Pourquoi j'aime Fabius

Jean-Luc Mélenchon


Entretien avec Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l'Essonne, paru dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur daté du 22 septembre 2005
Propos recueillis par François Bazin

 

Vous voilà fabiusien. Pourquoi ce choix, étonnant quand on se souvient des attaques virulentes que vous lanciez contre lui, il n'y a pas si longtemps ?
Convergence n'est pas allégeance. La politique crève de la personnalisation ! Rien de tel ici. La motion commune avec Fabius est le fruit d'un raisonnement politique froid. Les chefs d'Etat européens ont renvoyé la clôture du débat sur la Constitution de l'Union à la fin 2007. Juste après notre élection présidentielle. Comment un candidat socialiste peut-il espérer l'emporter - et même figurer au second tour - sans être en phase avec les aspirations de l'électorat de gauche ? Le non du 29 mai est donc un acte fondateur. Tout en découle. Seul un candidat issu du non peut être élu en 2007.

Donc, Fabius parce qu'il n'y a que lui !
Au PS, c'est une évidence. Qui peut croire à l'émergence d'une autre candidature crédible, venue du camp du non, d'ici à la désignation de notre champion, en novembre 2006 ? Les circonstances font les destins.

Vous ne vous posez jamais la question de la sincérité de Fabius ?
Sonder les reins et les cœurs au PS ? Vaste programme. Je crois surtout aux actes. Fabius en a posé un - et de taille ! - en faisant campagne contre la Constitution européenne. Depuis il l'a confirmé : c'est sur cette voie qu'il entend entraîner le PS et la gauche. Moi, je prends ! La gauche a assez perdu de temps. Mais à propos : quelle est la sincérité des présidentiables du oui ? Aujourd'hui, ils s'unissent pour barrer la route à Fabius. Demain, une fois le congrès passé, ils s'étriperont sans vergogne en affichant soudainement des différences insondables. Bonjour l'hypocrisie !

Fabius s'est rallié à vos thèses ?
Je suis capable de m'entendre avec lui sans cela ! Mais il a changé, c'est sûr. Comme beaucoup de socialistes, Fabius a longtemps cru que la mondialisation était un phénomène globalement positif. Il a constaté, à l'expérience des faits, que c'était un phénomène globalement libéral. Il en a tiré les conséquences. Tant mieux.

Pour gagner en 2007, il faudra rassembler. Le bon candidat pour le PS n'est-il pas celui qui saura dépasser le oui et le non ?
Tout dépend comment. Où est-il ce fameux candidat du dépassement ? Les cinq présidentiables du oui n'ont jamais dit que pour eux cette Constitution était morte et enterrée. Ils n'ont pas abandonné l'espoir de la faire revivre après 2007. A l'inverse, parce qu'il vient du non, notre candidat incarne le message du 29 mai. Les électeurs savent qu'il refusera la ratification de la Constitution et proposera un nouveau processus constituant. De cette façon Fabius permet une sortie par le haut de la crise qui divise le PS. Il permet aussi de clore la querelle avec le reste de la gauche.

Tout se jouera donc au congrès du Mans ?
Hollande et ses amis prétendent déconnecter le congrès et la désignation du candidat. Bobard ! Strauss-Kahn et d'autres viennent d'ailleurs de manger la consigne en déclarant que ledit candidat sortirait nécessairement des rangs de la future majorité. Moi, je veux parler cru. Le Mans est un congrès stratégique. C'est l'équivalent du congrès de Metz en 1979. Mitterrand l'a gagné contre Rocard. Deux ans plus tard, il était président.

La gauche du non est aujourd'hui plus dispersée que jamais...
Les grands chocs politiques produisent toujours des effets de souffle qui, dans l'instant, dispersent. Souvenez-vous de l'après-68. Et puis vient le temps de la décantation: 1971 et Epinay, 1972 et la signature du Programme commun.

Il a fallu plus de dix ans à Mitterrand pour faire le chemin que Fabius doit parcourir en dix-huit mois…
Aujourd'hui, nous connaissons la route. C'est un sacré gain de temps.

A la gauche de la gauche, Fabius ne fait pas l'unanimité. Cela s'est vu à la Fête de l'Huma !
Le contraire aurait été miraculeux ! Pour renouer les liens distendus à gauche, il fallait accepter un contact physique et oser la confrontation intellectuelle. Si un dirigeant du oui avait accepté de débattre à la Fête de l'Huma, comment aurait-il été accueilli ? Je vous fais un dessin ? Pour créer une dynamique de victoire en 2007, il faudra que le PS renonce à l'arrogance. Or que dit sa direction à l'électorat de gauche ? Primo : vous avez été stupide le 29 mai. Secundo : vous n'aurez pas d'autre choix à la présidentielle que de voter pour le candidat du oui que nous aurons choisi pour vous. Si l'on veut un autre 21 avril, continuons comme ça.

Fabius c'est le candidat de la rupture ?
En tout cas c'est le candidat de la fidélité. Notre électorat ne demande pas la lune ! Il aspire à une vie plus douce. Mais il ne suivra pas ceux qui lui conseillent la résignation. Le projet de ceux qui se sont rassemblés autour de Fabius est celui de la République jusqu'au bout ou, pour le moins, aussi loin que possible. C'est un projet raisonnable, non ?

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