Peuples d'Europe : | |
Le monde s'ouvre, l'économique, le culturel et le technologique s'entrechoquent, nous vivons le temps de la globalisation, tout et tous deviennent interdépendants. Jusqu'ici, nous, socialistes français et européens, reconnaissons que nous n'avons pas suffisamment pris la mesure de cette nouvelle donne. Nos propositions, nos stratégies sont restées trop prisonnières de cadres nationaux. Nos modes de réflexion et d'action ont été peu coordonnés. Durant les cinq dernières années, à l'exception de l'euro, peu d'initiatives communes ont été prises alors même que nous étions aux responsabilités. Après l'Erika, à l'heure des OGM et de Sangatte, face aux contestations de Seattle et de Gênes, nous sommes apparus à court d'une parole forte sur la globalisation, qui est partout dans les têtes et trop peu dans nos projets. La défaite socialiste française du printemps dernier a aussi pour cause cette lacune dans l'exposé d'une vision du monde. Or c'est bien le réexamen de cette vision que les socialistes français viennent de mettre à l'ordre du jour de leur 73e congrès, en mai 2003. Nous pensons que celle-ci sera d'autant mieux reformulée qu'elle s'inscrira dans une démarche commune avec nos partenaires et camarades européens. Faute de quoi des peurs demeureront sans réponse, et le doute croîtra sur ce que peut le politique. Regardons autour de nous : quand le climat se dérègle, quand le terrorisme s'internationalise, quand le capital se délocalise et quand la précarité s'étend, le socialisme dans un seul pays n'a évidemment plus de sens. Si l'on veut être efficace et peser vraiment sur le cours des choses, les politiques à mettre en œuvre et les régulations à construire se situent désormais à l'échelle des continents et du monde. Là est la nouvelle frontière de la social-démocratie. Au XXIe siècle, être socialiste, c'est penser que le monde est notre village, et non que le village est notre monde. La République ne prend tout son sens que dans un horizon qui la dépasse. Il faut d'autant plus nous garder de tout repli que l'ultra-libéralisme montre désormais clairement ses dégâts. Après le reflux de l'intervention publique, les réveils sont douloureux pour les apôtres du dieu marché. Celui-ci n'a jamais réalisé de grands miracles, mais le voici qui multiplie les grands défauts. Manque de transparence d'un système financier qui n'obéit qu'à lui-même, accroissement des inégalités au sein même des nations et entre elles, précarité du développement à travers les menaces qui pèsent sur l'avenir de la planète, critiques croissantes à l'égard des institutions financières internationales : on ne reviendra pas au tout-État, qui a échoué, mais il est désormais évident que les marchés, loin de s'autoréguler, réclament des contre-pouvoirs et des limites. Dans nos systèmes complexes, il faut donc inventer des combinaisons dynamiques entre plusieurs partenaires - marché, Etats, société civile - plutôt que de chercher à assurer l'hégémonie de l'un sur tous les autres. La social-démocratie se définit par la recherche d'un triple compromis entre le capital et le travail, le marché et l'Etat, la compétition et la solidarité. Avec la globalisation, le premier de chacun de ces termes est renforcé au détriment de l'autre. Pour protéger le travail contre les empiétements excessifs du capital, il faut mieux intégrer dans le travail les jeunes, les immigrés, les non-qualifiés. Pour garder à l'Etat sa capacité d'intervention, nous devons, au plan international, définir des biens publics et conférer à la puissance publique internationale les moyens de les protéger. Pour maintenir la solidarité, la redistribution doit être désormais pratiquée à l'échelle du monde par des institutions et par des mécanismes internationaux nouveaux. Les trois compromis de la social-démocratie doivent donc être actualisés, nos méthodes réformées et internationalisées. La création d'un conseil de sécurité économique et social, l'application du protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, le projet d'une taxation internationale pour accroître l'aide au développement n'ont pas d'autre but que de moderniser et de rendre plus efficace le compromis social-démocrate. Il faut aussi éviter tout repli sur soi, car le déséquilibre actuel qui fait des États-Unis l'acteur hyperdominant du système international doit être corrigé. Sans puissance à sa mesure et persuadée de son bon droit, l'administration américaine tente d'imposer sa vision au reste du monde. Après les attentats du 11 septembre 2001, chacun attendait des Etats-Unis, dans la lignée des Wilson, Roosevelt, Kennedy et Clinton, un engagement en faveur d'une meilleure gouvernance mondiale. Au lieu de quoi, le gouvernement Bush cède souvent aux mots d'ordre simples, voire simplistes : il devient l'ultime arbitre du bien et du mal, ce qui est bon pour lui doit l'être pour le reste du monde. Cette politique suscite des discussions vives aux Etats-Unis et des rejets encore plus vifs dans l'opinion publique mondiale. Là où il faudrait des règles et du dialogue, elle encourage le désordre et les tensions. Les pays du Sud se rebellent, le fossé semble s'élargir entre les deux rives de l'Atlantique. La refondation de la social-démocratie passera d'abord par l'Europe. Là est la forme moderne de notre vieil internationalisme, le cadre d'un socialisme pour aujourd'hui, c'est-à-dire d'une société solidaire en économie de marché. L'échelon européen n'a pas vocation à répondre à tous les problèmes mais, devant les enjeux de la gouvernance internationale - paix et sécurité, régulation du capitalisme, aide et développement, environnement et biens publics mondiaux -, l'Europe constitue le bon échelon d'intervention et de représentation. On le voit en matière commerciale et dans le domaine de la politique de la concurrence : quand l'Europe avance unie, quand elle se dote des moyens de parler d'une seule voix, elle pèse. Lorsque le commissaire européen compétent parle au nom de l'Europe unie à l'OMC, il parvient à imposer aux Etats-Unis un nouveau cycle commercial du développement. Quand il bloque, sous le contrôle des tribunaux, la fusion entre General Electric et Honeywell, l'Europe est entendue. Et l'émergence d'une position européenne commune sur le conflit irakien devrait pouvoir inciter les États-Unis à évoluer. A condition qu'elle s'en donne les moyens, nous pensons que l'Europe - renforcée par son prochain élargissement - peut devenir demain l'avocat crédible et écouté d'une nouvelle gouvernance mondiale. Certes, de l'autre côté de l'Atlantique, on cherche parfois à discréditer un tel modèle : si l'Europe défend un mode de relations et de redistribution internationales moins discrétionnaire que les Etats-Unis, ce serait parce qu'elle constituerait une puissance fatiguée ; notre multilatéralisme ne serait que la stratégie du faible. En réalité, même étendue à 25 ou 27, l'Europe n'a pas vocation à devenir un empire, et d'ailleurs tant mieux, puisque tous les empires finissent par périr ! L'Europe, une puissance faible ? Au contraire, nous voyons ce qu'elle peut d'ores et déjà dans la sphère économique ! Puissance douce, soft power, comme diraient les Anglo-Saxons ? Dans un monde voué au contrat et à la règle, négocier, c'est déjà beaucoup. Mais l'Europe est bien davantage, le multilatéralisme constitue un pari sur ce que pourrait être le monde à horizon de vingt ou trente ans. Un monde qui se structurera autour de quatre ou cinq grands ensembles régionaux, dont l'Europe. Un monde où les opinions publiques se feront mieux entendre et où seules les valeurs justes, celles qui correspondent à l'intérêt du plus grand nombre, seront réellement légitimes. Dans ce monde-là, le droit aura besoin de la force pour se faire respecter, mais la force sans le droit sera vouée à l'échec : telle est notre vision. C'est bien en ce sens que la social-démocratie doit prendre appui sur l'Europe. Hommes et femmes de gauche, nos valeurs sont porteuses de ce modèle de civilisation. La droite européenne se trouve, elle, dans une situation différente. Rompant avec la démocratie-chrétienne, qui n'est plus que l'ombre d'elle-même, la droite est en effet traversée par deux tendances qui l'éloignent d'un idéal européen et coopératif : le localisme ou le populisme. Avec, en toile de fond des choix conservateurs, une volonté de passer de l'économie de marché à la société de marché. En Italie, cela donne une formule mêlant localisme et populisme. Chez nous, c'est un cocktail libéral-autoritaire dont le coût social - hausse du chômage et augmentation des inégalités - risque de se faire fortement sentir dans les mois à venir. Dans ce contexte, les socialistes européens doivent peser sur la présente Convention sur l'avenir de l'Europe. C'est en tant que socialistes et non d'abord en tant que Français, Allemands, Espagnols ou Danois que nous devons nous faire entendre sur des sujets urgents : les conditions sociales pour une nouvelle étape de la construction européenne, la garantie des services publics (" services d'intérêt général "), la réforme de la politique agricole commune, la clarification institutionnelle. Au-delà, nous devons préparer ensemble le prochain grand rendez-vous politique des citoyens de l'Union : les élections européennes de 2004. A cette occasion, il nous faudra définir un manifeste commun qui devra préciser le rôle de l'Europe dans la globalisation : en termes d'aide au développement et de défense, en matière d'environnement, pour la promotion des droits sociaux, pour la définition des biens communs et des services publics, cette plate-forme devra assigner à notre Union quelques objectifs simples et réalistes, susceptibles de rallier une majorité d'Européens. Il nous faudra préciser les étapes nouvelles à franchir pour atteindre ces objectifs : une seule représentation européenne dans les institutions financières internationales ; des facilités commerciales accrues pour les pays les plus pauvres ; des investissements européens conjoints en matière de défense ; une européanisation progressive des politiques d'immigration et d'aide au développement ; de nouvelles instances internationales pour assurer l'équilibre planétaire, à l'instar de l'Organisation mondiale de l'environnement dont nous devons prendre l'initiative. Pour élaborer un tel manifeste, nous devons intensifier nos contacts et nos échanges entre socialistes européens. Le Parti des socialistes européens a organisé récemment une première rencontre à Copenhague. Cette démarche est la bonne. D'autres rendez-vous suivront, prochainement à Varsovie, puis ailleurs. Nous devons dialoguer avec les forces vives du progrès et de la démocratie : syndicats, associations, organisations non gouvernementales, intellectuels, créateurs, hommes et femmes de culture. Un an et demi à peine nous sépare des prochaines élections européennes. Le rendez-vous est important pour l'avenir de la social-démocratie et pour l'Europe. Fuyant les divisions, les surenchères et les réflexes de repli qui sont fréquents au lendemain des défaites, les socialistes français doivent prendre toute leur place. C'est-à-dire tenir leur rôle de catalyseur, surmonter les difficultés et les querelles de chapelle pour tourner leur regard vers un horizon commun. Parce que nous sommes profondément européens et profondément socialistes, c'est le sens de l'appel que nous lançons aujourd'hui ensemble : " Socialistes de toute l'Europe, unissez-vous ! " |
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