Reparlons de la dette,
Monsieur Sarkozy

Didier Migaud
Point de vue signé par Didier Migaud, député de l'Isère, ancien rapporteur général de la commission des finances, paru dans le au quotidien Le Monde daté du 16 avril 2004


 
Monsieur le ministre d'Etat,

J'ai bien reçu votre courrier retraçant votre vision de l'histoire budgétaire récente, et je vous en remercie. Je constate avec plaisir que vous reconnaissez désormais que l'émergence des déficits publics ne date pas de 1981, comme vous l'avez hâtivement affirmé en séance publique le 7 avril dernier, mais du septennat de M. Giscard d'Estaing, M. Chirac se trouvant à Matignon.

Je me réjouis de votre capacité à reconnaître vos erreurs. Elle vous honore. Pour ma part, je reconnais sans difficulté que, depuis 1980, aucun gouvernement, de droite comme de gauche, n'a été en mesure de réduire le poids de la dette publique, à une exception près toutefois, celle du gouvernement de Lionel Jospin ! Les chiffres sont là pour le prouver.

Vous estimez que les déficits constatés avant 1981 sont " indépendants de la volonté " de la droite au pouvoir, puisque liés à la conjoncture. Je vous laisse la responsabilité de cette affirmation, qui confirme en tout cas l'existence de déficits tels que les socialistes ont reçu en 1981 en héritage une dette publique représentant plus de 20 % du PIB, ce qui, au terme de trente années de croissance, n'est pas particulièrement " glorieux "...

Vous résumez votre thèse à la fin de votre courrier en expliquant que, je cite : " Les gouvernements de droite, pourtant confrontés à une conjoncture défavorable, enrayent et renversent la tendance à l'augmentation des déficits. " Cette affirmation est doublement erronée : en situation de gouverner, la droite n'a malheureusement pas enrayé, et n'enraye pas la progression de la dette publique ; elle a pourtant souvent bénéficié d'une croissance mondiale porteuse.

Il y a un point commun entre les trois dernières périodes de gouvernement de droite : l'aggravation sensible de la dette publique ! Entre 1993 et 1995, le poids de la dette augmente de 9 points de PIB. En- tre 1995 et 1997, il augmente de 5 points supplémentaires. De 2002 à 2004, le poids de la dette publique aura augmenté de 8 points.

Curieusement, votre courrier passe complètement sous silence cette période récente de l'histoire budgétaire, notamment 1992-1996. Je crois en deviner les raisons.

Votre courrier occulte par ailleurs complètement une évolution récente à laquelle j'ai fait allusion plus haut. En effet, la dette publique a diminué, pour la première fois depuis 1980, entre 1999 et 2001. Ainsi, pendant trois années consécutives, la gestion socialiste a fait reculer le poids de notre dette publique de 2,5 points de PIB. Ce qu'aucun gouvernement, de gauche comme de droite, n'avait pu réaliser depuis 1980.

Ces bons résultats ont été atteints parce que les comptes publics présentaient entre 1999 et 2001 un solde primaire (c'est-à-dire un excédent des recettes sur les dépenses hors charges d'intérêt) supérieur au niveau requis pour stabiliser le poids de la dette. Cela a été dû en partie à la maîtrise de la dépense publique - budgétaire et de Sécurité sociale -, qui a été assurée sans préjudice pour la croissance.

Ainsi, alors que la dépense publique pesait 55,5 % du PIB en 1996, record historique, son poids a été ramené à 52,6 % du PIB en 2001. En revanche, contrairement à ce que le gouvernement affirme, le poids de la dépense publique est passé, sous M. Raffarin, de 52,6 % à près de 54 % en 2004, selon les prévisions mêmes du gouvernement transmises à Bruxelles !

Depuis l'arrivée de M. Raffarin au gouvernement, le solde primaire est systématiquement inférieur au niveau requis pour stabiliser le poids de la dette, ce qui explique son explosion. Selon le gouvernement lui-même, alors que le poids de la dette publique représentait 56,8 % du PIB en 2001, il atteindrait le record historique de 64,8 % en 2005 ! Une progression de 15 % en seulement quatre ans !

La droite aime à développer, pour mieux se disculper, la thèse d'une malédiction dont elle serait la victime. Selon cette thèse, la droite n'aurait jamais de chance avec la conjoncture et parviendrait toujours au pouvoir en creux de cycle conjoncturel.

Cette affirmation fausse et singulièrement naïve n'est pas démontrée par l'analyse statistique. En réalité, la conjoncture économique mondiale était porteuse durant la période 1993-1997 (+ 3,2 % par an dans la période Balladur-Juppé ; + 2,7 % par an dans la période Jospin). Si la croissance mondiale ne se traduit pas dans notre économie, c'est donc que des explications internes doivent être trouvées. De même, les effets d'une politique économique peuvent être évalués à la lumière des performances comparées de notre économie avec celles de la zone euro.

Alors que l'actuel gouvernement, convaincu que le salut ne peut venir que de l'extérieur, fondait tous ses espoirs de reprise sur le dynamisme du commerce mondial, de récentes statistiques sont tombées comme une douche froide. Il est en effet cruel et symptomati-que de voir le FMI relever sa prévision de croissance mondiale au moment même où l'Insee revoit à la baisse celle de la France ! Tout le scénario de reprise de croissance du gouvernement, qui comptait sur la croissance mondiale pour doper la croissance française, se trouve en effet invalidé.

En 2003, selon les récentes statistiques de l'OMC, le commerce mondial a progressé de 4,5 %, mais cela n'a pas réussi à la France, qui a perdu sa place de quatrième exportateur mondial au profit de la Chine.

En 2001, la France a subi, comme toutes les économies, un fort ralentissement conjoncturel dont aucun gouvernement n'est responsable. Mais le gouvernement auquel vous appartenez, par les décisions de politique économique qu'il a prises depuis deux ans, me paraît être responsable de l'atonie actuelle de la croissance et du " retard à l'allumage " dont notre pays souffre actuellement dans un contexte de reprise mondiale.

La France, qui dispose d'un grand marché intérieur, doit pouvoir compter sur ses moteurs internes, essentiellement la consommation des ménages, pour connaître une croissance forte. Les socialistes ont démontré, entre 1997 et 2001, que cette stratégie était meilleure puisqu'elle procure à la France des performances économiques supérieures à celles de ses voisins et de la zone euro.

La croissance ne pourra repartir que si l'on s'appuie sur nos propres forces et sur le soutien au pouvoir d'achat du plus grand nombre. Par idéologie, le gouvernement s'y refuse. C'est vraiment regrettable.

La situation actuelle mérite mieux qu'une mauvaise polémique sur le passé et sur la responsabilité des uns et des autres. La meilleure façon de dépasser la polémique aurait été de répondre positivement à notre demande d'audit réalisé par ceux- là mêmes auxquels M. Raffarin a confié celui de 2002. A partir de là, il vous aurait été plus facile de répondre à nos questions, et notamment à celle que se posent tous les Français : quelle politique économique, fiscale et budgétaire allez-vous mener ?

Allez-vous poursuivre la politique fiscale injuste et inefficace menée depuis deux ans ou bien changer radicalement de stratégie pour soutenir la demande intérieure ?

Allez-vous contribuer au démantèlement systématique des droits sociaux pour mieux répondre aux exigences qui sont trop souvent celles du patronat et non celles de la situation économique et sociale ?

Qu'entendez-vous par la distinction entre les dépenses utiles pour préparer au mieux l'avenir de notre pays et les autres qui ne le seraient pas et doivent être supprimées ? Celles qui vont faire l'objet du plan de gel et d'austérité sont-elles inutiles ? Dans ce cas, pourquoi les avoir inscrites ? Et sinon, pourquoi les geler ?

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