L'alignement sur le moins-disant social se paiera très cher à terme

Jean-Luc Mélenchon



Entretien avec Jean-Luc Mélenchon, co-animateur du courant Nouveau Monde, paru dans l'hebdomadaire Le Point daté du vendredi 6 juin 2003
Propos recueillis par Aude Rossigneux
 

En Allemagne, Gerhard Schröder vient de faire adopter sa réforme des retraites par le SPD. Qu'en pensez-vous ?
C'est une très mauvaise nouvelle ! Le socialisme européen semble devenu incapable de résister à la pression du libéralisme. En plus, ici, la décision a été acquise par un chantage à la démission qui achève de désarmer moralement le SPD. Mais j'espère que les salariés allemands n'ont pas dit leur dernier mot.

Pourquoi ce qui est possible en Allemagne ne le serait-il pas en France ?
Parce que ce n'est pas souhaitable ! Ce genre de question n'est posé que pour proposer de généraliser les reculs sociaux, jamais pour étendre les conquêtes... L'alignement sur le moins-disant social se paiera très cher à terme. Voyez la situation morale et matérielle de nos malheureux voisins britanniques et l'état de l'économie productive de leur pays !

Certains socialistes réclament une réforme des retraites et dénoncent l'immobilisme d'une frange du PS...
Vraiment ? Ce serait jouer avec les mots ! Mais de qui parlez-vous ? Je n'ai rencontré aucun socialiste de cette sorte au congrès du PS, où chacun pouvait s'exprimer librement. Ni nulle part sur le terrain, ces temps-ci ! En fait, ce sont des socialistes de papier : ils n'existent que dans les journaux !

Y a-t-il une malédiction de la réforme en France ?
La réforme ? Quelle réforme ? La réforme libérale de la République française ? J'espère bien qu'elle échoue totalement ! Car c'est cela, le sujet, aujourd'hui ! L'identité nationale des Français est faite de conscience sociale, de service public, d'égalitarisme vigilant, de désir d'Etat efficace et protecteur, de méfiance à l'égard de l'argent gagné autrement que par un travail bien fait. Ce républicanisme quotidien est profondément ancré chez nous. Les gens ont parfaitement compris que le projet de société des libéraux consiste à tout transformer en marchandise : la santé, l'éducation, la retraite, le vivant et ainsi de suite ! Ils sentent donc que se joue quelque chose de décisif en ce moment. Aucune habileté politicienne ne peut espérer les prendre par surprise ! M. Raffarin vient du Parti libéral. Il parle donc en connaisseur quand il dit qu'il est temps pour un gouvernement de droite de remporter une victoire sociale s'il veut appliquer tout son projet. C'est bien une confrontation très dure qui a été programmée.

Croyez-vous, à plus long terme, à un blocage complet, notamment sur la question de l'éducation ?
Je le crains, hélas. Car, dans tous les domaines, c'est le même objectif marchand qui est en vue. Quand les gens s'en rendent compte, c'est un tollé général. Dès lors, chaque goutte d'eau peut faire déborder le vase... En matière d'éducation, beaucoup de gens découvrent qu'au-delà des conflits classiques de la question scolaire en France s'avance à l'échelle internationale une idée incroyable : transformer aussi les savoirs en mar-chandises ! Il est vrai que leur acquisition représente une dépense supérieure à celle consacrée à la santé dans les pays avancés ! Dès lors, tous les mots d'hier changent de sens : autonomie des établissements, décentralisation se présentent comme les chevaux de Troie du projet libéral. Qui ne le comprend pas ne comprend rien au mouvement actuel. Comme ministre de l'Enseignement profes-sionnel, j'ai souffert de voir mes propres amis passer à côté de cet enjeu. En particulier, les mandarins de droite et de gauche ont le même mépris de caste face au travail dit « manuel ». Ils ne savent rien du haut niveau des savoirs fondamentaux prérequis dans une économie avancée. Ils ne comprennent donc rien à l'enjeu que représente la défense de notre système public de qualification contre la pacotille de savoir en miettes vendue sous le nom de « certificat de compétences » par les entreprises d'enseignement anglo-saxonnes. La valeur du travail de demain se joue aussi dans la défense de l'éducation nationale républicaine. Bref, la question sociale occupe tout le devant de la scène. C'est donc l'heure des caractères...

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