Il ne faut pas que les européennes défassent les régionales

Jean-Luc Mélenchon
Intervention de Jean-Luc Mélenchon, co-animateurs du courant Nouveau Monde, lors du Conseil national du Parti socialiste du 3 avril 2004.


 
Chers amis, chers camarades,

Je vais tâcher de me montrer à la hauteur de la fonction apéritive qui revient au dernier orateur, en plaidant pour que peut-être une plus grande équité dans l’usage du temps de parole donne davantage de confort à chacun d’entre nous.

Je commencerai d’abord par cela. Est-ce que ce ne serait pas un paradoxe qu’on discute pendant six mois de la défaite, et seulement pendant six heures de la victoire ? Est-ce qu’il y aurait davantage à apprendre des défaites que des victoires ? Je ne le crois pas, car celle-ci est tellement ample, tellement profonde ! Quand on parle d’une vague, il faut le voir dans son sens physique : ça part du fond du sol et ça arrache tout. Ils ont été liquidés, balayés, roulés, anéantis dans des dizaines de cantons et des régions dans lesquelles ils n’imaginaient même pas que quelqu’un de gauche puisse tenir le haut du pavé.

Il y a beaucoup à apprendre de cela. Car si vous ne prenez pas la vague, ce n’est pas Michel, grand marin, qui va nous dire le contraire, c’est elle qui vous prend.

Il y a donc des sottises auxquelles il faut renoncer. Et en particulier, je crois qu’un certain nombre d’ambiguïtés, je vous le dis comme je le ressens, ne seront plus supportées. Quelques habiletés ne sont plus de saison devant la leçon numéro un de cette élection : le peuple français ne veut pas du libéralisme. Il n’en veut pas !

Que ce peuple soit électeur traditionnel de la gauche ou même qu’il soit électeur d’une certaine droite, qui elle aussi a besoin de sa retraite, qui elle aussi a besoin du service public de santé, etc., etc. ; et qui croit à la force de l'État parce que c’était aussi une tradition que notre peuple tout entier partageait lorsqu’il créait le CNRS, le CEA, et combien d’autres institutions qui ont été les leviers de la recherche et du génie français.

Alors, depuis la défaite, voici la première suggestion que je fais à partir de laquelle peut-être des réflexions sont possibles. Depuis la défaite du 21 avril, est-ce que l’état d’urgence politique dans lequel nous étions abaissés, du point de vue de la France, je dis, non. Pourquoi ?

Parce que ce qui était la racine de l’instabilité, c’est-à-dire le décalage immense entre d’une part l’attente sociale, d’autre part la représentation politique, cet écart s’est creusé. Non seulement il y a comme un fait la victoire que nous voulons de remporter, mais il y en a un deuxième, c’est qu’après cette victoire le Président de la République, qui est l’homme qui a fait 19 % au premier tour sur une ligne politique, 80 % au deuxième tour, revient après une défaite, et dit : « Moi, je ne change rien ! »

Par conséquent, l’instabilité profonde qui fait que les Français ne peuvent pas se reconnaître dans ce système institutionnel est toujours à l’œuvre. Donc, toutes les mécaniques à l’œuvre vont s’amplifier et le bras de fer continue, à cette différence près que nous avons la main, et c’est ce qui change tout, et en tout cas à mes yeux. Du point de vue de ce que je peux me dire comme homme de gauche réfléchissant à ma contribution au combat commun, change tout ; dans ma façon personnelle aussi de voir la suite des événements.

Peu de temps nous sépare d’une autre rencontre avec le suffrage universel, et Julien Dray a complètement raison de dire que nous sommes entrés dans les logiques du temps court.

Il ne faut pas, chers camarades, puisqu’il faut bien parler de stratégie politique, il ne faut pas que l’élection européenne défasse le résultat de l’élection régionale. C’est ça l’urgence : il ne faut pas qu’ils nous envoient au tapis, il ne faut pas que nous nous y envoyions à l’élection européenne. Et pour cela, il faut donc prendre quelques mesures de bon sens me semble-t-il, et c’est là-dessus que s’achèvera mon intervention.

Premièrement, s’il est vrai que les Régions ne peuvent pas tout, qui va dire le contraire ? Frêche a raison, Emmanuelli tout autant, lorsqu’il décrit les limites de cette illusion. Mais elles peuvent en tout cas nous aider à signifier quel est le camp que nous représentons sur la question qui préoccupe tous les Français, le camp social. Eh bien, en matière de gestion des Départements, nous avons un moyen de le signifier : disons que nous n’appliquerons pas le RMA dans les départements que nous dirigeons, et vous verrez que nous serons compris.

Tout à l’heure, on a dit : « Nous refuserons toujours et toujours la privatisation des services publics, et en particulier celui de la Sécurité sociale. » Alors, à la tête des Régions, je vous signale maintenant que nous en avons vingt-et-une, que nous sommes co-décisionnaires institutionnellement de toutes les politiques de formation professionnelle, aussi bien publiques que privées, alors disons que nous n’accepterons pas la privatisation de l'Éducation nationale qui était contenue dans les politiques d’Éducation nationale louant principalement aux CFA privés la formation professionnelle de la jeunesse de France. Rappelons-nous que la moitié de chaque génération est dans cet enseignement professionnel, rappelons-nous que ce sont les enfants des ouvriers et du peuple qui a besoin de nous et qui ne peut compter que sur nous. Nous pouvons faire beaucoup en disant que nous refusons cette privatisation et qu’à partir de l’action de nos Régions c’est nous qui allons organiser la deuxième chance. C’est nous qui allons organiser la fluidité des parcours pour les enfants du peuple qui, étant sortis de l’enseignement secondaire professionnel, veulent accéder à l’enseignement supérieur professionnel. Nous pouvons le faire, c’est dans nos moyens, et alors, nous changerons concrètement la vie et l’avenir de ce pays.

Troisième point, disons que puisque la droite a élevé le niveau des marchés publics qui sont soumis à la compétition que vous connaissez, que du moins pour tous ceux qui sont en-dessous de ce plafond, chaque fois qu’il y aura un service public, les gestionnaires de gauche déclarent hautement et fortement que, lorsque quelque chose est mis et nécessaire, nous ferons d’abord et préférentiellement appel au service public, et que nous ne le mettrons pas en compétition avec le service privé. J’espère que je me suis fait comprendre. C’est une manière claire et concrète de dire que nous allons défendre le service public.

J’en viens maintenant à la question européenne elle-même. Tant de choses pourraient être dites à cette heure-ci. Il faut se limiter. Je vais vous dire une chose, le redire plus directement et plus nettement que l’a déjà fait à travers une image, a assez plaisante, Henri Emmanuelli tout à l’heure sur la constitution Giscard. Je ne sais pas comment vous allez vous y prendre. Je sais bien que nous ne sommes pas en harmonie de vues sur le sujet. Mes camarades, si vous dites que vous êtes pour la Constitution, nous sommes perdus car la vague qui refuse le libéralisme refuse tout en bloc, inclut cette constitution dont notre peuple a senti qu’il en était la concrétisation.

Je pense que nous n’avons pas à dire que nous sommes pour la constitution Giscard, nous sommes pour la constituante.

Et si nous sommes pour la constituante, nous tirons la leçon de ce qui vient de se passer, les Français veulent intervenir dans leurs affaires, ils veulent contrôler leur destin, cela s’appelle la démocratie, et en France la République plus particulièrement. Donc le mot d’ordre de la constituante, il faut qu’il soit présent dans notre programme car c’est par ce moyen-là, je crois, qu’on sort du sifflet dans lequel on veut nous enfermer.

Le deuxième, c’est que c’est à nous, à nous les socialistes, de porter une idée simple, c’est qu’en Europe nous allons être les héros d’une bataille, celle des critères de convergence sociaux, qu’après les critères de convergence économique qui nous ont asphyxiés nous allons vouloir les critères de convergence sociaux qui permettent une harmonisation sociale par le haut du vieux continent. Car alors on retrouvera la double adhésion, par le social et par la démocratie des peuples qui constituent cette Europe, et en particulier du peuple républicain de la France.

Et le troisième élément, c’est évidemment le modèle de développement, non pas seulement du point de vue de ce que nous en attendons par rapport à l'environnement, mais comme cela a été dit par plusieurs orateurs. Et je demande qu’on n’y voit pas un productivisme effréné, mais qu’on comprenne que c’est le quotidien de nombreux Français.

Une politique industrielle, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous savons faire, que nous sommes capables de faire. Si nous ne le faisons pas, ou si nous nous contentons à avoir une critique pure ment superficielle du modèle économique qui se construit sous le libéralisme, nous ne comprenons pas la manière dont les peuples s’impliquent dans leur propre développement, par le savoir, par la technique, par la science, par le savoir-faire, qui sont les raisons par lesquelles tous les êtres humains s’assemblent les uns envers les autres pour se rendre service et manifester leur utilité sociale à travers le travail. C’est un fondamental de la vie humaine qui n’a rien à voir avec ce que les libéraux peuvent raconter.

Nous venons d’être rendus héritiers d’un immense rapport de force. Certes, nous l’avons mérité, mais nous ne pouvons limiter notre ambition pour l’avenir à la modestie d’en être les héritiers. Nous en sommes les dépositaires. Un rapport de force nous a été confié. Il ne faut pas qu’il se défasse, nous devons l’amplifier, et cela ne se passe pas dans cent ans, cela se passe dans deux mois avec l’élection européenne.


Page précédente Haut de page
PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]