Congrès de
l'Internationale socialiste
Stockholm - 20 juin 1989

Pierre Mauroy
Discours prononcé par Pierre Mauroy à la tribune du Congrès de l'Internationale socialiste




 
Monsieur le Président, Chers camarades,

J'éprouve en venant à cette tribune deux impressions. L'une me vient de la mémoire. Comment ici à Stockholm ne pas ressentir l'absence d'Olof Palme. Il n'est plus, mais son souvenir fécondera pour longtemps l'action du mouvement socialiste international. Je tenais ici à le rappeler au nom de tous les socialistes français.

L'autre sentiment est celui d'un grand espoir. Espoir partagé me semble-t-il par l'ensemble des délégations présentes ici ce matin. Il a pour nom la paix.

Mois après mois, voici qu'un monde neuf surgit sous nos yeux. Cette constatation, nous la faisons désormais à chacune de nos rencontres. Il y a un an à Madrid, Felipe Gonzalez nous décrivait au futur les contours d'une situation que nous vivons aujourd'hui au présent. Willy Brandt à Paris en décembre dernier, discernait les perspectives qui dominent maintenant notre actualité. Et de même à Vienne il y a quelques mois seulement.

Progrès du désarmement, progrès de la détente et peut être progrès de la paix. Qui pourrait aujourd'hui en nier le constat ?

D'autres époques cependant ont connu ce même espoir. D'autres générations ont comme nous vu s'entrouvrir les chemins de la paix. On sait quels démentis l'histoire leur a parfois infligés. La désillusion souvent, la tragédie quelquefois, ont suivi de près l'embellie espérée.

En invoquant ainsi le témoignage des temps, je ne souhaite pas mes chers camarades susciter un pessimisme peu de circonstance. Le pessimisme n'est pas dans ma nature et, au demeurant il est peut-être mauvais conseiller. La Paix est aussi un état d'esprit.

Je souhaite seulement par ce rappel peut être trop grave souligner l'enjeu et l'urgence de ce débat sur la sécurité. Il est celui de notre plus haute responsabilité. Il est celui de nos choix les plus décisifs.

L'espoir et la menace ! L'histoire toujours se noue entre ces deux termes. La nôtre surtout, histoire du mouvement ouvrier, rude combat, suspendu entre le feu et le rêve. Rêve d'une société plus juste et plus égalitaire qu'est venu entraver à intervalles réguliers le feu des armes.

L'espoir, comme dimension essentielle de notre débat sur la sécurité. Pour la première fois depuis quarante ans l'archipel communiste sort de l'hiver des libertés. Cette évolution est trop liée à la personne de Monsieur Gorbatchev pour ne pas la qualifier toute entière du nom de perestroïka.

Que représente Monsieur Gorbatchev ? Une ambition collective ou une idée personnelle ? Un calcul ou un projet ? Peu importe dans la mesure où une transformation aussi profonde ne peut s'établir que sur un ressort puissant.
Il ne suffirait pas de dire que le communisme a échoué. Certes son modèle d'organisation sociale s'est brisé sur recueil des libertés tout autant que de l'impuissance économique. Depuis les années 60 le monde entier en est le témoin. Et cependant le système était resté immuable.

Il a donc fallu que d'autres forces de transformations technologiques, économiques, mais aussi idéologiques et politiques se mettent en mouvement : l'identité européenne, les revendications du tiers-monde, l'ère de la communication généralisée, mais sans doute par dessus tout l'inexorable montée partout, dans le monde, du socialisme démocratique réconciliant justice et liberté. Bref, la victoire de nos idées.

Ces idées, impriment leur marque au mouvement, un mouvement qui pour réussir prendra du temps, un mouvement qui ne s'accommode ni de fébrilité ni d'impatience. Car il ne s'agit plus d'une libéralisation de circonstance mais d'un processus de démocratisation qui a désormais l'opinion internationale et les peuples de ces états comme témoins.

Témoins, nous observons ces avancées extraordinaires, ces considérables progrès. Progrès en URSS, où l'élection des députés n'est pas moins significative que ces débats du congrès qui remettent en cause, dans une lecture désormais plurielle, toute l'histoire contemporaine soviétique. Progrès en Europe de l'Est, où l'aspiration à la démocratie se fait d'autant plus pressante qu'il existe une société civile organisée, comme en Pologne ou en Hongrie. Progrès en Indochine. Progrès dans d'autres zones aussi, où sous la poussée du basculement idéologique des conflits anciens ont pu être réglés. Comme en Angola ou en Namibie. Témoins, nous relevons aussi les ombres de cette évolution. En URSS même le réveil des nationalités laisse peser de nouvelles et importantes menaces sur la liberté. Notre exigence absolue dans ce domaine est la contrepartie de l'intérêt et du soutien que nous accordons à la politique de Monsieur Gorbatchev.

Et la répression aveugle qui s'abat sur les manifestants de la Place Tienanmen de Pékin, appelle une autre réponse que la résignation des grandes puissances !

Mais qui ici saurait se contenter de la position de témoin. La cause des libertés réclame des acteurs ! Et cette cause elle est d'abord celle des socialistes ! La droite croit trop facilement qu'il suffit d'offrir l'économie du marché au monde communiste pour lui insuffler la dynamique d'un nouvel élan. C'est réduire à sa dimension caricaturale l'intense réflexion que conduisent les forces organisées dans ces pays. Lech Walesa l'a dit à plusieurs reprises : ne pas sortir du communisme pour tomber dans les dérèglements du capitalisme. Oui ce mouvement représente bien davantage : iI traduit une aspiration à un nouveau modèle politique !

Qu'avons nous à offrir pour appuyer cette démarche ? Comment peser sur ce processus historique ? Le communisme rénovateur peut-il encore rester du communisme ? A quelle condition peut-il se transformer en socialisme de la liberté, ou, plus rapidement, laisser la place au socialisme de la liberté ?

Face à ces enjeux idéologiques, chacun a conscience de la similitude de notre démarche de socialistes avec celle de ces peuples qui cherchent à réconcilier développement et liberté. Et si demain notre dialogue avec l'Est ne s'établissait plus sur la coexistence conflictuelle entre deux modèles opposés, mais sur le dialogue d'Etats animés par un même idéal et fondés sur des modèles suffisamment voisins pour autoriser dialogue et coopération ? Quelque chose en serait changé, et les chances de la paix prendraient une autre dimension.

Notre sécurité militaire rejoint notre responsabilité politique.
Notre responsabilité est désormais de fonder un socialisme qui affirme clairement ses valeurs de justice et de liberté, et qui assure ses capacités de renouvellement pour s'adapter aux grands enjeux du monde du XXIème siècle. Il est temps en cette année du Bicentenaire de la Révolution Française que l'esprit de 1789 prenne le pas sur celui de 1917, et que nous soyons les initiateurs de ce renouveau des valeurs.

Sommes-nous pour autant sortis de l'ère des menaces ? Il serait vain de le croire tant le surarmement réclame toujours notre attention. Depuis près de 45 ans les conflits majeurs ont pu être évités entre les grandes puissances. Malgré les tensions, les menaces, les incompréhensions, une sorte de paix globale s'est stabilisée.

Cette situation c'est à l'évidence à la dissuasion que nous la devons. La dissuasion restera pour longtemps encore le principe actif d'un rapport de force équilibré. N'en rejetons pas le concept avant qu'il ait perdu de sa substance. C'est à lui que nous devons le progrès de la détente.

Depuis le traité de Washington en décembre dernier, des pas considérables ont été accomplis. L'URSS a admis les asymétries, et accepté les procédures de vérification. A l'initiative de François Mitterrand, une centaine de pays ont signé en janvier 1989 un accord sur l'interdiction de l'armement chimique dont le Kurdistan nous avait donné la tragique mesure. Le récent Sommet de l'OTAN a résolu par une nouvelle dynamique une contradiction dont nous comprenons tous les fondements.

La réalité du désarmement n'a cependant pas encore rejoint l'espoir d'un monde pacifique. L'Union soviétique conserve une supériorité conventionnelle importante en dépit du plan de retrait annoncé. Et toute surenchère dans le désarmement créerait des fragilités.

Les étapes à venir du désarmement ne sauraient se limiter aux armes nucléaires sans être coordonnées à d'autres négociations dont nous attendons beaucoup : START, Conférence de Vienne notamment.

Nous n'avons jamais varié cependant dans notre volonté de paix par le désarmement : il doit assurer au plus bas niveau possible une sécurité préservée. Négocier, telle est bien l'exigence permanente. Négocier pour faire avancer toujours plus le désarmement. Négocier pour parvenir au stade où les évolutions seront irréversibles. Et j'ai le sentiment que cette irréversibilité du processus de désarmement ira de pair avec l'irréversibilité du processus de réformes à l'Est.

Mais comment ignorer que dans un monde dominé par les déséquilibres économiques la menace est sans doute aussi ailleurs. L'écart des richesses au plan mondial s'aggrave. En matière de dette, beaucoup a déjà été fait. Devant l'inefficacité des mesures de moratoire, la plupart des grandes puissances ont accepté d'annuler leurs créances sur les pays les plus pauvres. Faisons en sorte que le sommet de Paris, symboliquement tenu un 14 juillet, permette d'avancer plus loin encore pour clarifier la situation des pays à revenu intermédiaire. Mais conservons en mémoire qu'il ne s'agit là que d'apurer des situations créées par des mauvaises gestions passées, il est temps de fonder dans la solidarité internationale une véritable organisation des marchés.

Nous souhaitons que les négociations en cours au GATT permettent d'élargir les mécanismes de stabilisation déjà instaurés par la communauté européenne. Il faut aussi imaginer des mécanismes d'alerte permettant de prévoir les grandes catastrophes naturelles et en particulier ces famines qui déciment à intervalles réguliers des populations entières. Enfin les technologies devraient s'adapter au contexte du développement et non pas tenter d'adapter le développement à leurs propres préoccupations. Il est aussi une autre dimension qui constitue une menace. Elle est liée à l'incompréhension grandissante qui divise les grandes communautés internationales.

Les excès fanatiques des intégristes ne doivent conduire ni à une condamnation de l'Islam tout entier - ce serait absurde - ni même à la rupture d'un dialogue qui reste une condition essentielle à l'avenir pour se comprendre et s'expliquer. Nous savons bien nous européens, que dans trente ans les trois pays du Maghreb - et je veux saluer ici nos amis de la Tunisie que nous accueillons pour la première fois - ces trois pays donc comprendront à eux seuls autant d'habitants que la communauté des douze toute entière. S'ignorer aujourd'hui, ce serait demain prendre le risque d'une incompréhension dramatique qui scellerait l'échec du dialogue.

Chers Camarades, étrange moment de notre histoire que cette fin de décennie 80. Des évolutions inespérées paraissent à notre portée. Les événements tranchent en notre faveur le grand débat qui depuis 1917 nous opposait au communisme. La paix connaît des progrès considérables. La démocratie s'affirme sur plusieurs continents. Notre sécurité dépend surtout de notre capacité d'innovation politique et moins de l'imagination militaire.

Beaucoup de cartes se trouvent ainsi redistribuées. Et cependant rien n'est encore joué . Il dépend de nous, membres de l'Internationale socialiste, forts de nos convictions, et de nos idées, d'imaginer un socialisme pour le prochain siècle.

Jamais sans doute les hommes n'auront disposé d'une telle capacité à connaître. Jamais sans doute ils n'auront été aussi orphelins de perspectives.

Nous sommes les seuls à leur offrir un projet d'avenir. A nous de leur tracer un peu de ce grand dessein collectif auquel ils aspirent et de les guider dans cette voie.


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