Logan : le conte de fées et la vraie histoire

Didier Migaud
Point de vue signé par Didier Migaud, député de l'Isère, ancien rapporteur général de la commission des finances, paru dans le au quotidien Le Monde daté du 1er octobre 2004


 
L'histoire de la Logan ressemblerait presque à un conte de fées. Au départ, une belle idée : un nouveau type de véhicules, exclusivement destinés aux marchés émergents, construits par et pour ces " nouveaux marchés ".

Comme le résume le dossier de presse de ladite voiture : "Avec Logan, l'aspect prix a été essentiel, nous avons créé un véritable nouveau modèle pour les nouveaux marchés automobiles " " Logan n'est pas un produit ouest-européen qu'on aurait adapté pour d'autres marchés ; c'est une voiture directement conçue pour ses marchés cibles. "

Le message est clair : si Renault construit une usine en Roumanie, pays dont les coûts de production et notamment les coûts salariaux sont très faibles, c'est uniquement parce qu'il s'agit de s'implanter dans les marchés émergents, de faire construire par et pour ces pays la Logan. C'est d'une logique imparable, et ce récit serait banal si un fait nouveau n'était pas intervenu.

Juste avant l'ouverture du Mondial de l'automobile, Renault a annoncé à grands renforts médiatiques que la Logan serait finalement vendue en France et en Europe occidentale.

Pourquoi, alors que la Logan a été conçue pour les marchés émergents, décider finalement de vendre dans ce grand marché mature qu'est l'Union européenne ?

Selon Renault, c'est " l'enthousiasme " (sic) suscité par la Logan qui explique ce qui s'apparente à un véritable revirement stratégique.

Curieusement, Renault tente de minimiser l'impact de cette décision en indiquant ne pas " attendre de ventes massives ", puisque " ce type de véhicules " ne se vend pas très bien en ce moment. Pourtant, Renault identifie les véhicules concurrents : " Fiat Panda, Seat Cordoba, Skoda Fabia Sedan, Daewoo Kalos, Hyundai Accent, Kia Rio Sedan... " Autant de véhicules parfaitement connus en France, qui composent un segment pesant : 38 % du marché français !

Renault nous refait le coup de son slogan publicitaire : " Ça ne marchera jamais ! "

Cela devrait au contraire marcher, au point que Le Parisien a recommandé très sérieusement à ses lecteurs, pour faire de substantielles économies, d'aller chercher eux-mêmes leur Logan en Roumanie !

Car cette merveilleuse histoire nous apprend que la Logan, produite en Roumanie et vendue là-bas l'équivalent de 5 000 euros, sera proposée à 7 500 euros en France. Cinquante pour cent de plus !

Renault nous explique que c'est pour tenir compte " des coûts de transport et des fiscalités différentes ". L'explication avancée n'est pas convaincante.

En matière fiscale, puisque, de toute façon, la voiture est produite en Roumanie, la seule différence est la TVA. Or elle est de 19 % en Roumanie sur les véhicules, contre 19,6 % en France, ce qui représente un écart de seulement 30 euros sur le prix de la Logan... Quant aux droits de douane, ils n'existent pas sur ces produits entre la Roumanie et la France !

S'agissant des coûts de transport, si celui-ci est effectué par la route, un camion de transport de véhicules pouvant charger 8 Logan, cela reviendrait à dire que le transport coûterait, pour chaque trajet aller-retour, 20 000 euros ! Difficile à croire.

En réalité, la différence profitera sans doute essentiellement aux résultats de Renault, ce qui en soi n'est bien sûr pas condamnable. Mais l'emploi ne sera-t-il pas le grand perdant à terme ?

Renault vient d'annoncer - un effet du hasard, certainement - 10 000 embauches en 2005. Mais Renault n'est pas en mesure de traduire ce chiffre d'embauches en termes de créations d'emplois. La direction se contente d'indiquer que l'internationalisation est " la principale raison " de ces embauches, les départs en préretraite jouant " aussi un rôle ". La firme donne des exemples précis : " un millier d'emplois créés en Russie " ; " la Slovénie (...) et la Turquie " feront aussi partie des pays concernés par les embauches.

La France ne serait pas oubliée : 5 000 embauches sont prévues, mais " près du quart " correspondent " à la conversion en contrats à durée indéterminée d'emplois intérimaires ", c'est-à-dire à la modification du contrat de travail des salariés actuels.

Quant aux trois quarts restants, Renault ne précise pas s'il s'agit de remplacement ou de véritables créations, mais indique que son programme de préretraites doit permettre le départ de 1 800 salariés d'ici à la fin 2006. Le solde net des créations d'emplois en France pourrait donc se rapprocher dangereusement de zéro.

Entre 2001 et 2003, le groupe avait perdu près de 10 000 salariés. Conséquence sans doute des fermetures de sites industriels situés en Europe occidentale (Boulogne et, avant, Vilvoorde...) et des ouvertures de sites en Roumanie (où l'emploi dans l'usine de la Logan a néanmoins été réduit de 32 000 à 13 000 en 5 ans), en Slovénie ou en Russie.

Certes, Renault va pouvoir approvisionner ses marchés domestiques avec des produits aux prix ultracompétitifs. C'est au prix de destructions d'emplois, et au premier chef en France.
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