Déclaration de Jean-Luc Mélenchon lors du Congrès national de Grenoble du Parti socialiste


 Discours prononcé le samedi 25 novembre 2000.
 

Amis et camarades, la France est singulière. Elle est à rebours de la normalisation culturelle et politique qui gagne le monde et cette singularité est sa force.

Sa force. Cette singularité qui nous vient de la démonstration que nous faisons par les actes, oui, par chez nous, le progrès social, l'intérêt général, la loi et la citoyenneté républicaine qui en est la racine commune sont un chemin que la gauche française maintien ouvert pour l'espoir et sous le regard de tous dans le monde avec nos services publics, notre école pour tous, notre sécurité sociale, notre laïcité, nos 35 heures, notre Code du Travail et tout ce qui révulse les récitants du libéralisme et quand de tous les côtés de par le monde, il n'est question que de contraire martelé sans relâche. Rebelle opiniâtre ou républicaine, voici la France de retour au premier rang de l'espoir qui est mis en elle par les peuples.

Progrès social et progrès économique vont de pair par chez nous et nous prouvons que le premier est le secret du second, à bon entendeur, salut.

Cette singularité, nous la tirons d'abord, bien sûr, des moyens que nous nous sommes donnés dans notre histoire récente. Passent les calomniateurs et les tireurs dans le dos, voici la vérité des vingt dernières années : au cœur du pire hiver libéral, les gouvernements de François Mitterrand ont protégé notre peuple du pire qui leur était pourtant promis, comme à quelques-uns de nos voisins. Et c'est pour cela qu'en dépit de toutes les souffrances de ces interminables années de chômage de masse universel, le mouvement social en France a conservé la force de rester un acteur à part entière du rapport de force politique, jetant à terre un après l'autre, chaque fois qu'il s'en présentait, trois premiers ministres de droite.

A présent, Lionel Jospin a ramené le pays sur le chemin du plein emploi - ce flamboyant printemps du peuple populaire qui ne peut vivre que de son travail et qui en est fier - revoici donc venu le temps où les têtes se sont redressées. Les bouches s'ouvrent de nouveau pour réclamer leur part de l'immense richesse qui n'a pas cessé un seul jour de s'accumuler dans un déséquilibre indécent jusqu'au point où l'on a pu constater à notre retour en 1997 que la part des salaires dans la valeur ajoutée avait été ramenée au pourcentage où elle se trouvait en 1960, comme s'il n'y avait eu ni mai 1968, ni mai 1981.

Cette singularité sociale à son tour se prolonge dans la pluralité de la gauche.

Enfin cette singularité de la France, de son peuple se prolonge ici même dans cette salle du Congrès du Parti socialiste, parti central du Gouvernement en exercice. J'en conviens, singularité peut être plus particulièrement marquée au moment où c'est moi qui m'exprime

C'est ici la deuxième idée que je veux mettre en partage. Je sais bien que l'on se complaira, ici ou là, à ne regarder ce Congrès qu'au prisme des sensibilités qui l'agitent parfois dans nos coulisses, mais à la vérité, il se passe ici quelque chose de bien plus profond et, je le crois, d'unique dans toute la social démocratie internationale. Partout ailleurs, un débat est clos, parfois même cadenassé. C'est le débat central concernant le rapport du mouvement socialiste au processus de la mondialisation libérale. Partout ailleurs, on a conclu, et parfois de façon très servile je le dis, que le mouvement socialiste ne pouvait rien contre la dynamique du nouvel âge du capitalisme.

Dès lors, reproduisant l'ancien schéma qui a fait toute l'efficacité du réformisme dans le cadre national, tout au long du 19ème siècle et pour une bonne partie du 20ème siècle, ce serait en s'inscrivant dans la globalisation que de nouveaux compromis seraient accessibles. En concédant aujourd'hui sur l'un, on se rattraperait demain grâce à l'autre, l'intégration politique.

C'est ce que nous avons fait en Europe pendant vingt ans.

Dans le nouvel âge du capitalisme, cette thèse est une illusion meurtrière. Et d'ailleurs, nous en voyons l'effet : jamais la social démocratie n'a dirigé autant de gouvernements de par le monde et jamais elle ne s'est montrée aussi impuissante à faire valoir les objectifs et les attentes de ces mandants contre son adversaire dans l'histoire.

Dans le nouvel âge du capitalisme, compte tenu de ses caractéristiques spécifiques, l'intégration économique ne se fait exclusivement qu'à la condition de la désintégration de la régulation politique. Toujours plus de clients, à condition qu'il y ait toujours moins de citoyenneté, voilà leur pente.

Mais un autre regard, et j'attire votre attention, peut être porté sur la réalité de notre temps. Il distingue alors un formidable point d'appui, car en même temps que se fait la globalisation, un autre processus s'opère, c'est celui de la socialisation croissante de l'humanité. C'est un fait radicalement nouveau. Cette humanité est toujours plus nombreuse. Braudel nous a appris ce que les nombres valent en la matière. Cette humanité est toujours plus urbaine, toujours plus salariée et son mode de production la place en déséquilibre croissant dans son écosystème jusqu'au péril extrême. Il faudra qu'elle réagisse.

Au total, une humanité toujours plus étroitement et individuellement interdépendante émerge. Cette socialisation croissante de l'humanité nous intéresse. Elle confirme notre pronostic sur l'histoire. Elle dégage une énergie, des revendications, des modes de vie, dont les valeurs, les objectifs et les finalités sont celles auxquelles le mouvement socialiste sait répondre.

Voilà donc l'alternative. Ou bien accompagner la globalisation, ou bien accompagner la socialisation. Vouloir la seconde n'est possible qu'en rompant avec les logiques de la première.

Les socialistes français laissent dans les faits la question ouverte, voilà ce qui est unique.

Ce congrès, si j'en juge par le texte de la majorité, ne ferme pas le débat. Et si j'en juge par le score des gauches, je suis certain que ce n'est pas demain la veille qu'on le fermera à son détriment.

Dans cet espace des choix, parmi nous, les uns - la majorité - s'orientent d'après ce qu'ils jugent être le possible. Les autres - les gauches - s'orientent d'après ce qu'ils montrent comme le nécessaire et l'urgent. Dans cette alternative, car c'en est une, la synthèse ne se décrète pas, elle se constate. Et le stylo ne sera pas tenu par les cent paires de mains qui seront réunies ce soir dans la commission des révélations. Non, non Lionel, j'arrive à maîtriser mes lapsus... J'ai un bon maître. L'arbitre est dans la vie, dans la société, dans ses mouvements, dans la force qui s'exprimera ou non, croissante ou non, à mesure que s'identifiera toujours mieux dans la conscience de tout un chacun ce qui s'est levé à Milhaud, à nouveau à Seattle quand la panique de la vache folle deviendra de la lucidité sur la cause entièrement politique de ce désastre sanitaire venu d'Outre-Manche libéral, de même pour l'Erika, l'Evoli-Sun et tout le reste qui sont et restent des questions politiques.

Parce qu'il ne s'est pas enfermé dans un choix dogmatique sur cette alternative essentielle, parce qu'il ne s'est pas enfermé dans un choix définitif, le socialisme français reste poreux à la société. Lionel Jospin l'a prouvé dans les responsabilités qui sont les siennes. Les messages de notre peuple sont entendus. Pardon de cette immodestie, mais je m'en sens un modeste exemple. Il y en a qui n'ont pas compris, Lionel, mais ce n'est pas grave.

Voici venu le moment de la troisième idée à proposer.

Nous allons faire un programme à partir de nos débats de ces trois jours. Je voudrais dire qu'un programme politique ne vaut que par sa culture de référence. La motivation de nos électeurs est toujours plus large que les revendications et les attentes ponctuelles dont ils se réclament. Droite et gauche sont des cultures avant même que d'être des programmes, je n'en fais pas davantage la démonstration : chacun trouve dans l'histoire de sa vie intime la démonstration de ce que je viens de dire.

La bataille politique est une bataille culturelle, droite et gauche sont des cultures avant d'être des programmes. Il nous importe de savoir comment se porte notre culture de référence et il nous revient de la faire vivre, de l'entretenir par la parole, l'exemple et les décisions.

J'estime qu'il y a urgence à parler clair. D'abord, il faut faire vivre sans ambiguïté l'héritage des Lumières. Nous affrontons les obscurantismes. Nous ne composons avec aucune de ses formes, même dans les habits neufs d'un certain millénarisme prétendument écologique.

Je n'ai pas l'intention de revenir ici sur les fondamentalismes religieux ou nationalistes, la cause est entendue entre nous. Je veux affirmer que le socialisme est intrinsèquement lié au progrès des sciences, de la technique, du savoir dans tous les domaines et que c'est bien de ce côté qu'il attend des renforts décisifs pour régler les grandes questions et les défis immenses qu'il faudra résoudre avec le seul outil dont nous disposons, notre intelligence.

Le dire, c'est rappeler à la raison les milliers d'hommes et de femmes que la panique, surtout quand elle est entretenue par des affoleurs publics de très haut niveau, conduira tout droit à des peurs non maîtrisées qui sont le terreau des pires régressions dans lesquelles il n'y a rien de bon à prendre pour le socialisme ni pour la France.

Le dire, c'est incarner en politique la vocation de millions d'ouvriers qualifiés, de techniciens, de chercheurs, dont l'intelligence et le savoir-faire d'élite sont le métier même, qui sont disponibles eux-mêmes pour contester la dénaturation qui est faite de leurs talents dans les finalités amorales de la course au profit, pour peu qu'on leur tienne le langage de la confiance qui est la condition du courage.

Portons ensuite comme une culture d'altruisme concret, de morale individuelle, de responsabilité, que le travail est notre valeur de référence. Le travail, la qualification professionnelle, le mérite par l'intelligence et l'étude, le travail par opposition aux valeurs mensongères, vulgaires, dérisoires, immorales que distillent à longueur de journée ceux qui exhibent en modèles les fortunes vite faites, les singes savants des coups de bourse à domicile, les illuminés du virtuel, qui savent pourtant mieux que personne, quand il s'agit de leur porte-monnaie, que le virtuel commence et finit par le réel.

Parler ce langage, c'est faire cause commune avec 8 millions d'employés, 6 millions d'ouvriers, 5 millions de techniciens et de cadres intermédiaires, avec 60 % de la population de ce pays qui fait son métier.

C'est dire que vont d'un même tenant les mots de la culture des Lumières et ceux du travail.

De la République comme idéal avant d'être une institution, je laisse chacun déduire ce que j'ai à dire autour de cette idée.

Ceux qui ont été capables de faire vivre, une et indivisible dans un seul et même peuple, la diversité des Catalans et des Bretons, ont trouvé la formule dans l'histoire qui permettra demain de faire vivre ensemble des Bavarois et des Basques : c'est la République. C'est le seul souverainisme qui vaille, il ne faut pas l'abandonner aux mains de ceux qui en ont fait un nouvel habillage du nationalisme. La République, c'est l'horizon de l'Europe, c'est la cause de notre génération, sauf à se résigner à l'impuissance qui marche aujourd'hui et nous menace d'un marché sans aucune autre valeur.

Camarades et amis, voici mes derniers mots. J'ai dit avec les mots de la passion, comme vous me connaissez, et que vous appréciez même parfois ce que d'autres de mes proches amis ont dit avant moi et qu'ils vont dire ensuite encore mieux dans les termes de la démonstration argumentaire. J'ai dit que la France est forte, j'ai dit que son peuple républicain est disponible pour de grandes causes, que le socialisme français peut élargir victorieusement la brèche qu'il a lui-même ouverte dans le mur que le libéralisme semblait avoir dressé et pouvoir tenir clos.

J'ai dit qu'il nous faut être à la hauteur de notre Patrie dans le temps qui est la cause de l'émancipation humaine, l'autre mot pour dire le socialisme.

Regardons-nous, regardons notre peuple. Voici la force, voici l'énergie, elles peuvent tout emporter.

Lionel, dans le défi qui est ton devoir, il ne te manquera ici aucun dévouement pour que tu puisses faire de tout cela la parole de la France elle-même, au bénéfice de ce monde que notre génération va changer.

Je dis pour conclure ce que Condorcet a proclamé pour nous tous comme notre devoir d'homme et de femmes libres : " On fera davantage de choses quand on en croira moins d'impossibles ".


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