Pour un débat argumenté

Jean-Luc Mélenchon
Intervention de Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne, lors du conseil national du parti socialiste, le 9 octobre 2004.


 
Chers camarades,

je crois que nous sommes tous pénétrés du sentiment de l'importance de notre débat pour l'idée socialiste en France et en Europe comme pour la France elle-même. Et je crois que cela nous crée un devoir individuel : celui de faire réussir le referendum militant. Car si nous réussissons à faire la démonstration qu'un grand parti peut avoir un débat de cette nature, aussi poignant dans ses conséquences, de manière civilisée, alors nous ferons reculer la bêtise, l'ignorance et l'habitude de se prosterner devant les puissants dans tous les partis.

Cela nécessite d'abord que nous ayons un débat argumenté. Pardon de vous dire que je préfèrerais, à l'étape à laquelle nous sommes, que nous ne nous contentions pas, qu'elles qu'en soient les facilités et souvent l'agrément, des formules générales qui reflètent la permanence de nos convictions les uns, les autres d'un débat du Conseil national à l'autre. Je souhaiterais que l'on se réfère à cet instant au texte de la Constitution elle-même. C'est déjà tellement compliqué, Camarades, pour tant d'entre nous qui n'avons peut-être pas fait les études juridiques qu'on aurait dû faire. Il y a 488 articles, dont 317 qui traitent de politiques particulières ! Il faut être aidé à lire et à comprendre et être confronté à des rédactions précises pour pouvoir faire preuve de raison critique et prendre sa décision personnelle.

Ensuite, je souhaiterais que le débat soit hiérarchisé entre ce qui est le principal, répondre oui ou non a la Constitution, et ce qui est subordonné (je n'ai pas dit subalterne) toutes les autres questions, incluse celle de la Turquie. En effet, sur ce point, je voudrais vous dire que, pour ma part, j'y réponds différemment selon qu'on aura adopté cette Constitution ou qu'on l'aura refusée.

Car si l'on a adopté cette constitution, alors il est clair que les Turcs ne seront là que pour servir de masse de pression au dumping social et fiscal de l'Europe, ce qui ne serait pas nécessairement le cas dans le cadre d'une autre Constitution.

Enfin, je demande que l'on respecte la cohérence du texte Constitutionnel si cela est possible, et sans vouloir aucunement donner la leçon à personne. En effet, on ne peut pas prendre un aspect du texte et le dégager de son contexte général.

Aussi, chers camarades, serait-il souhaitable que vous cessiez de changer d'avis sur la nature de ce qu'est ce texte : tantôt un règlement intérieur, tantôt un traité constitutionnel, parfois une Constitution.

Pour ma part, je pense que c'est une Constitution qui a cette caractéristique de n'avoir été édictée par aucune constituante et donc sans le peuple, ce qui est le premier des reproches que je lui fais.

La construction européenne, enfin, doit être mise à sa place. Les formules lyriques d'après lesquelles celle-ci ferait partie de notre identité sont certes très séduisantes, chaleureuses, intéressantes, mais n'ont pas de rapport avec la réalité. La construction de l'Union européenne a été entreprise de bien des manières au cours de l'histoire depuis le début de notre ère. Les Romains ont commencé les premiers, et chacun dira que ce n'était pas exactement de même nature que celle qu'ont entrepris nos pairs après 1789 ou celle qu'ont voulu faire les nazis ou je ne sais qui encore, au fil du temps.

La construction de l'Europe, du point de vue des socialistes, est un moyen en vue d'un certain nombre d'objectifs dont nous ne demandons pas la réalisation immédiate, mais dont nous demandons qu'aucun texte ne nous empêche de vouloir poursuivre le combat pour les atteindre et pour pouvoir nous avancer vers eux.

Quel est notre investissement socialiste dans la construction européenne ? Il porte sur trois questions : la paix, le développement social, l'extension de la souveraineté populaire.

La paix, chers camarades, a deux aspects, et je demande qu'on ne les dissocie jamais : la paix civile et la paix internationale.

La paix civile ? J'estime que ce texte de Constitution, en instaurant pour toujours cette fameuse concurrence " libre et non faussée ", jette les peuples les uns contre les autres, oppose les travailleurs d'un pays à l'autre. Mais je laisse de côté à cet instant ce sujet. La paix civile, je te dis, chère Elizabeth, que, quand la laïcité est mise en cause, la paix civile n'est pas garantie. Et j'estime que la laïcité est mise en cause parce ce texte.

Ainsi, lorsqu'à l'article 1.52, il reconnaît le dialogue permanent avec les églises. Je voudrais seulement vous lire l'article : " Reconnaissant leur identité et leur contribution spécifiques, l'Union maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ses églises et organisations. " Vous vous esclaffez ?

Mes chers camarades, à cet égard, nous butons sur une confusion qui est vient de loin dans ce parti. La laïcité n'est pas la neutralité ! Ainsi la Constitution française ne reconnaît aucune religion, ni leur identité, ni leur existence ! Car, si vous ne faites pas la séparation entre la sphère privée et la sphère publique, la sphère publique devient tyrannique car elle s'impose dans la sphère privée sur des questions où elle n'a pas sa place ! C'est pourquoi cette dissociation est absolument indispensable.

Et ainsi encore à l'article 2.70 ! Dans la Constitution française il n'est pas prévu que l'on ait le droit, ce droit prévu à l'article 2.70 ou la reconnaissance des religions " implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement en public ou en privé par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites " !

Chers camarades, dès lors que cela aurait une valeur constitutionnelle, ce qui n'était pas le cas précédemment, qui s'imposerait à la Constitution française, alors toutes les lois qui feraient obstacle à la manifestation publique des rites ne seront plus constitutionnelles. Et cela aboutit non seulement à quelque chose qui choque notre liberté de conscience et notre philosophie de la vie, mais à une grave division de la classe ouvrière elle-même car le communautarisme et la religion divisent la classe ouvrière, comme l'ont montré au dernier forum social mondial les dirigeants des syndicats indiens qui rappelaient à quel point le communautarisme des castes était ennemi de l'union de la classe ouvrière.

Entre laïcité, égalité sociale et union des travailleurs, c'est un tout, figurez-vous !

Deuxième point : la paix internationale. Je veux évoquer deux arguments. Le premier concerne les coopérations renforcées. Je vous renvoie explicitement à l'article 3. 416. Chers camarades, nous n'avons été en guerre avec les Finlandais, les Suédois, les Lettons, les Estoniens que de manière indirecte en relation avec une autre guerre, celle qui explique les motivations de ceux qui ont fait le choix de la paix et de l'Europe : c'est la guerre avec les Allemands. Tout ce qui contribue à l'union avec les Allemands est bon, tout ce qui nous sépare des Allemands est mauvais. Tout ce qui ralentit notre rapprochement avec les Allemands est mauvais, tout ce qui nous oblige à leur tourner le dos est mauvais.

Chers camarades, il n'y a qu'une manière de se rapprocher pacifiquement, c'est d'augmenter les coopérations renforcées avec les Allemands.

Or, à cet article 3.416, il est prévu que pour qu'il y ait une coopération renforcée, il faut qu'elle comporte un tiers des pays membres, Donc neuf aujourd'hui, c'est-à-dire plus qu'il n'y en avait au début au premier traité de Rome où il n'y avait que six parties prenantes au traité. Là, il en faut neuf !

Deuxième blocage : il faut que la Commission ait accepté la proposition de coopération renforcée proposée par neuf membres.

Troisième pallier, il faut que le parlement se prononce ! Et une fois que le parlement s'est prononcé, il faut à nouveau que le Conseil donne son accord. C'est-à-dire qu'on a rendu d'une difficulté extrêmement extraordinaire toute tentative de rapprochement d'intégration politique plus grande avec les Allemands. Ceci est un mauvais coup donné à la paix et à la fraternité avec les Allemands.

Ensuite, dans la politique étrangère, oui ou non à l'article 1.141, importons-nous tous les conflits de l'OTAN à l'intérieur de l'Europe ?

La réponse est oui puisque les obligations liées a l'appartenance a L'OTAN sont rendues constitutionnellement prioritaire sur les objectifs et politiques de défense de l'Union Européenne. Nous savons, compte tenu de ce qu'est l'OTAN dans les mains des Américains, quelles aventures cela nous prépare.

J'achève sur le développement social. Du fait de l'article 212, la charte est elle opposable aux droits nationaux s'ils sont inférieur à la charte ? Oui ou non ? La réponse est claire : cette charte n'est pas opposable ! Et par conséquent, cette constitution ne sert à rien aux travailleurs qui voudraient s'en réclamer.

Ensuite, l'harmonisation sociale, articles 3.207 et 3.210. Il est écrit que dans les lois-cadres les harmonisations restent interdites. C'est même la seule chose qui est précisement interdit dans cette Constitution ! Je le lis pour qu'on ne vienne pas dire que j'invente : " article 3.207 : la loi ou loi-cadre européenne ne comporte pas d'harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres "..

A l'article 3.210, " la loi ou loi-cadre européenne peut établir des mesures destinées à encourager les coopérations entre les États membres par des initiatives visant à améliorer les connaissances, à développer les échanges d'informations et de meilleures pratiques à promouvoir les approches novatrices et à évaluer les expériences, à l'exclusion de toute harmonisation de dispositions législatives et réglementaires des États membres. "

Par conséquent, il est tout à fait clair que cette Constitution interdit l'harmonisation sociale et fiscale pour laquelle nous nous battons depuis si longtemps. Et si par hasard, nous avions une majorité d'accord avec nous pour l'imposer quand même, ce texte permettrait à une seule personne de s'y opposer et de ruiner le sens de notre combat.

Voyons à présent, le dernier élément après la paix et le développement social. C'est l'extension de la souveraineté populaire. Toute cette affaire de Constitution est une immense opération de confiscation de la souveraineté populaire.

Nous tous, démocraties qui constituons cette Europe, nous avons tous fait nos constitutions avec des constituantes. Sauf cette fois-ci. Est-il prévu que le pouvoir du peuple s'exprimant par ses représentants dans le parlement s'étende ensuite ? Non ! Il est toujours subalterne à celui de la Commission et à celui du Conseil des ministres.

Par conséquent, ce n'est pas un texte démocratique ! Je pense qu'en disant non, oui, nous créons une crise salutaire parce que nous confrontons tout le monde à la réalité de dispositions dont finalement, je me demande si beaucoup les ont lues avant d'approuver ce texte !

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