Alternance
ou alternative

Louis Mermaz
Louis
Mermaz

 Contribution générale au congrès national de Dijon du Parti socialiste présentée par Louis Mermaz (Isère), André Laignel (Indre), Élisabeth Vinot (Paris), Jean Bourdier (Isère), Dominique Roullet (Indre), Arlette Gervasi (Isère), Daniel Buna (Paris),William Seemuller (Var), Erwann Binet (Isère), Mari-Carmen Conesa (Isère), Orod Bagheri (Isère)..
18 janvier 2003

 
Le Congrès du parti socialiste se tiendra à un moment où les événements du Golfe et de l'Orient pèseront lourdement sur l'avenir. Face à la monté des périls, notre pays doit peser de toutes ses forces en faveur de la paix. Mais est-ce vraiment la volonté du gouvernement actuel et de sa majorité qui au demeurant, sur le plan intérieur, conduisent une politique de démantèlement des acquis sociaux de ces dernières années ?

Défendant le bilan de la période 1997-2001, faisant aussi le constat de ce qui a manqué, il nous faut prendre la dimension d'une société dominée par le marché. Nous devons nous ressaisir, mais tout autant appeler nos concitoyens à se ressaisir.

Le parti socialiste est la principale force d'opposition. Il doit combattre et proposer selon une logique qui s'opposera sans équivoque à la mondialisation déferlante. Pour cela nous avons besoin d'alliés, en France et dans le monde. L'Europe, si elle change, peut être un levier de transformation.

Au mouvement socialiste de prendre des initiatives dans la fidélité aux meilleures périodes de son histoire et d'aller à nouveau de l'avant.



Notre pays subit aujourd'hui une politique rétrograde, comme il en a rarement connue. Mais le gouvernement Raffarin procède avec d'évidentes précautions, qui prolongent l'anesthésie de l'opinion publique depuis le printemps dernier. Aussi ne se rend-elle pas encore compte de ce qui se met en place. L'activisme sécuritaire dont les résultats sont pourtant bien faibles sert aussi à occulter de graves régressions sociales.

Une opposition résolue

La législation du travail, comme les mesures élaborées au cours des vingt dernières années, visaient à adoucir les conséquences de la montée accélérée du libéralisme. Elles ont subi en quelques mois des brèches importantes. Les conséquences commencent à se faire sentir : recul prononcé des politiques de l'emploi, alors que la croissance s'étiole et que le nombre des licenciements augmente, abandon des emplois jeunes et des dispositions d'insertion sociale, démantèlement des 35 heures, suspension d'une partie de la loi de modernisation sociale, diminution des budgets de l'éducation nationale, de la recherche, de la culture, mise en cause de la pérennité des services publics, menaces grandissantes sur les libertés, ce qui hélas ! pour le moment n'émeut pas beaucoup de gens, transfert de charges sur les collectivités locales sous couvert d'un projet de décentralisation inégalitaire et bientôt risque de démantèlement des régimes de retraite par répartition. Comment ne pas sentir que le débat sur les retraites pose un lourd problème de société et met en cause de façon fondamentale le statut des travailleurs, la place de l'homme face à la production ?

Tout cela contraste fortement avec la politique de progrès social suivie par le gouvernement de Lionel Jospin : nos concitoyens ne tarderont pas à en prendre conscience, quelle que soit l'intensité du camouflage opéré par la propagande gouvernementale.

Quant à la diplomatie française, elle souffre d'une absence d'initiatives dans la construction de l'Europe, - qui tranche avec le rôle joué par la France au temps de François Mitterrand. Elle souffre du suivisme qu'on redoute dans le traitement américain de l'affaire irakienne.

Le Parti socialiste doit se faire entendre, y compris sur le front des libertés et des droits de l'homme battus en brèche par les premières lois sur la justice et la sécurité, qui vont bafouer la présomption d'innocence et instaurer une justice d'exception contre les pauvres. Son rôle n'est pas de compatir aux difficultés que va rencontrer le gouvernement Raffarin. Elles seront la rançon du système économique et social au service duquel il se destine. Nous sommes dans l'opposition. Nous n'avons pas à nous comporter en conseillers. Nous devons combattre sans complexe.

Face à une autre société

De même le retour sur un passé récent doit nous donner la fierté de ce que nous avons réussi ensemble. Il doit aussi nous prémunir contre des lacunes et des erreurs évidentes.

Articles de presse et livres ont analysé les causes des échecs récents : la division de la gauche plurielle, la féroce absurdité des attaques provenant de nos partenaires, la faible mobilisation de notre électorat désorienté par l'absence d'appel, d'entrée de jeu, à la défense des valeurs et des propositions qui fondent l'identité des socialistes, une soumission à l'obsession sécuritaire cultivée par le principal candidat de la droite, etc…

L'action gouvernementale au cours des cinq années précédentes a comporté des imperfections, même si l'on sent fortement le poids des différences avec ce qui se passe aujourd'hui. Malgré les avancées sociales, il n'a pas été prêté assez d'attention au sort d'une grande partie du salariat, à l'explosion du travail précaire, à la montée de la pauvreté, au sentiment de frustration de beaucoup d'enseignants blessés par un discours injuste, à l'aggravation de la situation dans les hôpitaux qui s'est amplifiée depuis une dizaine d'années, parce qu'on n'a pas su anticiper le manque de médecins et d'infirmières. Au regard de l'évolution de la société française qui voyait les écarts de revenus s'accroître, avec d'un côté l'envolée des stocks options et de l'autre la flexibilité du travail et la stagnation des petits salaires, ce qui a le plus manqué aux hommes et aux femmes de gauche, c'est une mise en perspective de l'action quotidienne, un sens, un projet, une explication d'ensemble, un dialogue, des échanges, un espoir de changement. Devant ce vide, le sentiment d'insécurité a pris des proportions démesurées et envahi le champ des consciences.

Mais les socialistes doivent-ils pour autant se couvrir la tête de cendres et entonner on ne sait quel chant de repentance ? La responsabilité du 21 avril n'est-elle pas largement partagée ? Beaucoup de gens (de toute catégorie sociale) ont dispersé au premier tour leur vote sur tel ou tel candidat issu de la gauche plurielle dont ils savaient qu'il ne pouvait en aucune façon accéder à la présidence de la République. Ou bien ils se sont abstenus. Dans les deux cas pour protester contre une désillusion, voire une défaillance de la gauche. Ces électeurs ont-ils réfléchi aux risques qu'ils faisaient prendre à leur camp? Et que dire à ceux qui ont voté pour le Front national ou se sont égarés à l'extrême-gauche ? Il est temps d'interpeller tous ceux-là plutôt que de raser les murs en leur présentant des excuses dont ils n'ont cure. Le consumérisme, l'individualisme, l'égoïsme, l'incivisme pèsent de plus en plus sur la vie en société, donc également sur la vie politique.
Est-on sûr que le comportement de certains au volant de leur voiture ou dans la vie courante n'ait pas son prolongement dans l'isoloir les jours d'élection ? Mais comme le moralisme n'a jamais conduit à rien, sinon à des formes de répression stériles, voire cruelles, notre rôle est plutôt de nous interroger sur les causes de cet état de fait. Pourquoi cette désertion du militantisme syndical ou politique, ce repli sur soi, bien que des minorités de gens donnent beaucoup d'eux-mêmes dans la vie associative ? Et pourtant, elle aussi, est en crise.

Au cours des vingt dernières années la société a beaucoup changé, ce qui a induit des comportements différents. La domination grandissante du marché a façonné l'espace et le temps. Les banlieues des grandes villes se sont parfois transformées en ghettos. Le communautarisme est né de la pauvreté et des discriminations. Il a accentué l'isolement de l'ensemble des habitants des cités. L'abstention ou le vote Front national se sont propagés dans des secteurs où la gauche était jadis ultramajoritaire. Au même moment une fraction notable des classes moyennes a plongé dans la société de consommation et de loisirs : l'individualisme, la quête du confort personnel, l'apolitisme se sont répandus ici comme aux États-Unis et dans la plupart des pays développés. Une partie importante de la population tend à remettre en cause la distinction entre la gauche et la droite. Elle se détourne de l'engagement politique. Elle fluctue dans ses votes au gré des circonstances et des humeurs du moment. La télévision exerce une influence certaine sur l'évolution des mentalités. Le discours des politiques, à travers la consultation des sondages, tend à se caler sur la moyenne des opinions, ce qui entretient une grisaille générale.

Le triomphe du marché

Le citoyen, lui, renonce à une partie de ses droits et devoirs. Il considère que son sort dépend largement des forces économiques et financières. Il en appréhende la puissance à travers les périodes d'expansion ou à travers les crises boursières et les vagues de licenciement. Alibi commode à son abdication ? Très certainement. Mais depuis 1982, date du grand tournant, le marché n'a-t-il pas étendu sa suprématie sur le monde entier, causant les ravages que l'on sait dans les pays pauvres et gonflant les poches de pauvreté dans les pays développés ?
En 1981-1982 la gauche procédait à des nationalisations. De 1997 à 2001 elle a privatisé autant que les gouvernements de droite dans les quatre années précédentes. Elle a même ouvert à la fin le capital de certains services publics au privé. Pouvait-elle faire autrement face à l'influence conjuguée du libéralisme déferlant depuis New-York et plusieurs places européennes ? Elle n'en a pas eu la force, si toutefois elle en a eu l'idée. Elle était cernée par un environnement économique sur lequel règne la Banque centrale européenne, la Banque mondiale et le Fond monétaire international. Les conclusions du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens de Lisbonne, les 23 et 24 mars 2000, ont invité les pays membres à " accélérer la libéralisation dans les secteurs tels que le gaz, l'électricité, l'eau, les services postaux et les transports, y compris la gestion et l'utilisation de l'espace aérien ". La gauche a subi enfin les contraintes du pacte de stabilité européen. Elle est même allée au-delà des exigences du traité de Maastricht dans la réduction des déficits budgétaires.

La mondialisation, de plus en plus entendue à juste titre comme la domination du capitalisme américain et de ses satellites, a placé les intérêts de l'actionnariat largement drainé par les fonds de placement et les fonds de pension américain au-dessus de toute autre considération. Elle a transformé le salariat en simple valeur marchande : la gestion du personnel est devenue variable d'ajustement, donc étroitement soumise à la recherche de la rentabilité maximum. Le pouvoir de régulation des Etats s'en trouve durement secoué. La gauche a mené dans des conditions difficiles un combat de ralentissement, parfois d'arrière-garde. Quant à la droite elle se borne aujourd'hui à adapter le programme du Medef, un œil fixé sur les soubresauts de l'opinion publique. Faut-il s'étonner que cette économie de marché donne de plus en plus naissance à une société de marché dont relève la vie quotidienne de nos concitoyens : d'un côté les pauvres et les exclus, de l'autre la cohorte, très hiérarchisée, de ceux qui ont accès à une gamme de revenus fortement inégalitaires.

Quelle contre-attaque ?

Alors que faire ?

Le diagnostic est évident. Les remèdes eux sont extrêmement difficiles à concevoir et à mettre en œuvre du fait de la domination sans partage du capitalisme, de sa puissance d'invention, de sa créativité, de sa terrifiante dialectique création-destruction qui le fait se transformer de siècle en siècle, apportant le progrès aux uns, la misère et la mort à un grand nombre.

Le courant socialiste est le seul à pouvoir s'opposer à ce rouleau compresseur. L'usurpation du nom de socialistes par les régimes communistes, déviation de l'idéal socialiste, laisse encore subsister dans certains esprits quelque ambiguïté. Mais aujourd'hui les socialistes sont plutôt soupçonnés de préférer la gestion à la transformation. C'est pourquoi il est urgent de retrouver le chemin d'un véritable projet, en rupture avec le modèle capitaliste qu'on voudrait nous présenter comme indépassable. Il est urgent d'avoir une autre vision de l'évolution du monde, de rattacher nos actes à une autre perspective.

Si l'on ne veut pas capituler devant le marché, il faut évidemment redéfinir et préserver les pouvoirs régaliens de l'Etat - et demain ceux de l'Union européene, mais aussi défendre le service public en fixant clairement son espace. C'est ainsi qu'on garantira à chacun des conditions de vie normales, qu'on assurera l'indépendance du pays et celle du continent européen. Sinon l'éducation, la formation, la recherche, la santé, le logement, les déplacements, tout sera de plus en plus soumis à la seule loi du profit.

La décentralisation dans l'esprit des lois de 1981-82 doit donner à nos concitoyens et à leurs élus locaux un pouvoir de décision dans tous les domaines où l'on fait mieux, plus vite et à meilleur coût, en agissant sur place (comme pour les constructions scolaires ou les transports régionaux par voies ferrées). Mais le pouvoir central doit veiller à réduire les injustices territoriales entre régions riches et régions pauvres. Il doit s'assurer que les collectivités gérées par des élus conservateurs ne rompent pas le pacte républicain. L'Etat doit être le garant du respect des lois et de l'égalité entre les citoyens. L'aménagement du territoire devra pour ce faire redevenir une priorité nationale et engager tous les moyens de l'Etat.

Il y a chez nos concitoyens une demande d'autorité de l'Etat. S'ils sont nombreux à s'abandonner à des réflexes égoïstes et à contester l'Etat, dans le même temps ils exigent de plus en plus de lui. En fait la restauration de l'autorité passe par un Etat plus juste. Ainsi l'insécurité ne reculera-t-elle vraiment que si la misère sociale recule, si la prévention intervient à temps, si la sanction prépare à la réinsertion et à la réhabilitation. Ce n'est pas en mettant davantage de gens dans les prisons, dont la plupart sont des taudis, qu'on renforcera la sécurité. Immense sujet qui doit être traité avec lucidité et courage, qui exige de vrais moyens en hommes et en argent. Et comment ne pas évoquer aussi l'insécurité dans l'emploi, dans les conditions de travail et de vie et dans l'avenir de nos enfants ?

L'Etat doit se remobiliser puissamment pour porter l'avenir scientifique et industriel du pays. Qui pourrait soutenir que l'Etat fédéral américain ou le Japon se satisferaient d'une politique du "laissez - faire"? La seule pratique libérale n'a jamais joué que dans les pays s'abandonnant à une domination extérieure.

Cependant le parti socialiste ne peut engager seul ce combat qui doit être plus que jamais sa raison d'être. Il lui faut échapper à la tentation de l'enfermement et s'ouvrir aux autres. Il engagera le dialogue, voire les confrontations nécessaires, avec les syndicats. Il nouera des relations avec des associations comme Attac et avec les ONG. Il tentera de faire bouger le Parti socialiste européen et l'Internationale socialiste. Il cherchera des alliés et des partenaires à travers le monde. Bref il participera au grand mouvement de protestation qui se cherche à travers la planète, non pour construire un éphémère et impuissant pôle de radicalité, mais pour constituer en Europe et au-delà un front commun.

Sinon il faudra seulement compter sur les erreurs de nos adversaires pour renouer avec l'alternance. Mais pouvons-nous renoncer à une ambition plus haute, représenter une alternative ?

Le recours à l'Europe, mais à quelle Europe ?

L'Europe, aussi engluée soit-elle dans la technocratie, aussi influencée soit-elle aujourd'hui par le libéralisme économique d'Outre-Atlantique, aussi affaiblie par le cavalier seul de la Grande-Bretagne, peut un jour provoquer la naissance de cette alternative. Quel avenir pour chacun de nos pays, s'il demeurait isolé, face à la puissance des États-Unis, face à celle retrouvée de la Russie, de la Chine dans vingt ans, un jour face à celle de l'Inde ou du Brésil ? Qui ne voit le problème d'échelle qui se pose à nous dès maintenant ? N'aurions-nous pour vocation désormais que de figurer comme le musée de nos gloires passées ?

Oh ! Certes mieux eût valu avancer sur le dossier de l'approfondissement des institutions européennes avant de traiter de celui de l'élargissement à dix nouveaux pays. Mais notre acceptation aura été, en fin de compte, un non clair au non-à-l'élargissement. Comment pouvions-nous casser une dynamique encore fragile après avoir attendu avec inquiétude une réponse enfin positive des Irlandais ? Il ne fallait surtout pas stopper un processus de confiance en l'avenir de l'Europe, car la naissance d'une Europe puissance politique est loin d'être encore acquise. La création de l'euro a marqué une avancée importante. Nous voulons encore espérer de ce que seront les propositions de la Convention sur l'avenir des institutions européennes et la décision des États et des peuples. Le moment venu il faudra les consulter.

Le problème de la double souveraineté des Etats et de l'Union européenne est dorénavant posé, comme celui du vote à la majorité qualifiée. Mais nous n'avancerons que si le partage des responsabilités est formulé dans la clarté. Chacune de nos nations voudra conserver des prérogatives (ainsi la France a-t-elle des relations privilégiées avec certaines régions du monde, une culture à préserver, la francophonie à soutenir avec d'autres). Mais face au reste du monde l'Europe devra disposer, - après la politique agricole commune, le commerce extérieur, la monnaie unique -, d'une politique économique, d'une diplomatie et d'une défense communes. Affirmer cela, c'est revendiquer tout autant des institutions démocratiques et équilibrées qui devront peu à peu ouvrir la voie à une vraie fédération d'États-nations. Il est indispensable que sur un sujet aussi complexe le parti socialiste fasse connaître, au - delà des pétitions de principe, ses propositions à moyen et long terme.

La question des institutions européennes est essentielle : ou bien nous serons les architectes d'une Union européenne qui s'exprimera d'une même voix sur les grands sujets du monde ou bien nous deviendrons une zone de libre-échange sous influence américaine. Le choix est posé : être citoyens européens ou simples clients des États-Unis.

La façon dont est abordé le problème de la candidature turque est d'ailleurs révélatrice. Il ne s'agit pas pour nous d'une question de culture, voire de géographie, encore moins de religion, mais du respect des valeurs démocratiques, des libertés et des droits de l'homme, de l'obéissance de l'armée au pouvoir politique détenant sa légitimité des citoyens. De ce point de vue les conditions d'une adhésion ne sont pas remplies aujourd'hui.

Nous comprenons le désir ardent des démocrates et des forces de progrès depuis si longtemps opprimés de faire évoluer leur pays en l'amarrant à l'Europe. Mais comment ne pas poser un jour la question de l'adhésion des trois pays du Maghreb, s'ils remplissent les conditions fixées ? La perspective d'un traité d'association ne serait-elle pas plus fructueuse que l'ambiguïté qui sera entretenue jusqu'en 2004 et au-delà ? Comment ne pas s'élever contre l'indécente pression de l'administration américaine qui voit essentiellement dans l'adhésion de la Turquie un enjeu géopolitique pour les États-Unis ? Pour les Européens l'objectif est de construire une Europe ayant vocation à nouer un jour des liens privilégiés avec les pays de la rive sud de la Méditerranée.

Quand l'Europe justement sera-t-elle capable d'affirmer une volonté propre vis-à-vis de son allié ? D'avoir sa politique étrangère. Non pour se constituer en forteresse face au reste du monde, mais pour contribuer à la naissance d'un nouvel ordre mondial, pour changer le sort de tant de peuples dont une publication mensuelle décrivait ainsi en novembre dernier la situation : la moitié de l'humanité plongée dans la précarité, plus d'un tiers dans la misère, 800 millions de personnes atteintes de malnutrition, près d'un milliard d'analphabètes, un milliard et demi privés d'eau potable, deux milliards sans électricité. Comment admettre dans un tel contexte que la première puissance se refuse à signer le protocole de Kyoto sur la défense de l'environnement et se soustrait à la décision de l'O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce) de permettre aux pays les plus pauvres d'accéder aux médicaments génériques ?

Les ressources naturelles de la planète qui ne sont pas illimitées. Leur protection appelle l'intervention des Etats. Elle requiert également une action à l'échelle internationale. La recherche effrénée du profit cause d'énormes ravages dans les pays pauvres, mais aussi chez nous. Le saccage des côtes de la Galice ou de la Bretagne par des compagnies sans scrupules nous le rappelle. Prenons un exemple parmi tant d'autres. Faute d'investissements suffisants, d'ici un quart de siècle, les deux tiers de la population mondiale devront faire face à des pénuries d'eau, partielles ou totales. Trois cents bassins fluviaux sont transfrontaliers. L'eau risque d'être à l'origine de nouveaux conflits. N'y a-t-il pas urgence à réagir ?

L'Europe, en rompant avec des pratiques postcoloniales, devra élaborer une politique d'aide au développement qui réponde aux besoins du tiers monde.

Elle devra aussi aborder la question de l'immigration dans un esprit de générosité, dans le respect des droits de l'homme et du droit d'asile. Mais comment la France peut-elle tolérer les conditions dans lesquelles les étrangers en détresse sont retenus sur son sol dans les zones d'attente ou les centres de rétention administrative ? Comment peut-elle se refuser plus longtemps à régler la situation si douloureuse des sans-papiers ? Pour contribuer à faire prévaloir sur notre continent des solutions justes ne doit-elle pas commencer par montrer l'exemple ? Son rayonnement et son influence dans le monde en dépendent aussi.

L'avenir de l'humanité exigera de plus en plus une concertation à l'échelle du monde et une politique commune. Nous en sommes loin alors que tant de régions connaissent de sanglants conflits : la Palestine, Israël, la Tchétchénie, des zones entières du continent africain ou de l'Asie.

On aimerait entendre davantage la voix de la France soutenir le peuple palestinien auquel Israël conteste le droit de disposer d'un Etat souverain dans des frontières viables, s'élever contre l'extermination du peuple tchétchène, ce qui va de pair avec la condamnation absolue de toute forme de terrorisme.

Dans l'affaire irakienne le gouvernement français, à l'heure où ces lignes sont écrites, se montre hésitant et embarrassé. On aimerait qu'il condamne fermement toute perspective d'action unilatérale, alors que la concentration des troupes américaines s'accélère au Moyen-Orient.

Si les Etats-Unis devaient passer outre au rapport des inspecteurs de l'ONU et surtout à la décision ultime qui revient au Conseil de sécurité - où la France, présidente en exercice, dispose d'un droit de veto - , quelle serait l'attitude de la diplomatie française ? Le Parti socialiste dit non à la guerre américaine et pétrolière.

Oui ! La France doit retrouver indépendance et initiative dans la conduite de sa politique étrangère, sans arrogance, mais avec détermination. Elle est obligée de tenir compte des rapports de force, mais elle doit se garder de s'aligner. N'est-ce pas trop demander au gouvernement et à la majorité actuels ? Alors il faut que le parti socialiste montre le chemin vers une autre politique!

Et le parti socialiste ?

La préparation du Congrès ne doit pas nous détourner de la nécessité de mener sans concession aucune le combat contre la droite au pouvoir. Il nous faut dénoncer une politique en tout point néfaste, y compris en matière sécuritaire, dès lors que les libertés ne sont plus préservées, une politique de régression sociale et d'effacement de la France. Le prochain Congrès serait catastrophique si les socialistes ne s'occupaient que d'eux. Il faut de cette tribune parler aux Français et commencer d'ouvrir les voies de l'avenir.

Nous éviterons ainsi deux dérives : l'engourdissement autour de propositions catégorielles et de solutions purement techniques sans audace et sans ambition sur fond de musique bien connu, l'étroitesse des marges de manœuvre, avec en plus le souci de ne heurter ni inquiéter personne, l'autre dérive nous conduisant à une contestation interne perpétuelle et à un émiettement sur le modèle des Verts.

Les propositions de réforme de structures ne manqueront pas comme après chaque défaite. Certains feront entendre ici et là le vieux chant des modernes contre les anciens, ou celui des modernistes contre les archéos, ou encore celui des purs et des durs contre les pragmatiques, etc…

L'important, ce sera en fin de compte que le parti socialiste s'ouvre aux nouvelles générations, mais en ayant une claire conscience de son histoire et de celle du mouvement social. Dans une société de l'instant, de l'immédiat, de la proximité, notre parti doit retrouver le sens de l'héritage historique et de l'universalité. Nous qui avons été, contre les conservateurs, les inventeurs de la décentralisation, nous ne devons pas nous laisser enfermer dans une conception égoïste et bornée de celle-ci : aux braves gens, ceux que Raffarin appelle du terme balzacien " la France d'en bas ", les problèmes des quartiers, à la rigueur de la commune et du canton sous le regard vigilant des notables du cru, qui feront face, comme ils pourront, aux transferts de charges, pendant que " ceux d'en haut ", de Paris, de Bruxelles et de Washington traiteraient des grandes questions, comme si celles-ci ne conditionnaient pas l'existence des " gens d'en bas ".

Nous devons nous élever contre un monde prétendu sans histoire, sans mémoire et sans politique, où les choses sérieuses seraient d'abord celles du profit, traitées par les experts de la vie financière et de l'économie et leurs gouvernements. Il y a quarante ans et même moins la droite s'inclinait frileusement devant les idées de la gauche : il était même de bon ton de flirter avec celles-ci. La tendance s'est aujourd'hui inversée : beaucoup de bons et de beaux esprits à gauche s'émerveillent devant l'idéologie de la rentabilité et jonglent avec les prétendues lois du marché. Il est temps d'échapper à cette fascination perverse et de retrouver notre culture, nos analyses, notre vocabulaire, nos projets, le sens de l'internationalisme. Camus écrivait, il y a plus d'un demi-siècle : " On ne peut être socialiste de principe et conservateur en économie ". Le précepte reste d'actualité.

Dans un paysage aujourd'hui bouleversé, le parti socialiste doit représenter la grande force d'opposition. François Hollande, en associant sans exclusive le maximum de bonnes volontés et de capacités, a vocation à garantir l'unité des socialistes. Il réussira à les rassembler, dans le respect de leur diversité, sur des objectifs audacieux. Les Français doivent comprendre que nous débattions. Comment en serait-il autrement après les épreuves du printemps dernier et les changements qui affectent le monde en ce début de siècle ? Et n'est-il pas souhaitable que nos compatriotes entrent également dans le débat ? Mais ce qui serait absurde, c'est que la querelle l'emporte sur le choix des idées et des perspectives.

Cependant, par delà le projet dont ils seront les porteurs, les socialistes se préoccuperont du rôle de l'ensemble des forces de gauche. C'est là que les leçons à tirer du passé sont nécessaires. Notre stratégie demeurera celle de l'union des forces de gauche, politiques ou autres. En toutes circonstances d'abord rassembler la gauche ! Quand ? Comment ? Dans quelles structures ? Des idées circulent : s'entendre le moment venu sur un programme de gouvernement, jeter les bases d'une fédération afin d'éviter les surenchères et les concurrences meurtrières, aller un jour vers un parti unique de la Gauche. Est-ce que cette ultime démarche correspond à notre histoire, à l'identité des uns et des autres ? Est-ce qu'une bipolarisation de la vie politique sur le modèle de l'Outre-Atlantique correspond au génie de la France ? L'avenir et la volonté des hommes le diront.

Pour l'heure l'urgence est de conforter le Parti socialiste, de renouer les contacts avec nos partenaires, d'appeler au rassemblement, des socialistes d'abord, et sans tarder de toutes les forces de progrès. C'est ainsi que nous proposerons au pays non pas seulement une alternance, mais une alternative.

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