La bataille culturelle

Delphine Mayrargue
Delphine
Mayrargue

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Nouvelle Gauche.
18 janvier 2003

 
Les dernières campagnes électorales ont laissé à tous les militants de gauche qui les ont faites un goût amer. Parce que notre camp a été balayé, sans doute. Mais surtout parce que nous avions l’impression de ne même pas intéresser nos interlocuteurs. Les réunions publiques et les diffusions de tracts s’enchaînaient. Le malentendu durait. Des candidats et des militants s’efforçant de convaincre. Des électeurs ne s’intéressant qu’à ce que leur vote pourrait leur rapporter à eux. Plus personne pour restituer ses difficultés dans un contexte global, pour se revendiquer d’un camp ou d’une classe.

Nous avons récolté, sans doute, ce que nous avons nous-même semé : individualisme et scepticisme. Si bien que le bilan de la gauche n’a été lu qu’à l’aune des profits individuels qu’il a pu dégager pour chacun.

Cet éclatement de la demande sociale auquel nous avons voulu prêter les vertus d’une autonomie synonyme d’émancipation individuelle, est en fait le produit venimeux de la libéralisation culturelle de la société. Elle s’accompagne d’une culture délétère du non-conflit, du « zéro risque » ; d’accord pour le progrès collectif, tant qu’il ne me nuit pas, et surtout qu’on ne me demande pas de me battre pour le faire avancer… tel est le nouveau mot d’ordre de ceux qui ne pensent leur rapport à la société que sur le mode de la consommation...

La crise sociale, le chômage de masse, les inégalités sont venues artificiellement dresser les salariés les uns contre les autres. Les mots ont servi à découper le salariat en tranches : inclus ou exclus, travailleurs modestes ou chômeurs assistés, actifs ou retraités, fonctionnaires ou salariés du privé. Ainsi la compétition peut commencer. Au sein des salariés, entre salariés et chômeurs, entre générations, entre salariés du public et du privé, entre retraités et actifs… les mots des libéraux ont ouvert la voix aux maux du libéralisme.

Nous refusons la prédominance de ce modèle culturel. Même au Parti socialiste, certains jugent cette victoire de nos ennemis irrémédiable, ou pire, refusent de la voir. C’est ainsi qu’on nous propose de recentrer notre discours vers de mythiques classes moyennes et supérieures, prétendument les plus actives politiquement. Pour notre part, nous ne renoncerons pas à porter les aspirations des classes populaires alors qu’en tous points leurs intérêts rejoignent ceux des classes moyennes autour d’une question fondatrice du socialisme, celle de la répartition des richesses entre le capital et le travail.

Il faut revenir à l’essentiel. « La conquête du pouvoir politique est indissociable de la conquête de l'hégémonie culturelle ». Rappelons-nous la référence explicite à Gramsci faite par Le Pen, il y a plusieurs années. A observer combien ses thèses traversent la société, combien ses mots ont remplacé les nôtres, combien la compétition organise les relations économiques et sociales, on mesure qu’il n’y avait rien de prophétique à ces déclarations du chef du Front national, mais bien l’affirmation d’une stratégie de domination culturelle. L’extrême droite n’est pas au pouvoir. Mais l’idéologie libérale-sécuritaire est certainement la doctrine la mieux partagée au sein de la classe politique aujourd’hui.

Il faut donc maîtriser la " culture ". La culture est la clé qui ouvre la porte du partage des valeurs et des idées. C’est ce combat là que nous devons reprendre. Il nous faut le faire en refusant de nous laisser imposer par la droite la hiérarchie des questions, en refusant de recentrer notre offre politique sur la demande de la France qui vote, en refusant le rabaissement de l’action politique à la satisfaction d’individualismes consuméristes. Notre bataille de reconquête doit se mener sur plusieurs fronts, sur nos valeurs collectives, progressistes, démocratiques, que rassemble l’idéologie qui est la notre, et que nous voulons porter au plus haut : le socialisme démocratique.

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I/ Le socialisme : l’égalité des droits politiques, économiques et sociaux, contre le libéralisme

 

Pour une économie au service de la société, libérée de l’hégémonie du capital

    Certains annoncent la fin du conflit capital/travail comme d’autres ont annoncé la fin de l’Histoire...

    « Le développement de l’intéressement et de la participation permettraient aux salariés de bénéficier de l’amélioration de la rentabilité du capital, l’essor des fonds de pension prolongeant cette harmonie au-delà de l’âge de l’activité »... Cette vision anesthésiante des rapports de force à l’œuvre dans la bataille pour la répartition de la richesse produite, cache une réalité beaucoup plus crue : sur les 20 dernières années, l’écart s’est entre détenteurs de capitaux et salariés s’est considérablement accru.

    Nous restons fidèles au constat fondateur du combat socialiste : il y a conflit d’intérêt entre travailleurs et détenteurs du capital. Certes, le « nouvel âge du capitalisme » en brouille les frontières, tant il a entraîné un affaiblissement des identités de classe, la dissolution du sentiment d’appartenance à un milieu, à une classe ou à une condition sociale. La montée de l’individualisme est perceptible par des revendications nouvelles, relatives à la qualification, à la demande d’intéressement personnel à la création de richesse, mais elle l’est avant tout par des formes nouvelles d’exploitation : précarisation, isolement du salarié, pression excessive, harcèlement et exigence irrationnelle de productivité.

    Face à cette dégradation, les discours résignés se suivent, faisant du social un saupoudrage, un cautère sur une jambe de bois, un « filet de sécurité » pour les moins bien armés dans la compétition.

    A l’inverse de cette logique, nous refusons de considérer l’économie comme un « champ interdit », que l’on ne pourrait aménager qu’à la marge. Nous pensons qu’une juste répartition de la richesse entre travail et capital est bonne pour la croissance, bonne pour l’économie, et pas seulement pour les salariés. Les exigences de taux de rentabilité du capital sont telles aujourd’hui, que le capitalisme en vient à vampiriser la vie des entreprises, tant il freine les investissements, les créations d’emplois, la recherche, toutes activités essentielles au bon fonctionnement de l’économie. Que l’on songe à toutes les fermetures d’entreprises saines économiquement, aux carnets de commandes pleins, rayées d’un trait de plume par des investisseurs qui ont estimé que leurs capitaux pourraient mieux fructifier ailleurs...

    Il faut cesser de croire que pour que l’économie fonctionne bien, les salaires doivent être bas, les horaires « souples », les embauches « flexibles » et les salariés « mobiles ». Il nous faut articuler notre vision du progrès social avec une ambition économique, pour une économie démocratisée, libérée du joug du pacte de stabilité et des contraintes de la BCE, une économie tournée vers la production de richesses justement réparties, une économie mise au service de la société, au lieu d’une société asservie par l’économie libérale.

Refonder le contrat social autour des valeurs collectives

    Parmi les questions que nous pose la défaite du 21 avril, la défection d’une grande partie de l’électorat populaire tient une place particulièrement importante car c’est celle qui touche le plus directement notre raison d’être et notre identité de socialistes. Car le socialisme n’a de sens - aujourd’hui comme hier - que si son projet de société porte l’espoir d’une émancipation du monde du travail.

    Contrairement à une idée reçue, les ouvriers et les employés continuent de constituer la grande majorité de la population active. Mais les ouvriers et employés d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Les mutations du capitalisme, le développement du chômage et de la précarité, les changements du travail lui-même et de son organisation, sont passés par là. La fin du communisme et l’incapacité des socialistes à protéger le monde du travail contre le développement de l’insécurité sociale aussi.

    Derrière la défaite électorale de la Gauche en 2002, il y a un considérable recul de la conscience d’appartenir au même monde et d’avoir une communauté d’intérêts face au capitalisme. Rien n’est plus important pour la gauche que de travailler à mettre fin au clivage entre « les uns », qui travaillent et en vivent mal, et « les autres », qui vivent, au mieux tout aussi mal, des revenus de la redistribution. L’enjeu politique mais aussi - et surtout - idéologique est là : reconquérir le terrain gagné par la progression du chacun pour soi.

    Le plein emploi doit rester la première de nos priorités. Il est la condition du vivre ensemble. Participer à la production des biens et des services, et en recevoir en retour un revenu, est une condition sine qua non de l’appartenance à la même société. C’est un enjeu social en dehors duquel la Gauche n’a plus de raison d’être.

    Il nous faut réaffirmer que tous les chômeurs sont des salariés privés d’emploi, qu’ils doivent tous pouvoir prétendre à en trouver un et qu’ils doivent, en conséquence, relever des mêmes institutions et des mêmes mécanismes sociaux. Il est tout aussi urgent de mettre fin à la distinction entre les politiques de développement économique et les politiques sociales. Aux uns les Chambres de commerce et d’industrie, la création d’emploi, la recherche et l’innovation. Aux autres la réparation des dégâts : l’action sociale, la lutte contre les exclusions, les associations d’insertion.

    La protection sociale constitue un outil de redistribution et de justice auquel nous sommes farouchement attachés. Sa réforme et son renforcement doivent passer par une démocratisation avec l’élection par tous les assurés des instances qui gèrent la sécurité sociale. Le système de santé ne soit plus uniquement reposer sur la rémunération à l’acte des professions médicales, son équilibre financier doit être assuré par une contribution encore accrue des revenus du capital. Enfin le paritarisme ne doit plus être l’apanage des seules organisations syndicales et patronales jugées après la seconde guerre mondiale, représentatives mais intégrer les nouveaux syndicats ainsi que les organisations mutualistes.

    Notre objectif doit être de permettre l’émancipation de tous dans le travail. Il s’agit de rendre tout leur poids aux garanties collectives liées au contrat de travail. En ce sens une de nos priorités doit être de défendre l’acquis des 35h face aux remises en cause violentes de la droite. Quand on accuse les 35h d’avoir dégradé le pouvoir d’achat des plus modestes, nous devons savoir dire qu’un lieu d’incriminer la loi , c’est à la faiblesse des salaires dans notre pays qu’il faut s’en prendre, car c’est elle qui oblige les salariés à recourir aux heures supplémentaires pour mener une vie décente. Le recours aux contrats précaires, la flexibilité, doivent être combattus : les 35h ne peuvent pas être un prétexte à la dégradation des conditions de travail.

Réhabiliter la puissance publique

    Si les citoyens doutent de la politique, c’est aussi parce que les politiques doutent de leur capacité d’agir. Le dogme libéral de l’impuissance publique a fait des ravages y compris parmi les représentants du peuple. C’est ainsi par exemple que des quartiers entiers paraissent laissés à l’abandon, et leurs habitants avec.

    La bataille culturelle est aussi à mener sur le front de la conception géographique, urbanistique, de la cité constituant l'espace public. Le développement d’espaces péri-urbains, sans contrôle et sans analyse démocratique profonde sur le rôle social et politique de l'aménagement de la cité, crée des territoires déstructurés par une approche fonctionnaliste " à l'américaine " (séparation des quartiers résidentiels, de travail et de commerce). Ces espaces sont ceux du consumérisme, de la voiture, de l'individualisme. Ces espaces participent de la destruction des rapports sociaux et donc de la dépolitisation de la société, que nous voulons combattre. Nous devons donner du sens et de la démocratie à un choix politique essentiel : Quelle ville, quels espaces pour vivre ensemble ?

    Le contrat social n’est pas une abstraction. Il s’enracine dans les manifestations de la puissance publique. Défendre le service public et l’étendre même à de nouveaux domaines, c’est assurer à chaque citoyen l’égalité d’accès aux droits et biens fondamentaux : sécurité, justice, éducation, santé, transports, eau, énergie, communication, avec pour objectif la péréquation tarifaire et la qualité du service rendu. Défendre, adapter et développer le service public, c’est s’opposer à la pensée libérale qui tend à véhiculer l’idée que seul le privé serait efficace et profitable aux citoyens et que le public serait, au contraire, coûteux et inadapté. Nous affirmons qu’il y a des biens publics qui ne peuvent, ni ne doivent être soumis à l’exigence de rentabilité, qui doivent être soustraits à la sphère marchande, car elle ne répond qu’aux besoins de court terme, et ne sait suivre qu’un l’objectif de rentabilité.

    Cette réhabilitation de la puissance publique doit se faire jusque dans le champs social. Il faut réaffirmer la loi comme norme dominante du droit du travail. Toute autre norme ne peut être que plus favorable aux salariés. Relancer la négociation collective est une priorité, qui doit passer par une révision des conditions de représentativité des syndicats et de signature d’accords collectifs. L’objectif est de renforcer les contre-pouvoirs des salariés, leurs moyens d’expression, de participation à la prise de décision, voire de contestation, via leurs représentants syndicaux. Les PME doivent être prioritaires dans la recherche de ces cadres de démocratie sociale. Concernant les licenciements, il s’agit de lutter contre la tendance des entreprises à ne chercher les économies que dans les réductions d’effectifs. A cet égard, les partenaires sociaux doivent voir leurs droits d’intervention renforcés jusqu’à pouvoir les bloquer.

Le socialisme est féministe

    Être socialiste, c’est être convaincu que la volonté politique peut enrayer les mécanismes « naturels » d’oppression et d’inégalités, c’est refuser « l’ordre naturel des choses », c’est vouloir porter un projet de société qui s’appuie dans ses fondements sur l’égalité, l’émancipation des hommes et des femmes. Nous voulons porter le projet d’une société où la mixité soit réelle, entière, voulue et pensée. Cette mixité doit être construite dans la sphère politique et domestique.

    La dimension féministe du socialisme n’est pas une matière à option : elle doit être inconditionnelle, transversale et spécifique à la fois.

    Beaucoup reste à faire dans les faits et dans les mentalités. La régression qui sévit en matière de droit des femmes s’attaque d’abord aux rôles sociaux, en première ligne le travail des femmes. Les femmes qui travaillent se voient culpabilisées, le temps partiel s’accroît, alors même que le travail est une question de survie pour les femmes, condition de leur autonomie financière et morale, de leur émancipation, de leur existence comme citoyennes.

    Cette bataille culturelle est aussi philosophique ; cessons définitivement d’entériner le cliché selon lequel les femmes font de la politique autrement, auraient plus de « douceur » et de « sens du concret ». Les comportements sont issus des normes sociales, et non d’un pseudo naturel féminin ou masculin. Nous considérons donc comme un enjeu culturel le fait de faire de l’accès des femmes aux responsabilités une question d’égalité et pas de complémentarité. Pour cela, il faut construire un projet éducatif de lutte contre les stéréotypes liés au sexe et d’apprentissage de l’égalité et du respect de l’autre.

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II/ Le socialisme : une éducation culturelle et citoyenne plutôt que des médias soumis à la loi des marchands

 

Les médias au service du capitalisme mondial ?

    Le combat pour la liberté d’opinion est un combat historique de la gauche. Dans l’opposition ou au pouvoir, la gauche s’est, de façon constante, toujours battue pour faire progresser les bases institutionnelles de la liberté de la presse. Il serait dangereux que la force de ses intentions dans ce domaine fléchisse aujourd’hui, parce que les enjeux seraient moins bien clairement perçus, alors que la situation présente des menaces réelles et croissantes pour les libertés publiques. Les campagnes électorales de 2002 en constituent une cruelle illustration : bilans d’action gouvernementale éludés, programmes exposés de façon lacunaire, organisation insuffisante de confrontations et de débats, recours démesuré aux sondages, accent excessif mis sur un thème et traitement superficiel de son analyse…Simple exemple, alors que le chômage avait été une préoccupation constante du débat public durant de très longues années, les conséquences de la mise en œuvre innovante d’une politique de réduction du temps de travail ont été ignorées.

    Du fait de l’exigence de court terme de l’information, les médias tendent à opérer un traitement biaisé du réel : vision des évènements toujours négative et catastrophiste, culte de l’ « image brute », sur valorisation du « fait divers » au détriment des évolutions de fond de la société, substitution du commentaire à la présentation des faits, dérives qui conditionnent profondément la vision du monde des téléspectateurs et ont des conséquences graves sur la formation de leurs opinions politiques. Cette situation est encore aggravée par l’exigence de rentabilité, qui mène au nivellement par le bas des programmes, au détriment de toute finalité culturelle ou éducative.

    La responsabilité de la gauche est de reprendre le combat pour la démocratisation de l’espace public. Aujourd’hui, le combat n’est plus à mener contre la menace de censure par le pouvoir d’Etat, mais contre l’emprise de grands capitalistes comme Bouygues ou Pinault-Printemps-La Redoute, qui détiennent à la fois le pouvoir économique et le pouvoir médiatique. Que l’on garde à l’esprit l’histoire italienne récente, pour comprendre les menaces qu’une telle situation comporte...

    La gauche doit se battre pour promouvoir un réel service public d’information, renforcer les obligations pesant sur les chaînes, en faisant en sorte que le CSA renforce son rôle de contrôle, et ne se contente pas d’être le simple arbitre de la libre concurrence entre les médias. Il faut également lutter contre la collusion d’intérêts, par exemple en limitant la participation de groupes bénéficiant de la réalisation de commandes publiques au contrôle d’activités médiatiques.

    Enfin, il est maintenant possible grâce à Internet de ne plus simplement " subir " l'information sélectionnée par les faiseurs d'opinion mais de se constituer son propre accès au savoir. Une de nos priorités doit être de permettre une démocratisation effective de l’accès à Internet.

L'éducation

    Dans un monde de plus en plus complexe, nous devons permettre à chacun de se doter des meilleurs outils pour comprendre. Certains voudraient que l’école se réduise à ses fondamentaux : lire, écrire compter. D’autres souhaiteraient ne lui assigner qu’une finalité économique. L’enjeu est aujourd’hui tout autre.

    L’éducation a pour mission d’émanciper des déterminismes culturels, économiques et sociaux , et de favoriser, par l’esprit critique et les capacités d’expression, une perpétuelle et large autonomie des individus. Il s’agit de doter les citoyens d’outils pour analyser et comprendre le monde. Repenser la laïcité s’inscrit dans cette optique. Cette laïcité s’inscrit dans un contexte nouveau et doit donc être renouvelée : il s’agit de promouvoir sans concession l’esprit critique face aux diffusions du modèle consumériste. A la fin du XIXème siècle, il fallait libérer les consciences des prêches du dimanche. Aujourd’hui n’est-il pas nécessaire de les libérer des nouveaux prêcheurs de la tranche horaire 19h00-21 H00 ? Impulser une mobilisation des consciences, s’interroger sur la marche du monde, sur le devenir de chacun plus que sur la mise en concurrence des marques et des logos : voilà aujourd’hui l’enjeu que doit relever l’éducation.

    L’éducation doit permettre l’acquisition de valeurs collectives : l’apprentissage des règles et de la citoyenneté, d’une culture commune, car l’école s’adresse à tous ceux qui demain formeront la société. Au moment où le repli sur soi semble être la valeur dominante, l’école doit être le fer de lance d’une reconquête de l’idée de collectif.

    Le système éducatif contribue à reproduire les inégalités existant dans la société : on assiste aujourd’hui à une stagnation, voire à une régression de la démocratisation de l’accès à l’enseignement et aux diplômes ! D’un côté, l’accès aux diplômes les plus prestigieux est de plus en plus réservé à une élite, qui détient un savoir « secret » ultra-discriminant, celui de « l’orientation » : elle sait quelles sont les bonnes filières, les bonnes classes préparatoires, les bonnes options…D’un autre côté, au moins 60 000 élèves sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme.

    Il faut s’attaquer au noyau dur des élèves en situation d’échec, en se donnant les moyens d’apporter à chaque problème que rencontre un élève une réponse adaptée. Certains tendent à penser qu’il existe des élèves « irréductibles » à l’acquisition des savoirs, qu’il faudrait exclure pour préserver les autres. Accepter cette fatalité, c’est renier l’exigence d’égalité. L’inégalité et l’acceptation du déterminisme commencent dans les têtes des enfants.

La culture n'est pas du Luxe

    Le goût, l’art et plus largement la culture sont largement, non pas révélation mais héritage et acquisition. La distribution inégale du capital culturel est inacceptable au même titre que l’inégalité sociale ou économique. Le Service public n’a pas seulement pour vocation de panser les plaies économiques et sociales vitales, il doit aussi se donner pour mission l’émancipation des individus et la construction collective du sens. Un service public de la culture favorise la création en reconnaissant le rôle des artistes dans la cité : interroger et transformer notre regard sur le monde, et permettre à chacun de développer son expression artistique et culturelle quels que soient sont origine ou son territoire.

    Aujourd’hui la culture est considérée comme un bien de consommation parmi d’autres. Les libéraux nous disent en effet que le marché a démocratisé les biens culturels, qui deviennent ainsi populaires et accessibles à tous. Certes la culture dominante n’est plus celle de la bourgeoisie mais celle de la télévision et d’Hollywood, c’est-à-dire celle de l’uniformisation, de la consommation, de la reproduction des rapports sociaux et non de l’émancipation. Le problème n’est pas l’existence de ce marché mais le fait que seuls peuvent s’en émanciper s’ils le souhaitent ceux dont le capital culturel leur permet d’avoir accès au théâtre et non seulement à Universal music. Un service public de la culture c’est donc la reconnaissance de toutes les cultures et l’éducation populaire qui permet de les faire circuler en dehors des rapports du marché.

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III/ Le socialisme : la justice plutôt que l’ordre libéral-sécuritaire

 
L’identité politique de la gauche démocratique française s’est forgée dans le combat pour la Justice. Contre la peine de mort, de Victor Hugo à Robert Badinter, contre l’arbitraire aux côtés de Dreyfus, contre la répression syndicale, les violences policières… Ces combats n’ont pas été menés par souci de plaire. Ce ne sont pas les sondages qui ont convaincu Zola, Jaurès et Blum de s’engager pour la révision du procès Dreyfus. S’ils avaient existé, ils n’auraient à n’en pas douter indiqué à ces illustres de rester chez eux.

Ce combat pour la Justice découle d’une vision morale et politique du monde : celle qui refuse de séparer ordre public et ordre social. Là où règne le désordre social, alors le désordre public ne peut que s’installer. Ceux qui veulent combattre le désordre, la violence, la délinquance ou quel que soit le nom qu’on lui donne sans combattre le désordre social sont ceux qui ont intérêt à ce que ce dernier perdure.

Ce n'est pas un hasard si ceux qui aujourd'hui portent le discours le plus dur sur les questions de sécurité semblent si bien s'entendre avec ceux qui se font les chantres d'une ambition politique soumises aux réalités du Marché. L'insécurité, comme l'insalubrité des logements, sont avant tout des conséquences du fonctionnement du libéralisme et des dégâts ainsi occasionnés au tissu social. Le discours sécuritaire n'est jamais loin du discours libéral, il en est la conséquence logique.

La naïveté du dernier gouvernement n'a peut-être pas été de croire que la baisse du chômage permettrait la baisse de la délinquance. La naïveté aura peut-être plutôt été de ne pas voir que le chômage n'était qu'un aspect des ravages du libéralisme dans notre société. La conséquence de ce manque de clairvoyance est de laisser aujourd’hui les socialistes désemparés face à l’offensive libérale-sécuritaire du gouvernement, au point de ne même pas relever que quand Nicolas Sarkozy dénonce les " droit-de-l’hommistes ", il ne fait rien d’autre que citer Le Pen.

Il n’y a aucune naïveté en revanche à défendre la police de proximité plutôt que la police-spectacle, aucune naïveté à réclamer que le lien hiérarchique entre police et justice soit renforcé, aucune naïveté à défendre la présomption d’innocence, aucune naïveté à rappeler qu’un mois de salaire d’éducateur coûte moins cher à la société qu’une semaine d’incarcération, aucune naïveté non plus à s’inquiéter que pendant qu’on fait la chasse aux mendiants, la brigade financière et le pôle financier du parquet de Paris sont privés de moyens.

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IV/ Le socialisme : la solidarité internationale plutôt que la mondialisation libérale

 

Les nouvelles frontières du socialisme démocratique : mondialiser la politique

    Les défis posés à ceux qui se réclament des valeurs de la gauche et du progrès social sont aujourd’hui incontestablement bornés par la mondialisation de la production, des échanges et de l’information. En quelques années, chacun a pris conscience de l’importance capitale des problématiques internationales et de leurs répercussions sur nos vies quotidiennes : travail, économie, environnement, terrorisme, corruption, culture… Dans le même temps, nos responsables politiques, au-delà de grands discours, n’ont pas pleinement pris la mesure de cette prise de conscience généralisée, et n’ont pas suffisamment adapté nos outils et nos réponses politiques, validant ainsi notre impuissance collective et la perte de sens de notre projet. Or dans leur immense majorité, nos concitoyens sont en attente de réponses à des problèmes globaux dont ils savent que les causes et les solutions dépassent les frontières nationales. Face aux défis du monde et à ces attentes citoyennes, les socialistes ont une responsabilité historique et planétaire dans la construction d’un nouvel ordre mondial qui présente une alternative à la logique de la mondialisation libérale.

    Il s’agit d’abord d’établir une autre hiérarchie des politiques publiques au niveau mondial. Aujourd’hui, les institutions financières demeurent indépendantes du système des Nations-Unies qui garantit la représentation égalitaire des Etats, et ne sont de ce fait pas soumises aux normes sociales et aux instruments juridiques qu’il édicte. De même, la marche du monde ne répond plus à des critères politiques mais à la seule puissance économique, dans la mesure où le G8 joue le rôle de directoire international et dicte sa loi aux organisations internationales. Cette situation sert incontestablement les intérêts de ceux qui ne souhaitent pas une régulation mondiale de l’économie, à commencer par les grands acteurs privés et certains pays emmenés par les États-Unis. Elle dessert les intérêts des pays en voie de développement mais aussi ceux qui tentent de concilier les impératifs sociaux avec la performance économique. Les réponses internationales à la mondialisation de l’économie sont donc aujourd’hui souvent injustes, inefficaces, contradictoires, et même souvent anti-démocratiques et impérialistes. Face à cette situation, les responsables gouvernementaux socialistes sont bien souvent muets et inactifs ; la lourdeur des processus de décision internationaux, les pressions américaines ou des institutions financières, les divergences d’intérêts (en matière agricole, de production industrielle ou de propriété intellectuelle notamment), anéantissent jusqu’à présent toute volonté politique globale et coordonnée des socialistes. Pourtant, chez les socialistes, l’internationalisme n’est en principe pas un vain mot !

    Il faut mettre comme première priorité des organisations internationales la satisfaction des besoins fondamentaux des populations les plus pauvres. L’annulation de la dette, le respect du protocole de Kyoto, l’établissement d’une taxation des mouvements de capitaux sont les combats que les socialistes doivent mener au niveau mondial pour être à la hauteur de leurs responsabilités.

L'Europe comme espace de lutte contre la mondialisation libérale

    Notre projet de « mondialiser la politique » passera également par une reconstruction de l’Europe. Il est temps pour les socialistes de prendre leurs responsabilités face aux dérives de la construction européenne. Au fil des années, force est de constater que le projet européen des socialistes a été réduit à la portion congrue. Chacune de nos priorités a été sacrifiée sur l’autel des « priorités » et de notre « esprit de responsabilité » : il fallait accepter le pacte de stabilité avant l’Europe sociale, accepter l’indépendance de la Banque Centrale Européenne pour assurer l’Euro, renoncer à un changement de priorités des politiques communautaires pour protéger nos « intérêts agricoles », circonscrire la politique de défense commune pour la rendre compatible avec l’OTAN, contenir les velléités de construire une politique étrangère européenne pour préserver la diplomatie française...

    Dernier avatar de cette logique : il nous faut accepter l’élargissement avant la réforme des institutions. Prochaine étape : il faudrait accepter que le projet institutionnel de la Convention débouche sur une Europe politique clairement intergouvernementale, qui négligerait toujours autant les principes démocratiques et s’éloignerait toujours un peu plus d’une Europe fédérale...

    La question est simple : combien de temps les socialistes pourront-ils accepter de sacrifier leurs convictions sur l’autel du réalisme et du consensus, au risque de rendre inaudibles leurs propositions qui ne sont jamais suivies d’effet ?

    C’est à cette question que nous devrons répondre dans le courant de cette année, tant par rapport à l’élargissement, que par rapport à la réforme des institutions. Nous sommes favorables à l’élargissement car il s’agit d’une dimension historique essentielle du projet européen, mais au prix du sacrifice de l’idée que nous nous faisons d’une Europe politique fédérale, démocratique et sociale. Mais nous devons réaffirmer notre volonté que cet élargissement s’accompagne d’une Constitution fédérale de l’Union, qui permette à tous les citoyens de se reconnaître et de s’exprimer enfin dans un espace politique démocratique et légitime.

    Nous devons également dire que cette Constitution devra être préalablement adoptée par référendum, et non pas ratifiée à la sauvette par le Congrès.

    Le PS devra amener le PSE à prendre position pour ou contre cette constitution et à mener la même campagne dans tous les pays. Notre conviction est que l’Europe va à sa perte si elle ne devient pas rapidement une véritable puissance politique.

    Pour que nos concitoyens se reconnaissent durablement en elle, nous devons proclamer la souveraineté des peuples unis, plutôt que de conforter un fonctionnement qui donne la part belle à une commission irresponsable et à des gouvernements honteux de leurs choix européens. C’est de démocratie dont l’Europe a besoin, non d’une meilleure « gouvernance ». Là aussi, il est temps de passer de la parole aux actes, et de ne pas rater les occasions historiques.

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V/ Pour un nouveau parti socialiste, au service de la reconquête culturelle et idéologique

 
Si le parti a perdu la bataille culturelle, ça n’est pas faute de combattants ni d’idées ; s’il a perdu, c’est qu’il n’a pas livré bataille notamment avant l’ultime bataille : la confrontation électorale. Le PS a déserté les marchés et les cages d’escalier. Depuis combien d’années le PS n’a-t-il pas mené une bataille d’opinion et de convictions ? Depuis combien d’années nos élus n’ont-ils pas mené une campagne autre qu’électorale ?

Nous sommes dans un parti qui a peur de la rue, qui a peur de la confrontation avec l’autre, qui se terre au lieu de partir à la conquête de nouveaux champs d’actions. Le parti doit imposer à nouveau sa contre culture, de solidarité, d’entraide, de défense des valeurs et des acquis du mouvement social. Pour être à la hauteur de cet enjeu, le parti doit s’enraciner dans les réalités sociales, et pour cela, être à l’image de la société : parité, mixité sociale, implication des couches populaires, sont les défis qu’il doit relever dans la période qui s’ouvre. Il doit devenir une « contre société », qui offre une nouvelle chance à ceux qui n’ont pas pu faire d’études, ni bénéficier d’un capital social et culturel important, en leur permettant d’accéder aux responsabilités politiques. Le parti doit à, nouveau permettre qu’un ouvrier devienne ministre. Il doit être à la hauteur de son rôle d’ascenseur social.

En ce sens, il faut interroger à nouveau l’ensemble des acteurs sociaux sur la réalité des engagements collectifs aujourd’hui. La victoire de l’individualisme n’a pas seulement vidé les partis et disqualifié l’engagement politique, il malmène toutes les formes d’engagements collectifs. Quand on questionne les associations et les syndicats, on sait que les problèmes qu’ils rencontrent sont semblables aux nôtres : augmentation de l’âge moyen des militants, refus d’un engagement autre que ponctuel, méfiance à l’égard des doctrines... Finalement, les cadres collectifs supposés neutraliser l’individualisation de la société intègrent eux même les modifications comportementales provoquées par l’atomisation sociale. Quel syndicat ne met pas en valeur les « services » possibles dont l’adhérent pourra faire usage ? Quelle association n’assure pas que l’adhésion est « souple » et l’engagement « à la carte » ? Il ne s’agit pas de condamner la volonté de préserver sa vie privée des empiètements sociaux, mais force est de constater que l’ensemble des organisations collectives est aujourd’hui composé d’un noyau de militants surinvestis et débordés.

C’est donc bien avec l’ensemble du monde associatif et syndical qu’il faut reposer les bonnes questions. Si nous voulons valoriser l’engagement collectif comme un moyen d’éducation alternatif à l’élitisme libéral, il nous faut oser un partenariat clair avec tous ceux qui luttent pour plus de démocratie et de justice sociale, quel que soit leur champ d’action. L’ensemble des acteurs de l’éducation populaire par leur intervention en direction de la jeunesse font partie des partenaires privilégiés d’une telle ambition.

Il nous faut aussi savoir regarder, sans peurs, le neuf là où il s’épanouit avec bonheur. Les nouveaux militants, notamment ceux de l’alter-mondialisation, semblent plus souvent que nous réussir à lier une certaine modernité militante et une réelle résonance dans la société. Il est essentiel, plutôt que de stigmatiser leur radicalité incompatible avec nos « responsabilités de parti de gouvernement », d’entrer en dialogue avec ces mouvements qui ont régénéré le militantisme de gauche durant ces dernières années.

En fait, il s’agit de savoir si nous sommes prêts à penser l’engagement politique comme un tout global, qui permette d’éduquer, d’agir, de penser autrement que selon les canons de l’individualisme libéral. Pour notre part, nous y sommes prêts.

Contribution présentée par Nouvelle Gauche et :

Hicham Affane membre du Conseil national, Essonne  Claude Bosom membre de la commission nationale des conflits, Paris  Corinne Bord membre de la Commission nationale de contrôle financier, Hauts-de-Seine  Gwenegan Bui membre du Conseil national, Paris  Jean Patrick Gille membre du Conseil national, premier secrétaire fédéral d'Indre-et-loire  Olivier Girardin délégué national  Paul Goosens délégué national  Benoît Hamon membre du Conseil national, Essonne  Cécile Jonathan membre du Conseil national, Indre-et-loire  Régis Juanico membre du Conseil national, Loire  Delphine Mayrargue membre du Conseil national, Nord  Hugues Nancy membre du Conseil national, Paris  Jean François Noël délégué national  Emmanuelle Prouet membre du Conseil national, Paris  Pernelle Richardot membre du Conseil national, Bas-Rhin   Jérôme Saddier membre de la commission nationale des conflits, Rhône  André Viola membre de la commission nationale des conflits, Aude



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