Socialistes, tendez la main aux autres !
Congrès de Dijon - 17 mai 2003

Discours de Jean-Luc Mélenchon, co-animateur du courant Nouveau Monde
Tribune du Congrès de Dijon


 
Chers camarades,

notre réunion de Dijon conclut un si long cycle de débats que je ne crois pas nécessaire d’en reprendre le détail des arguments.

Un vote est intervenu, il a été acquis démocratiquement, sa décision est donc pleinement légitime. Il n’a jamais été question d’autre chose et nous apprécierions que l’on s’interdise à l’avenir qu’à chaque congrès, dès lors qu’il y a débat, on veuille faire passer le débat pour la division et la division pour la scission. Je le dis par loyauté au parti qui représente aujourd’hui l’essentiel des forces de la gauche, en responsabilité pour que nous n’ajoutions pas un psychodrame à la situation déjà si fragile de la gauche dans ce pays.

Je le dis parce que, si la situation avait été inverse, j’aurais attendu que vous aussi vous manifestiez la même loyauté, si c’était le cas aujourd’hui, et quand ça le sera demain. Car, camarades, si un vote fournit une décision, il n’est pas en son pouvoir de forcer une conviction. Et les convictions, pour autant qu’elles soient tenues avec pugnacité et ténacité, finissent par rencontrer les circonstances et c’est tout le mal que je vous souhaite concernant l'avenir de Nouveau Monde.

Il en est ainsi parce que l’ancrage de Nouveau monde n’est pas conjoncturel, il est inscrit dans une tradition profonde et ancienne du mouvement socialiste qui demeure la jeunesse du monde, votez ce que vous voulez, ironisez tant que vous voulez sur le socialisme des ruptures, il n’empêche que j’ai adhéré au Parti socialiste et avec moi des milliers d’hommes et de femmes parce que je ne crois pas que le capitalisme soit la fin de l’histoire, parce que je n’aime pas ses valeurs, parce que je n’aime pas le monde qu’il crée, parce que je crois à la solidarité, parce que je crois d’abord au partage et que ces raisons sont partout en recul dans le monde et que le devoir d’une conscience socialiste est d’éclaircir le chemin au lieu de l’obscurcir, d’aider à lever la tête, à combattre, à changer le monde plutôt qu’à laisser entendre qu’on ne peut rien contre lui. Parce que Nouveau Monde n’est pas limité à ses frontières actuelles, d’autres regroupements interviendront, parce qu’il n’est pas résumé par le courant socialiste qu’il exprime, il vit en osmose avec cette gauche qui vit dans la société, altermondialiste, mouvementiste, oui et aussi cette gauche qui, lorsqu’elle ne se sent pas représentée par le Parti socialiste, vote à l’extrême gauche et n’en a pas honte.

De la sorte, le meilleur service que nous puissions rendre à notre parti et au combat que nous engageons, c’est de rester ce que nous sommes dans notre loyauté au mouvement socialiste, mais dans notre irréductible identité d’anticapitalistes.

Au demeurant, chers camarades, nous ne prenons pas nos repères dans nos débats, nous les prenons dans le contexte global qui s’impose à nous. Et dans ce contexte au moins trois éléments ont modifié radicalement le contexte dans lequel se déploie l’action socialiste, premièrement la victoire d’une forme particulière du capitalisme sur toutes les autres, la financiarisation galopante de l’économie, une tendance irréductible à tout transformer en marchandises est quelque chose qui prend à revers la vieille stratégie social-démocrate, c’est que ce socialisme-là ne peut plus trouver ses marques face à un capitalisme qui est irréductiblement hostile aux formes de régulation collectives par la démocratie, la citoyenneté, la loi et le contrat. Si bien…, et ce n’est pas moi qui l’ai écrit, qu’il faut, pour le réformer, lui appliquer des méthodes qui n’étaient pas hier celles des réformistes.

Le deuxième élément, c’est la chute du mur de Berlin et donc la possibilité pour l’unilatéralisme américain de se déployer, nous parlons d’unilatéralisme parce que c’est la formule qui aujourd’hui permet de ne plus dire impérialisme qui serait peut-être trop connoté, mais il n’empêche que cela en est et qu’avec ce système c’est tout un modèle civique, citoyen, économique qui est propulsé à l’échelle du monde entier et ce n’est pas un hasard si au moment où s’exerce cette forme de capitalisme, nous trouvons que la première puissance du monde a pour premier acte de balayer d’un revers de mains les décisions de la seule instance collective qui existe à l’échelle de la planète qu’est l’ONU.

Eh oui, alors, à partir de là, nous sommes pris à revers et c’est à cette question stratégique qu’il faut répondre, il ne suffit pas d’un mot pour le faire : comment construire, reconstruire une stratégie socialiste capable de proposer de retournements de situation face à ce que met en place le nouvel âge du capitalisme ? Notre stratégie en Europe, zone des pays les plus avancés du monde, c’était la construction de l'Union européenne. Allons-nous passer sous silence qu’ayant eu le pouvoir dans treize pays sur quinze nous ne sommes arrivés à rien ? Pourquoi ? Est-ce que c’est une trahison de ceux qui dirigeaient, comme l’analyse très simple, si elle se partageait entre traîtres et purs ?

C’est la faillite d’une certaine orientation, et c’est avec elle qu’il faut marquer ses distances. C’est pourquoi dès maintenant il faut envoyer le signal fort que nous sommes un parti européen, bien sûr, mais un parti réellement fédéraliste parce que nous voulons de la régulation citoyenne. Mais on ne nous prendra plus au piège de nos bonnes intentions, de notre loyauté qui fait qu’à chaque fois qu’on nous parlait d’élargissement sans nous donner la compensation de la régulation démocratique, et que plus on élargit, moins on approfondit et plus on se trouve à avoir mis nous-mêmes en place la machine politique qui nous broie et qui va contre nos objectifs.

Camarades, le socialisme n’a que deux outils pour lui : premièrement, la claire conscience qu’il est capable de construire parmi ceux qui ont besoin d’avoir une claire conscience des causes pour lesquelles ils souffrent et pâtissent. Si vous ne voulez pas que ce soit l’extrême droite qui fasse avaler au bon peuple que son problème n’est pas le social, la feuille de paie, la répartition des richesses mais le racial et le confessionnel, alors il faut dire haut et clair que le problème central de toutes les sociétés, c’est le modèle de répartition de la richesse qui trie les uns avec les autres crée ou ne crée pas la misère, crée ou ne crée pas la solidarité. Je ne fais que dire le b.a.-ba du socialisme. Pourquoi est-on contraint de devoir le dire si fort dans notre propre enceinte ?

Alors donc d'abord, les idées claires

Deuxièmement, notre point d'appui c'est la société engagée, motivée, mobilisée, le mouvement social. Et nous sommes aujourd’hui, non pas dans la comparaison académique de thèses sur le modèle de socialisme que nous voulons, mais dans une lutte réelle en France comme dans tous les pays où les libéraux ont gagné, ils commencent par une grande confrontation sociale, ils veulent qu’à notre chaos politique suive un chaos social. Ils avaient besoin de nous mettre KO politiquement pour nous mettre KO socialement. La partie qui se joue sur la question des retraites n’est pas une question technique, n’est pas une question comptable, c’est une question politique. Si nous sommes enfoncés, alors c’est tout un modèle de société qui sera enfoncé. Un puissant mouvement social s’est levé, le socialisme doit l’épouser, il doit faire cause commune avec lui et ne pas lui chipoter son soutien ni son adhésion.

Il y a quelques jours, nous n’étions pas dans le haut risque de novembre et décembre 1995, nous étions dans les effectifs de mobilisation qui ont été ceux de novembre et décembre 1995. La partie est engagée et quelqu’un doit gagner, il faut que ce soit nous qui gagnons. Depuis, nous avons reçu un mauvais coup puisque le front syndical s’est rompu.

Est-ce que le mouvement social aura la force de dépasser cette division provisoire ? Tout l’enjeu est là. Alors il faut que parte du congrès socialiste un message clair : la lutte continue ! Nous irons à la manifestation, nous sommes fiers et heureux d’accueillir Bernard Thibault parce qu’à cet instant, avec l’UNSA, la FSU et FO, ils incarnent la résistance de notre peuple à la mise aux normes libérales.

Adressez ce message en toute clarté au peuple de France et vous verrez qu’à la mi-mai nous aurons retourné la situation si nous sommes capables de mettre en mouvement les masse profondes du peuple qui ne veut pas de ce système car ce qu’ils mettent à l'ordre du jour, c’est qu’on travaillera plus longtemps, on mourra donc plus vite, on souffrira davantage et on sera moins payé. Voilà la vérité de leur système et tous les arguments comptables et techniques n’en sont pas.

Il faut que j’aille à ma conclusion. Si nous adressons des reproches à ceux qui ont rompu l’unité syndicale et que nous espérons de toutes nos forces que le mouvement surmonte cette division, alors il faut aussi balayer dans notre cour. Le socialisme a la mission d’incarner le combat unitaire. En politique, les mathématiques sont une science étrange : 1 plus 1, ça fait 3 ; 3 moins 1, ça fait 0, et ça se voit dès le premier tour.

Il faut l’union et nous devons être unitaires pour un, pour deux, pour trois, pour quatre, pour cinq. Le socialisme est unitaire, c’est un socialisme unitaire sans exclusive.

Je m’amuse de vous avoir entendus ici ou là me dire que je vous proposais de vous mettre à la remorque de l’extrême gauche. Pauvres petits, à la remorque, moi ? Allons ! Est-ce que c’est mon orientation politique qui a permis l’émergence de l’extrême-gauche ? Est-ce que ce sont mes élus qui ont signé des parrainages si j’en crois ce que dis Georges Frêche ? Pas de leçons !

Il faut tendre la main de tous côtés, sans exclusive

Mes camarades, les plus anciens parmi nous ont fait l’union de la gauche quand le Parti socialiste était à 12 % et les communistes à 20, et la droite distribuait des tracts en disant : « Les rouges vont les dévorer tout crus et les chars de l’armée rouge sont à 24 heures de Paris. »

Alors maintenant on va se faire peur avec la bicyclette de Besancenot ? C’est une plaisanterie !

En attendant, et que le message soit entendu, il existe parmi les socialistes un courant unitaire Nouveau monde qui ne repousse personne et qui mènera le combat loyal pour le faire comprendre à tous. Tendez la main ! Socialistes, tendez la main aux autres ! Tendez la main et que celui qui ne veut pas la saisir en prenne la responsabilité, mais ne prenons pas, nous, la responsabilité de diviser la gauche !

Chers camarades, on parle de synthèse, c’est le jeu de cons par lequel se conclut inévitablement un système dans lequel tout le monde sait que la synthèse, comme il a été dit avant moi, a déjà été faite. Et c’est bien normal et je ne vous le reproche pas.

La synthèse qui intéresse Nouveau Monde, c’est que le Parti socialiste fasse synthèse avec la rue, qu’il en porte les espérances, qu’il en exprime le message, qu’il renouvelle l’alliance du socialisme avec le peuple au service duquel il est et non l’inverse.

Chers camarades, quelque chose dans le socialisme français est unique dans toute l'Europe et le mouvement socialiste mondial. Nous sommes premièrement le parti le plus libre, cette liberté ne s’use que si on ne s’en sert pas. Il est donc juste et bon d’exprimer son point de vue en toute franchise car, dans ce parti démocratique, on n’encourt aucun risque à le faire.

Deuxièmement, dans les conditions qui sont celles de notre époque, et en particulier de la France républicaine, République avec laquelle se confond l’identité nationale des Français, la lutte sociale et la lutte républicaine sont une seule et même chose : tant que nous défendrons le système des retraites par répartition sans transiger, alors nous défendrons la République elle-même et son principe d’égalité. Lorsque nous protestons contre la décentralisation déclinée en provincialisation d’Ancien régime de la France, nous défendons l’unité et l’indivisibilité de la République sur le continent comme en Corse. Ainsi, la lutte sociale et la lutte républicaine sont les deux phases d’une même réalité. Il est noble et grand de l’incarner à visage découvert et jamais le peuple français ne nous en fera le reproche.

Je vais quitter cette tribune en souhaitant que, quelle qu’en soit la forme, on trouve les moyens de s’adresser à la France qui bouge, à la France qui veut combattre, pas à celle qui est déjà résignée.

Il faut que la France sociale fasse plier la France d’en haut parce que la France d’en haut, c’est la France de la haute, d’un système où un Premier ministre peut oser parler de la France d’en bas sans se rendre compte peut-être de l’immense stigmatisation qu’il produit parmi le peuple français mais qui lui paraît à lui être de l’ordre de la nature.

Mes chers camarades, je quitte la tribune comme j’y suis venu. Je crois qu’un nouveau monde est possible parce qu’il est nécessaire et, quand on sait où on veut aller, il est rare qu’on n’y arrive pas, sauf à être assez stupide pour se priver soi-même des moyens d’y parvenir.

Et je vous propose d’y aller en faisant feu de tout bois de ceux qui sont les instruments du socialisme, des idées claires, du courage, de l’enthousiasme, du rassemblement et une volonté inflexible de changer l’ordre des choses.



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