvent d’autant plus cette réduction du mandat sénatorial à six ans, qu’ils ont été les premiers à la proposer. J’ai le souvenir de m’être moi-même exprimé à ce sujet à plusieurs reprises. Le président de notre groupe, Claude Estier et Guy Allouche, avaient déposé une proposition de loi portant cette réforme, à laquelle Bernard Frimat et Jean-Pierre Sueur viennent de faire écho. Elle constituait pour nous le point de départ d’une rénovation en profondeur du Sénat, qui devait s’inscrire dans la modernisation de notre vie politique, au même titre que le non-cumul des mandats, la parité ou le quinquennat.

Or, cette disposition représente la seule mesure que vous proposez pour réformer véritablement notre assemblée ! Avouez que c’est nettement insuffisant !

Je souhaiterai faire, sur ce point, plusieurs observations :

Tout d’abord, je crois que les sénateurs ne mesurent pas le discrédit qui frappe leur assemblée. C’est une affaire ancienne, qui remonte à la fin de la IIIème République. Le Sénat a été pénalisé par la création, en 1946, du Conseil de la République. Il faudra attendre 1958 pour qu’il soit rétabli dans ses prérogatives de Haute Assemblée représentant les collectivités territoriales. Aujourd’hui, il sombre à nouveau dans l’opinion parce qu’il n’est pas capable de se réformer.
Certes, pour accroître son prestige, vous organisez, M. le Président, des séminaires, des colloques, des manifestations culturelles de haut niveau. Cela n’est pas suffisant. Il faut aussi prendre des initiatives politiques.

Par ailleurs, avec la mise en place du quinquennat, il est évident que la démocratie française va connaître une nouvelle respiration, qui correspond à l’attente des citoyens et à l’accélération de notre vie politique. Le Sénat doit s’inscrire pleinement dans ce mouvement. C’est pourquoi nous proposons de procéder à son renouvellement total tous les six ans et de réserver le renouvellement par tiers ou par moitié à des organismes sans véritable enjeu de pouvoir.

Ma troisième observation porte sur la question de la parité, dont la voie a été ouverte par le gouvernement de Lionel Jospin et par les socialistes. Vous y avez été rétifs avant, finalement, de vous y rallier timidement. Il s’agit plus qu’une revendication politique, c’est un profond mouvement de société, qui doit se traduire, notamment, dans les modes de scrutin. C’est le scrutin proportionnel qui permet à ce principe constitutionnel de s’appliquer le plus facilement. Or, c’est précisément celui-là dont vous avez choisi de réduire l’étendue. Madame Danièle Pourtaud interviendra tout-à-l’heure sur les conséquences de votre position par rapport à une avancée à laquelle nous sommes particulièrement attachés.

Dernière observation . Pendant des années, l’objection majeure à l’évolution du Sénat a été la nécessité pour lui de représenter non seulement les populations mais les territoires. Nous voulons bien accepter cette complémentarité, à la condition qu’elle ne porte pas atteinte à ce qui est le fondement de la démocratie, c’est-à-dire la représentation du peuple dans toutes ses composantes et en respectant les rapports de force entre les formations politiques.
A ce propos, j’ai lu avec intérêt, dans l’exposé des motifs de la proposition de loi sur la réforme de l’élection des sénateurs, qu’à vos yeux, le scrutin majoritaire garantissait notamment « l’indépendance des sénateurs qui disposent d’une plus grande liberté à l’égard des partis politiques ». C’est une belle audace après tout ce qui a été écrit sur les eaux dormantes du scrutin majoritaire !

C’est pourquoi nous proposons une réforme du mode de scrutin. On vous a déjà tout dit sur la nécessité d’appliquer la représentation proportionnelle aux départements élisant deux sénateurs et plus, au lieu de 5, comme c’était encore le cas en 1992.

Le gouvernement de Lionel Jospin a abaissé ce seuil à 3 sénateurs. Aujourd’hui, alors que, dans un premier mouvement, vous réduisez la durée du mandat sénatorial, vous vous reprenez aussitôt, et, comme pour le contrebalancer, vous revenez à vos erreurs d’hier en relevant ce seuil à 4 sénateurs. Nous refusons ces aller et retour qui ne seront compris ni par les sénateurs concernés ni par l’opinion.

En outre, vous êtes muet sur la composition du collège électoral. Jean-Pierre Sueur s’est exprimé à ce sujet. Vous persévérez à sur-représenter les bourgs, les petites villes et les villages et à sous-représenter les villes, où vivent pourtant les trois quarts de la population.

Vous tournez ainsi le dos aux grandes mutations de la population française. Vous vous complaisez dans la nostalgie d’une France ancienne, alors que notre destin, s’il ne doit pas oublier les communes et la ruralité, s’inscrit principalement dans les grandes zones urbaines qui accompagnent le mouvement industriel et le développement économique.

Je voudrais encore souligner que la nocivité de ces idées passéistes vont bien au-delà de ce que nous avons dit jusqu’ici.

Dans le grand mouvement de décentralisation qui s’ébauche - vaille que vaille. Nous avons été les initiateurs face à une droite hostile, mais aujourd’hui en partie acquise. Et de quelle manière ! Et pas toujours la meilleure ! Mais vous ne voulez pas aborder le mouvement de l’intercommunalité et ses conséquences. Pas davantage d’ailleurs vous n’abordez le mode de scrutin des conseillers généraux et encore moins le collège du renouvellement sénatorial. Votre idée centrale est de préserver à terme votre bastion sénatorial conservateur.

J’ajoute un dernier mot sur ce sujet d’actualité.

Monsieur le ministre, certains de vos collègues et le Premier ministre lui-même ont pris l’habitude, à l’Assemblée nationale et ailleurs, de me citer en se référant au rapport de la Commission que j’ai présidée sur l’avenir de la décentralisation. Au fond, ce n’est pas pour me déplaire, même si j’en mesure parfaitement l’alibi politicien.

Dois-je vous rappeler, cependant, que ce rapport n’est pas un rapport ordinaire. Il est le produit de cette Commission chargée d’établir un consensus entre des personnalités de droite et de gauche, en nombre égal.

Les personnalités de droite ont joué le jeu pendant plusieurs mois, y compris l’actuel Premier ministre. Mais, à quelques mois de la remise du rapport, elles n’ont pas voulu l’avaliser. Elles sont descendues en marche du train qui nous conduisait alors à Matignon.

J’ai encore en mémoire les paroles d’une haute personnalité me disant : « notre décision est politique » ; cette haute personnalité, s’adressant à moi ajoutait : « il faut que vous sachiez, que notre décentralisation n’est pas la même que la vôtre ».

Comme je comprends ! Je retourne à cette haute personnalité et à ces ministres le compliment en leur disant, de cette tribune, qu’il y a des limites à la communication. Elle dérape quand elle est utilisée trop habilement avec des artifices qui déforment la vérité. Les récents sondages montrent que cette valeur d’une République renouvelée n’a pas cessé de grandir avec nous, mais avec vous elle se noie dans la contestation et vous ne pourrez plus vous en prévaloir.

Si vous nous suivez aujourd’hui sur la réduction du mandat sénatorial, il vous faudra avancer avec beaucoup beaucoup de pas nouveaux pour mieux servir le Sénat dans la République.



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